Longtemps réduite à sa relation avec Voltaire, Emilie du Châtelet est aujourd’hui reconnue comme une pionnière dans le domaine scientifique notamment en raison de sa traduction de l'œuvre de Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle et de sa contribution à l’essor des sciences au XVIIIème siècle.
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Emilie du Châtelet, dont le nom complet est Gabrielle Le Tonnelier de Breteuil, naît à Paris en 1706. Elle est issue d'une famille de la noblesse bien introduite en cour. Elle bénéficie d'une éducation rare pour les jeunes filles de l'époque puisqu'elle reçoit la même éducation que ses frères et côtoie dès son plus jeune âge les cercles d’intellectuels qui gravitent autour de son père. Présentée à la cour, elle délaisse l'étude et se marie à 19 ans au marquis Florent Claude du Châtelet en 1725. Cependant la carrière de son époux les maintient éloignés l'un de l'autre et Emilie du Châtelet mène une vie entre mondanité et études.
Sa relation avec Voltaire
En 1733, elle rencontre Voltaire à Paris. Ce dernier revient d'exil en Angleterre d'où il a rédigé les Lettres persanes. C'est un écrivain déjà établi et membre de la société littéraire. Ils nouent avec Emilie une relation amoureuse. Elle abandonne quelque peu la vie mondaine et affûte ses connaissances scientifiques auprès d'intellectuels de premier plan tels que de Maupertuis et de Clairaut. Puis les deux amants décident de se retirer au château de Cirey, situé en Champagne, à l'est de Paris. C'est dans cet environnement isolé que leur partenariat intellectuel s'épanouit. Voltaire soutient Emilie dans ses recherches scientifiques, l'encourage à poursuivre ses études et à publier ses travaux. Ensemble, ils forment un duo intellectuel à l'insatiable curiosité. Ils discutent de philosophie, de littérature, de science. Leur relation dure plus de quinze ans, jusqu'à la mort d'Emilie en 1749.
Une femme de sciences avant-gardiste
Pour autant, Emilie du Châtelet ne saurait se résumer à n'être que la compagne de Voltaire.
Ses traductions de Newton et de Leibniz
Emilie du Châtelet se distingue par sa contribution prolifique dans le domaine des sciences. L'une de ses œuvres majeures est sa traduction en français des "Principia Mathematica" de Newton (1759), considérée comme un chef-d'œuvre de précision et de clarté. Là encore, l'étiquette de traductrice serait bien trop réductrice : Emilie du Châtelet dépasse le simple exercice de traduction littérale puisqu'elle précise et approfondit la pensée newtonienne. Elle poursuit ainsi son travail critique entamé lors de la traduction des travaux de Leibniz : elle les enrichit de ses réflexions et découvertes personnelles.
Les avancées en physique et en mathématiques
C'est d'ailleurs à partir de son travail sur Leibniz qu'elle rédige son ouvrage Institutions de physique (1740). Son travail est si pertinent que le maître qui l'a initié aux travaux de Leibniz, Samuel Koenig, tente de s'attribuer la rédaction de l'ouvrage. La publication de son oeuvre entraîne une longue controverse scientifique dans laquelle de Maupertuis et Koenig la soutiennent. C'est pour mettre fin à ce débat qui oppose les approches de Newton et de Leibniz qu'elle entame la traduction des travaux de Newton. Tout l'intérêt réside alors dans la capacité d'Emilie du Châtelet à traduire la réflexion newtonienne très ancrée dans le XVIIème siècle dans le langage scientifique nouveau du XVIIIème siècle. Par exemple, elle remet en cause l'approche des précessions des équinoxeséquinoxes du britannique car le scientifique n'avait alors pas accès aux outils techniques suffisants pour évaluer avec précision l'inclinaison de l'axe de la Terre sur l'écliptiqueécliptique. Toute la richesse du travail d'Emilie du Châtelet réside dans sa capacité à faire le lien entre l'approche euclidienne de Newton et la pensée leibnizienne.
Cet ouvrage n'est pourtant pas son coup d'essai. En effet, en 1737, elle se présente au prix de l'Académie des sciences, et se grime en homme puisque seuls les hommes sont autorisés à concourir. Elle présente sous manuscrit anonyme comme le veut le règlement, un mémoire face à ... Voltaire qui fait partie des participants. Si elle ne gagne pas le prix, remporté par Euler, son ouvrage Sur la nature du feufeu est tout de même publié. C'est une première pour une femme.
Une philosophe éclairée
Outre ses réalisations scientifiques, Emilie du Châtelet est également une philosophe érudite. Son principal ouvrage est Discours sur le bonheur qu'elle rédige entre 1744 et 1746. Toutefois, il ne sera publié que plusieurs années après sa mort en 1779. Elle pose une réflexion personnelle sur l'un des sujets privilégiés du siècle des LumièresLumières. Elle y défend les passions, souligne la relativité du bonheur et offre un point de vue inédit sur la question : celui d'une femme. Elle s'oppose aux préjugés, et à tout ce qui les encourage comme la religion. Elle insiste sur la nécessité de penser par soi-même, d'accepter les illusions comme source du bonheur et qu'il existe un nombre infini de routes vers le bonheur. Consciente de la situation des femmes, elle s'appuie sur sa propre expérience pour suggérer que l'étude peut constituer un refuge pour la gente féminine dès lors que celle-ci y a accès.
Emilie du Châtelet est une figure majeure scientifique du siècle des Lumières, dont la renommée est basée sur ses contributions exceptionnelles aux domaines de la science et de la pensée. En tant que femme, elle réussit à défier les conventions sociales et à laisser un héritage durable.