au sommaire
Verdon : la vallée des temps oubliés
J'ai commencé en 1958 et j'ai fouillé jusque dans les années 70. En fait, jusqu'à la mise en eau des barrages par EDF. Le CNRS nous avait prêté deux Zodiac. A l'époque, c'était quelque chose ! Nous avons fouillé plus de 120 sites. Nous avions chacun notre spécialité : le Néolithique et une partie de l'âge du Bronze pour moi, le Bronze final et le Fer pour Charles Lagrand et le Paléolithique pour Henry de Lumley. Nous avons sondé systématiquement le sol des grottes et des abris sous roche des basses gorges. Il fallait faire vite car EDF commençait à construire ses barrages hydroélectriques. Les lacs allaient noyer de nombreuses cavités.
Il y en a plusieurs : la grotte Murée, la grotte de l'Église, la BaumeBaume de l'Eau, l'abri du Pont de Quinson et bien d'autres encore...
Dans la grotte Murée il y avait un important niveau du Bronze final, un niveau du Bronze moyen et au-dessous, il y avait du Campaniforme et du Chasséen. La grotte Murée est située dans les gorges de Baudinard, à la limite Var et Alpes-de-Haute-Provence. Le Verdon marque la limite entre les deux départements. Nous avons fouillé sur les deux rives. Tout ce matériel est aujourd'hui au musée de préhistoire des Gorges du Verdon à Quinson.
Dans cette grotte Murée, nous avons fait une découverte très importante. C'est une tombe d'enfant campaniforme. C'est la seule connue dans le Midi de la France. Il s'agit d'un très jeune enfant qui a été enterré avec beaucoup d'offrandes : un petit vase entier, des parures, une hache polie, des lames de silex. C'était probablement le fils d'un personnage important. Il est mort à la naissance.
Grotte Murée. Sépulture d'enfant campaniforme. © Jean Courtin
Elle s'appelait l'Eglise parce que des gens de Baudinard racontaient que pendant la Révolution, il y avait un prêtre réfractaireréfractaire qui y célébrait la messe. Et un jour nous trouvé des lambeaux de vêtement liturgique avec des broderies en argent dans une faille de rocher. Donc c'était vrai.
Et cette grotte est reconstituée dans le musée de préhistoire des gorges du Verdon à Quinson…
Oui, en partie, heureusement car les originaux ont été vandalisés. On peut y voir les peintures schématiques de la grotte. Il y a des soleils. Ce sont des peintures en rouge en général, en hématitehématite, en bauxitebauxite C'est un art qui est très représenté en Espagne, en Ardèche aussi.
C'est assez mal daté mais en général, c'est Néolithique, il y a des associations avec des objets néolithiques. C'est du Néolithique final, entre 2000 et 3000 avant notre ère.
Peinture schématique de la grotte de l'Eglise à Baudinard © Jean Courtin.
Vous avez également découvert dans cette grotte des objets néolithiques particulièrement intéressants.
Oui, par exemple une pointe de flèche d'époque chasséenne qui contenait encore des traces du goudron végétal qui servait à la fixer.
Grotte de l'Eglise à Baudinard. Pointe de flèche chasséenne © Jean Courtin.
Non pas toutes, mais certaines d'entre elles ont totalement disparu comme la Baume de l'Eau, dans les Basses Gorges, c'est-à-dire en aval de Quinson, entre Quinson et Esparron. Cette grotte contenait beaucoup de Néolithique.
Grotte de la Baume de l'eau © Jean Courtin
Oui, ce site a notamment livré un très beau vase chasséen.
Vase chasséen de l'abri du pont de Quinson © Jean Courtin
On les appelle Chasséens parce que la première fois qu'on a identifié cette poterie, c'est au camp de Chassey en Saône-et-Loire. Alors les gens s'imaginent souvent que ce sont des chasseurs, mais pas du tout, justement ils ne chassaient pas.
En Provence, nous avons une idée un peu déformée des Chasséens parce que nous avons surtout fouillé des grottes. Les Chasséens sont partout. Dans toutes les grottes. C'est la même chose pour le Bronze final. Vous ne pouvez pas faire un trou dans une grotte sans trouver du Bronze final ou du Chasséen. Mais parallèlement, les Chasséens vivaient en plein air, c'était des paysans. Ils avaient des troupeaux de moutons et des troupeaux de bœuf, des vachesvaches. On a trouvé dans leurs sites des vases à faisselle, des vases à fromage en céramiquecéramique. Ils sont les auteurs de très belles poteries...
Ils possédaient aussi une industrie du silex très élaborée, et ils recherchaient du très bon silex. Il y a un commerce du silex à grande distance. Le silex du Ventoux par exemple ou le silex du Luberon a été importé jusqu'en Languedoc, très loin, jusqu'en Italie. Les Chasséens étaient des gens qui commerçaient à grande distance.
Oui, avec le Chasséen, on trouve l'obsidienne de Lipari et de Sardaigne. Donc cela prouve que la navigation, à cette époque-là, était développée en Méditerranée. Mais elle existait déjà au Cardial. On ne trouve l'obsidienne que dans les îles, à Lipari, dans les ÉoliennesÉoliennes, en Sardaigne, en Corse, parce que c'est à côté de la Sardaigne. Et il est possible d'en déterminer la provenance par des analyse de difraction de rayons Xrayons X.
Ce sont des petites lames, quelquefois des flèches, dans le Verdon j'avais trouvé une flèche. En général se sont des petites lamelles. Ces gens-là possédaient du très bon silex. Pourquoi ils ont importé de l'obsidienne ? Pas parce qu'ils manquaient de matériaumatériau.
Je pense que l'obsidienne accompagnait autre chose, un autre commerce, le sel peut-être, des coquillages... En tout cas elle était apportée par des navigateursnavigateurs qui distribuaient quelques bouts d'obsidienne. Les gens les échangeaient parce que ça brillait. C'est une roche noire qui brille et qui coupe comme du verre. C'est quelque chose d'exotiqueexotique.