Le décret d’abolition de l’esclavage en France est signé le 27 avril 1848, par le gouvernement provisoire de la Deuxième République, sous l’impulsion de Victor Schœlcher. Le processus de destruction du système esclavagiste s’enclenche dans la colonie française de Saint Domingue avec la rébellion des esclaves en 1791 ; le gouvernement révolutionnaire y proclame l’abolition de l’esclavage en août 1793. La Convention étend la mesure aux autres colonies (Martinique exceptée) par le décret du 4 février 1794.
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En mai 1802, Napoléon Bonaparte rétablit l'esclavage dans les colonies françaises mais Saint Domingue proclame son indépendance le 1er janvier 1804 et redevient Haïti. Lors du congrès de Vienne, le 8 février 1815, la traite négrière c'est-à-dire le commerce des esclaves depuis l'Afrique, est en théorie abolie par les grandes puissances européennes. En Grande Bretagne, le courant abolitionniste très important depuis le début du XIXe siècle, permet l'émancipation définitive des esclaves dans les colonies britanniques au 1er janvier 1838 ; de nombreux esclaves fuient les colonies françaises vers les îles des Antilles anglaises (Dominique, Antigua, Montserrat, Sainte-Lucie...).
Le mouvement abolitionniste en France
Dès 1834, est fondée la Société française pour l’abolition de l’esclavage. Le Martiniquais Cyrille Bissette demande en juillet 1835, l'abolition immédiate de l'esclavage dans les colonies françaises et propose un plan de réorganisation sociale sans esclavage, comportant un décret pour l'instruction primaire gratuite et obligatoire. Il est banni de Martinique après avoir réclamé pour les « hommes de couleur » (mulâtres, métis), des droits civiques égaux à ceux des colons.
En mai 1840, une commission est instituée par décision royale, pour examiner les questions relatives à l'esclavage et à la condition politique des colonies. Ses travaux qui se poursuivent jusqu'en 1843, font évoluer la réflexion sur la nécessité de l'émancipation. Les assemblées parlementaires refusent l'idée d'une indemnité à verser aux colons après l'abolition, comme l'a fait le gouvernement britannique. Les lobbies des planteurs et des armateurs qui pratiquent la traite esclavagiste, opposent une farouche résistancerésistance à toute modification du système existant.
Les lois Mackau de juillet 1845, du nom du ministre de la Marine et des Colonies, modifient théoriquement la vie des esclaves : leur instruction devient obligatoire, le respect du repos le samedi pour la culture de leur lopin de terre, de nouveaux horaires de travail, la possibilité d'acheter leur liberté grâce à un pécule qu'ils se constituent par des travaux extérieurs à la plantation ou la vente de leur production. Ces nouvelles mesures sont très mal reçues dans les colonies, où les conseils de planteurs s'empressent d'amender ou d'annuler les textes.
Victor Schoelcher, bataille pour l’abolition
A partir de 1840-1841, lors d'un voyage aux Antilles, le journaliste Victor Schoelcher entreprend de s'attaquer au système de l'esclavage, estimant que « les colons ne sont pas compétents pour discuter de l'émancipation des noirs ». Il décrit minutieusement ce qu'il observe, ce qu'il lit dans les documents judiciaires que lui confient des magistrats souhaitant dénoncer le système esclavagiste colonial. Il publie des descriptions précises sur le travail, la vie quotidienne des esclaves, les moyens de résistance qu'ils adoptent, les révoltes, le marronnage (les « nègres marrons » fuient les plantations pour se réfugier à l'intérieur des îles, en forêt ou en montagne). Schoelcher est convaincu de la nécessité d'une abolition de l'esclavage immédiate et non progressive. Il critique les conclusions de l'anthropologie raciste qui entreprend, depuis la fin du XVIIIe siècle, de prouver scientifiquement l'existence de races humaines et une hiérarchie de leur valeur.
Son ouvrage Des colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage paraît en 1842 : il analyse le système esclavagiste dans les colonies françaises des Antilles, pour en rendre compte à l'opinion publique française et aux parlementaires influencés par les lobbies de planteurs et d'armateurs. Il témoigne des horreurs pratiquées dans les plantations et du caractère inhumain d'un système fondé sur la servitude de 75 % de la population. Il décrit les effets bénéfiques de l'abolition de l'esclavage dans les colonies britanniques, pour démontrer aux partisans du maintien de l'esclavage que liberté du travail n'est pas synonyme de ruine des colonies.
En 1847, c'est un véritable réquisitoire contre les planteurs de Guadeloupe et de Martinique, que publie Victor Schoelcher dans Histoire de l'esclavage pendant ces deux dernières années. Il rédige également une pétition réclamant la suppression immédiate de l'esclavage dans les colonies françaises, au nom de la Société française pour l'abolition de l'esclavage. Le document est adressé à l'ensemble des parlementaires et des conseillers généraux. Ce texte s'ajoute à de nombreuses autres pétitions anti-esclavagistes : celle de 191 « hommes de couleur » de la Martinique, de novembre 1836 ; celle des ouvriers de Paris, de janvier 1844 ; celle de Cyrille Bissette envoyée au Parlement et aux Conseils généraux en août 1846.
La Révolution de 1848
Elle provoque une exceptionnelle ouverture politique qui permet à Victor Schoelcher, de devenir sous-secrétaire d'Etat chargé des colonies et président d'une commission d'abolition de l'esclavage. Il demande au ministère de la Marine et des Colonies, tous les documents concernant les décisions des assemblées de la Révolution Française dans le domaine colonial. La commission élabore un ensemble de décrets qui, tout en supprimant l'esclavage, fixent de nouveaux cadres de la vie sociale, créant de « nouveaux citoyens » appelés à élire au suffrage universel (masculin) leurs représentants à l’Assemblée Nationale. Le gouvernement provisoire issu des journées révolutionnaires de février 1848, décide en théorie la suppression de l'esclavage, mais dans la pratique se heurte à de fortes résistances internes. Tous les membres du gouvernement n'acceptent pas une loi sur l'abolition de l'esclavage, qu'ils souhaitent voir débattre à l'Assemblée Nationale prochainement élue.
Le décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, est signé le 27 avril 1848 ; Victor Schoelcher insiste pour que l'ensemble des textes paraissent au MoniteurMoniteur universel (journal chargé de la transcriptiontranscription des débats parlementaires) et partent aussitôt vers les colonies. Le 1er mai 1848, il écrit : « En vérité, je ne croyais pas qu'il serait si long et si difficile de tuer l'esclavage sous la République ». Une forte indemnité doit être versée aux planteurs dépossédés de leurs esclaves ; la proposition d'indemniser également les esclaves et de leur attribuer des lopins de terre est rejetée par le gouvernement.
En Guyane et à La Réunion, les commissaires généraux de la République proclament l'émancipation deux mois après l'arrivée des décrets. En Martinique et en Guadeloupe par contre, la tension sociale est tellement vive que les gouverneurs des deux îles proclament l'abolition de l'esclavage, les 23 et 27 mai 1848. Les deux commissaires généraux envoyés par le gouvernement pour promulguer les décrets parisiens d'abolition, arrivent début juin dans des colonies où l'esclavage est déjà supprimé.
A noter
A la fin du XIXe siècle, les pays européens justifient la colonisation de l’Afrique par l'ampleur des ressources à exploiter et par la répression du trafic d'êtres humains. La Conférence de Berlin de 1884 doit théoriquement œuvrer pour l'abolition de la traite esclavagiste, dans les territoires progressivement colonisés. En Afrique, le travail forcé succède à l'esclavage et l'on recrute la main d'œuvre dans « des villages de liberté ». Cette procédure de recrutement très bon marché se maintient jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.