Pour la grande majorité des Français sous l'Ancien Régime, le pain est l’essentiel et la base de tous les repas : son rythme de consommation structure le déroulement de la journée et de la semaine. Pour la noblesse, en revanche, le repas est synonyme de diversité et de profusion alimentaire car c’est un marqueur social déterminant. L'art de la table élaboré par une élite à partir du XVIIe siècle a permis aux Français de s'approprier des habitudes alimentaires qu'ils apprécient encore aujourd'hui.
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Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les sources écrites sont peu explicites sur l’alimentation des habitants du royaume de France et surtout des paysans qui constituent la grande majorité de la population (85 %). Les documents exploités par les historienshistoriens révèlent un modèle alimentaire fondé sur les céréalescéréales, principalement le pain accompagné d'un ou plusieurs aliments : légumes, légumineuseslégumineuses, fromage, œufs, viande...
Le pain est consommé sous sa forme solide ou trempé dans un bouillon plus ou moins enrichi de viande salée et de légumes. Les bouillies de céréales remplacent parfois la soupe, sans exclure le pain qui est consommé seul ou accompagné, en second élément du repas. Le pain, socle de l'alimentation populaire, contient davantage de froment (blé) que de seigle ou d'orgeorge. Ce mode d'alimentation n'est pas propre au peuple de France : il entre dans la culture alimentaire des sociétés agricoles traditionnelles. On retrouve le pain au menu de toutes les régions de céréaliculture et comme en France, cet aliment roi s'est maintenu dans les sociétés agricoles d'Europe jusqu'à la seconde guerre mondiale.
L’abondance est un signe de distinction sociale
Il va sans dire que le repas dans la haute société obéit à des règles très différentes : la profusion des aliments sur la table de la noblesse française a toujours constitué un élément de distinction sociale. Les goûts alimentaires et les manières de table se fixent au Moyen Âge : le menu noble se présente sous la forme d'une succession de mets dont la richesse et la variété s'interprètent comme une inversion du repas paysan. Le gibier est particulièrement apprécié : lors des banquets princiers, les tables se couvrent de faisans, de paons, de cygnes, de cigognescigognes... Ces volatiles sont cuisinés avec des épices : poivre, gingembregingembre, cannellecannelle, muscade, giroflegirofle..., denrées exotiques dont l'usage est réservé aux plus riches qui en font un signe de distinction sociale.
Cependant, le pain n'est pas exclu de la table car il est souvent ajouté aux potages comme élément de liaison ; la viande est fréquemment servie sur un « tranchoir », constitué d'une épaisse tranche de pain. Ce pain « assiette » qui s'imprègne du jus de viande n'est pas consommé, il est distribué aux serviteurs ou aux pauvres. Le pain, élément essentiel du régime alimentaire des Français, est plutôt écarté par la haute société : sa marginalisation marque une volonté de distinction mais sa présence à table rappelle son statut de nourriture symbolique et sacrée.
Du service « à la française » au service « à la russe »
La particularité essentielle du menu noble est sa richesse, concrétisée par un très grand nombre de plats, même au quotidien. Il se compose de plusieurs mets, trois à six environ appelés également « assiettes », dont la succession est ordonnée autour du service des pièces rôties, nommé « rôt ». Le rôt constitue le point culminant du repas ou du banquet. Chaque service est composé de plusieurs plats de même nature : le service des potages, le service des entrées, le rôt (large variété de pièces rôties), le service des entremets et enfin le dessert (ou « l'issue ») qui conclut le repas avec des mets sucrés et salés comme fruits secs, tartes sucrées, fromages...
Cette structure se maintient en place jusqu'au XIXe siècle malgré les évolutions du menu et du service de table. La codification du service « à la française », à partir du XVIIe siècle, contraint les maîtres d'hôtel à organiser précisément la table qui doit en permanence être couverte de plats différents, que l'on change selon les services, les suivants remplaçant les précédents, de manière à offrir aux convives un « paysage » alimentaire riche et choisi. Le service « à la française » connaît son âge d'or aux XVIIe et XVIIIe siècles : il concerne les repas aristocratiques mais surtout les banquets conçus comme une suite de tableaux parfaitement ordonnés, selon les règles de la symétrie avec une correspondance de formes et de couleurs. On attache une très grande importance à l'esthétique des plats décorés et rehaussés de tranches de citron ou d'orange, de fleurs, de graines de pistachespistaches pour leur donner encore plus d'éclat.
Au début du XIXe siècle apparaît le service « à la russe » : on attribue son introduction en France au cuisinier Antonin Carême (1783-1833) ; à l'époque où ce chef renommé domine la scène gastronomique internationale, le service « à la russe » est adopté à Paris avant de se diffuser dans toute l'Europe. Il consiste à servir un seul plat par service, sans le laisser sur la table ; le même plat est présenté successivement à chaque convive en le servant par le côté. Son rapide succès est dû au développement du restaurant (le souci de rentabilité s'accommode mal avec la profusion du service « à la française ») mais n'empêche pas le service « à la française » de conserver ses adeptes tout au long du XIXe siècle.
Du salé au sucré !
Le service « à la russe » constitue une véritable rupture dans les usages de table mais il présente néanmoins plusieurs points communs avec le service « à la française » auquel il va se substituer. Le service « à la française » comme le service « à la russe » imposent un ordre hiérarchique dans la succession des mets : le repas noble et aristocratique suit une courbe dont l'apothéose est le service du rôt, dont on retrouve la trace aujourd'hui avec le plat de résistancerésistance appelé « plat principal ». Cette courbe des goûts commence par des mets salés et se termine par un mets sucré, sans retour possible en arrière. Le dessert marque donc la fin du repas : la distinction entre salé et sucré s'impose vraiment à partir du XVIIIe siècle. Cette rupture du menu en deux parties, salée et sucrée, souligne la séparationséparation de ces deux saveurs dans le registre gustatifgustatif de la cuisine française et dans les habitudes de consommation des Français.