Lorsque le roi Louis XIV revendique sa souveraineté sur le Canada, il reconnaît que les peuples autochtones forment des nations indépendantes régies par leurs propres lois et coutumes ; les Amérindiens sont qualifiés d’alliés et non de sujets. L’établissement en Amérique du Nord aurait été impossible sans les alliances que les Français ont réussies à conclure avec les nations amérindiennes présentes dans la vallée du Saint-Laurent.


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    Après Pierre Dugua de Mons et Samuel de Champlain (fondateur de Québec en 1608) qui assurent une première alliance avec la tribu des Micmacs dès 1604, les explorateurs comprennent que des relations amicales avec les autochtones sont déterminantes s'ils veulent s'implanterimplanter durablement en Nouvelle France. Les principales contraintes qui pèsent sur les colons français sont une population et des troupes armées peu nombreuses. Les bons rapports avec les nations indiennes (Micmacs, Montagnais, Algonquins, Hurons, Abénaquis...) sont indispensables au commerce : sans leur accord, les explorateurs ne peuvent pas prospecter sur de nouveaux territoires. Les alliances vont donner accès à un vaste réseau de « traite » des fourrures qui s'étend jusqu'aux Grands Lacs (Ontario, Erié, Huron, Michigan, Supérieur).

    Carte des Grands Lacs nord-américains, "Partie occidentale de la Nouvelle France ou du Canada", par Jacques Nicolas Bellin, Ingénieur du Roy et de la Marine, 1755 ; sont indiqués les différents pays des nations amérindiennes. © Wikimedia Commons, domaine public. 
    Carte des Grands Lacs nord-américains, "Partie occidentale de la Nouvelle France ou du Canada", par Jacques Nicolas Bellin, Ingénieur du Roy et de la Marine, 1755 ; sont indiqués les différents pays des nations amérindiennes. © Wikimedia Commons, domaine public. 

    Fondé sur le système du troc, le commerce des fourrures apparaît dès les premiers voyages de Jacques Cartier en 1535. Français et Amérindiens s'échangent des produits manufacturés contre des peaux envoyées en France pour approvisionner l'industrie de la chapellerie. La fourrure va devenir la première ressource de Nouvelle-France, malgré les efforts entrepris par Colbert pour diversifier l'économie locale dans les années 1660.

    Traite des fourrures et alliances

    Les Français établissent une présence permanente dans la vallée du Saint-Laurent dès le début du XVIIe siècle et se lancent dans une véritable entreprise commerciale pour répondre à la demande européenne de fourrures. La traite devient le moteur économique de la Nouvelle-France : elle finance les explorations, le peuplement, l'évangélisation, tout en permettant aux autorités et aux investisseurs de faire fortune. Ne disposant pas de main-d'œuvre et de ressources suffisantes pour gérer seuls la traite des fourrures, les Français ont fait appel aux Amérindiens qui préparent les peaux et les transportent, servent de guides et d'intermédiaires. Les colons vont ainsi conclure des alliances avec les Montagnais, les Algonquins et les Hurons dès la première moitié du XVIIe siècle.

    Portraits de trois chefs hurons en costume d'officiels, à Jeune Lorette (Québec), par Edward Chatfield vers 1825. © Wikimedia Commons, domaine public. 
    Portraits de trois chefs hurons en costume d'officiels, à Jeune Lorette (Québec), par Edward Chatfield vers 1825. © Wikimedia Commons, domaine public. 

    La traite dépend donc des partenaires autochtones : pour les Amérindiens, il ne peut y avoir d'échanges commerciaux sans alliances. Les rapports économiques ne sont pas les mêmes qu'en Europe : la réciprocité l'emporte sur l'économie de marché et l'échange de marchandises a une valeur symbolique et politique. Pour les nations indiennes, une alliance commerciale débouche inévitablement sur une alliance militaire. Celles qui sont alliées aux Français, leur demandent comme condition de l'échange, de les protéger ou de participer à leurs guerres. Ceci explique l'intervention des Français dans la guerre qui oppose Hurons et Iroquois en 1609, lorsque Champlain s'engage aux côtés des Hurons, premiers alliés économiques et militaires des Français, contre les Iroquois. A la fin du XVIIe siècle, la traite devient un élément central de la stratégie de la France en Amérique du Nord, face à l'expansion territoriale et commerciale des Britanniques. Elle est un moyen efficace de s'assurer l'allégeance des nations amérindiennes contre les Anglais.

    Carte représentant l'occupation française de la Nouvelle France (en bleu) aux XVIIe et XVIIIe siècles ; occupation anglaise en rose. © Wikimedia Commons, domaine public. 
    Carte représentant l'occupation française de la Nouvelle France (en bleu) aux XVIIe et XVIIIe siècles ; occupation anglaise en rose. © Wikimedia Commons, domaine public. 

    Le problème iroquois

    Après 1649, suite à leur défaite face aux Iroquois et à leur installation dans la région des Grands Lacs, les Hurons s'allient à une confédération de nations indiennes qui deviennent ainsi les alliés des Français. Cette ligue franco-amérindienne est unie par deux liens principaux : l'ennemi commun iroquois et la crainte de l'expansion anglaise. Les Iroquois représentent une véritable menace pour la Nouvelle-France car ils disposent d'un potentiel de 3000 guerriers armés par les Anglais, ce que la colonie française ne peut se permettre. En 1665, Louis XIV envoie le régiment de Carignan-Salières pour les combattre. Les guerres franco-iroquoises connaissent leur paroxysme dans les années 1680 : les Iroquois se battent contre les Hurons et les colons français de la vallée du Saint-Laurent, afin de contrôler le commerce des fourrures en provenance du Canada et des colonies anglaises. Mais leur déclin démographique s'accentue au fil des conflits et des épidémiesépidémies, et les Iroquois cessent d'être une menace en 1701, avec la signature de la « Grande Paix » de Montréal : trente-neuf nations indiennes signent le traité avec les Français.

    Ratification de la "Grande Paix de Montréal" en 1701, signatures des chefs des nations indiennes et du gouverneur français. Archives nationales d'outre-mer (ANOM). © Wikimedia Commons, domaine public. 
    Ratification de la "Grande Paix de Montréal" en 1701, signatures des chefs des nations indiennes et du gouverneur français. Archives nationales d'outre-mer (ANOM). © Wikimedia Commons, domaine public. 

    Dans cette entente qui met fin aux guerres entre Français, nations alliées et Iroquois, trois clauses sont particulièrement importantes : tous les  prisonniers autochtones sont libérés et retournent dans leur nation ; les territoires de chasse sont mis en commun entre les peuples autochtones (cette clause a toujours valeur juridique) ; les nations amérindiennes demeurent neutres dans les conflits entre colonies françaises et britanniques.

    L’effondrement démographique des nations indiennes

    Conséquence inattendue de la traite des fourrures : le choc bactériologique ! N'ayant pas d'immunitéimmunité contre des maladies endémiquesendémiques en Europe depuis des siècles, les peuples autochtones sont ravagés par la rougeolerougeole, la variolevariole, la grippegrippe, le typhus... importés par les Français dans la vallée du Saint-Laurent. Les épidémies se répandent par les réseaux de la traite des fourrures jusqu'aux communautés vivant dans la région des Grands Lacs. Elles provoquent des ravages dans les sociétés amérindiennes, ciblant les personnes âgées et les enfants et créant ainsi des déséquilibres générationnels. Pendant les épidémies de variole de 1634 à 1640, les Hurons subissent une perte de la moitié de leur population. Entre 1600 et 1700, on estime que l'ensemble des Amérindiens (Canada et Etats-Unis actuels) voient leur population s'effondrer de 90 %, passant de sept millions à 700.000 autochtones en Amérique du Nord. Malgré cet effondrementeffondrement démographique, les colons français vont demeurer minoritaires en Nouvelle-France, au milieu des nations indiennes.

    Couple d'indiens algonquins, vers 1750. Archives de la ville de Montréal. © Centre d'Histoire de Montréal.
    Couple d'indiens algonquins, vers 1750. Archives de la ville de Montréal. © Centre d'Histoire de Montréal.

    Métissages de population

    Les relations entre Amérindiens et Français, faute d'Européennes en nombre suffisant, donnent naissance à une population métisse qui contribue à peupler la colonie française. Ces mariages généralement conclus sans le consentement de l'Eglise, remplissent une fonction stratégique dans la traite : c'est un mécanisme d'intégration qui transforme des étrangers en membres de la famille indienne, s'assurant ainsi l'accès aux fourrures et aux ressources vitales des territoires de chasse. Les femmes autochtones jouent un rôle central dans ce processus, servant d'intermédiaires entre leur conjoint français et leur famille d'origine. Elles enseignent à leur mari une langue, des coutumes et des normes de comportement, tout en proposant des compétences dans la négociation des fourrures. Le métissage est difficile à mesurer car les registres de baptême ne le précisent pas mais des estimations partielles donnent des taux de 40 à 80 % d'enfants métis. Devant le nombre important de mariages mixtes, les autorités religieuses vont exiger la conversion préalable des Amérindiennes. « Civiliser » les peuples autochtones devient l'un des objectifs de la colonisation française au Canada. 

    Village huron traditionnel, par Francis Back. Exposition "Dessiner l'Amérique française", musée Marguerite Bourgeoys, Montréal. © Francis Back.
    Village huron traditionnel, par Francis Back. Exposition "Dessiner l'Amérique française", musée Marguerite Bourgeoys, Montréal. © Francis Back.