La connaissance du contexte géographique permet une meilleure approche des modes de vie d’une société, quelle que soit la période historique étudiée. Les grandes composantes du paysage français sont en place depuis des siècles mais elles connaissent des mutations importantes au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Quels sont les différents « pays » qui composent le royaume de France ?
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Appelées openfield en Angleterre, les campagnes de « champs ouverts » sont dominantes dans la France du nord et de l'est : ce sont les terres de grandes cultures céréalières (froment, orgeorge, seigle, avoineavoine, que l'on nomme « bleds » au XVIIIe siècle). La Beauce en est l'exemple type : les exploitations sont composées de parcelles dont la taille peut osciller entre un quart à plus de vingt hectares (soit un rapport de 1 à 80). Le finage ou territoire des communes est plutôt petit et l'habitat est généralement regroupé. Les terres en jachère (laissées au repos une année sur deux ou trois, voire quatre selon les régions) forment un élément important du paysage. La jachère va se maintenir sur au moins un quart des terres labourables, jusqu'aux années 1840. Elle a disparu en Flandre depuis le XVIe siècle et en Alsace à la fin du XVIIIe siècle.
L'association de plusieurs cultures sur une même parcelle (ce que l'on nomme le « complantage »), est une caractéristique de la période moderne. On associe par exemple vignes et bléblé, châtaignierschâtaigniers et céréalescéréales... De nouvelles cultures apparaissent : la pomme de terrepomme de terre, préconisée par Parmentier comme palliatifpalliatif aux crises frumentaires, se généralise en Lorraine, Alsace, Flandre, Dauphiné et Lyonnais. L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert contient des études complètes sur sa culture, dans ses éditions de 1765 et 1777. D'autres cultures régressent après avoir connu leur heure de gloire, tel le pastel autour de Toulouse, qui a fait la fortune des négociants de la ville au XVIe siècle.
Les « pays » de bocages
Ils concernent avant tout les provinces de l'ouest : la Normandie, le Poitou, l'Anjou, la Bretagne mais aussi le Berry, le Massif Central... La clôture des parcelles se met en place dans le royaume de France, surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles. L'habitat est dispersé et le finage des villages offre des superficies immenses. On peut affirmer que l'autorisation de clore, accordée par les parlements provinciaux, coïncide avec le développement de l'individualisme agraire.
Ce phénomène est à rapprocher de celui des « enclosures » en Angleterre : il constitue une mutation essentielle de l'agricultureagriculture britannique dès le XVIIe siècle et affiche, comme en Normandie ou dans le Poitou, le passage d'une agriculture traditionnelle dans le cadre de la communauté d'administration des terres (que l'on nomme « communaux »), en système de propriété privée avec l'abandon des droits d'usage.
Les « pays » de vignobles
Leur évolution se caractérise par une extension géographique et une spécialisation qualitative. Il existe très peu de nouveaux « pays » de vignobles, sauf pour le Beaujolais, créé essentiellement au cours du XVIIe siècle dans le prolongement des vignes du Lyonnais. La vigne progresse dans toute la Bourgogne et dans la vallée du Rhône. Le canal du Midi favorise les exportations des vins du Languedoc qui sont acheminés vers le port de Bordeaux. Au XVIIIe siècle, la prospérité de la façade atlantique encourage l'extension des vignobles du Sud-Ouest (Bordeaux, Jurançon...).
Il existe aussi des régions où le vignoble disparaît comme autour de Paris au XVIIe siècle. En Normandie, les vergers et le bocagebocage remplacent la vigne ; en Lorraine, au XVIe siècle, la vigne est arrachée pour planter des céréales. Dans les pays de vignobles, la vigne ne constitue pas une monoculturemonoculture : elle est intercalée avec d'autres productions. Le vignoble français occupe environ 1,6 million d'hectares en 1789.
Les « pays » méditerranéens
Ils bénéficient d'une bonne connaissance historique, grâce à la richesse des archives. Dès le XIVe siècle en Languedoc, les « compoix » qui sont les ancêtres du cadastrecadastre dans les régions de langue occitane, donnent la nature, la surface et la valeur des biens fonciers, pour le prélèvement fiscal. Ils sont révisés régulièrement afin de tenir compte des changements de propriétaires ou des défrichements. Les paysages méditerranéens sont bien spécifiques avec leurs zones de maquismaquis, de garriguegarrigue, de pâturages, de forêts... Les cultures en terrasseterrasse côtoient des vignes et des plantations d'oliviersoliviers (Provence). Les villages sont groupés et emmurés, parfois perchés. Dans ces « pays », on défriche et on déboise beaucoup les garrigues pour planter vignes et oliviers. On assiste à une dégradation des sols, une disparition des terres cultivables notamment celles à céréales.
Le littoral
Les littoraux français ont profondément changé entre le XVIe et le XVIIIe siècle : sur les côtes de la Manche, d'immenses terrains ont été conquis sur la mer et d'anciens ports se retrouvent à plusieurs kilomètres dans les terres (Abbeville). La progression des dunes devient alarmante dans le Médoc dès la fin du XVIe siècle (évoquée par Montaigne) et provoque un déplacement de l'habitat vers l'est. Le bassin de Guérande s'étend fortement entre 1560 et 1660, avec la constructionconstruction de 2.500 bassins de marais salants. De grands travaux d'assèchement du Marais poitevin dans les années 1610, permettent de regagner 11.000 hectares dévastés par la mer. Des travaux d'assèchement ont lieu également en Languedoc (Narbonne), en Camargue (Arles) ; le deltadelta du Rhône est cartographié au XVIIIe siècle.
La prospérité des franges maritimes s'explique par la primauté des côtes dans les échanges commerciaux. Les paysages côtiers traduisent également l'exploitation de la mer : marais salants de Camargue, construction de digues en Flandre notamment à Dunkerque, assèchement des marais débutant au XVIIe siècle autour de Rochefort... De la mer du Nordmer du Nord à la Méditerranée, le littoral présente des provinces riches et peuplées, grâce à leurs grands ports marchands : Marseille, Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Lorient, Le Havre (et Rouen en arrière-pays), Dunkerque.
Les forêts
Dans cette vue d'ensemble des paysages du royaume de France, les massifs forestiers sont ceux qui vont connaître la plus forte évolution durant la période moderne. Selon une étude du chimiste et fermier général Antoine de Lavoisier (1743-1794), la couverture forestière est estimée à 13 millions d'hectares au XVIe siècle contre 6,6 millions vers 1785 (17 millions d'hectares en 2019). Les besoins de la vie quotidienne (chauffage, construction, mobilier, véhicules de transport) et les industries (notamment la marine et la métallurgie) sont très xylophagesxylophages. Les vallées des pays de montagne sont intensivement déboisées.
Entre 1750 et 1789, environ 600.000 hectares de boisbois ont été transformés en champs cultivés. Les paysages forestiers sont de plus en plus ordonnés ; l'exploitation devient rationnelle : les bois sont découpés en parcelles, traversés de chemins rectilignes avec bornes et fossés. L'espace forestier est domestiqué et cartographié méthodiquement. Le déboisement s'accompagne de reboisement systématique, surtout à partir de 1669, lorsque Colbert décide de réorganiser toute la filière de fabrication du bois de marine, de la culture du chêne jusqu'au chantier naval.
Conclusion
Les grands ensembles du territoire français au XVIIIe siècle constituent une extraordinaire variété de « pays » où les mutations sont nombreuses et profondes : il n'y a plus rien de commun entre le paysage du début du XVIe siècle et celui de 1789, visité et décrit par l'agronome anglais Arthur Young (1741-1820) dans ses Voyages en France, parus en 1792, qui nous livre de précieuses informations sur la géographie de la France de l'Ancien Régime.