Les premières civilisations se sont construites grâce à des matériaux naturels : le bois, la pierre, le cuir, l'os, la corne, le lin ou le chanvre. Nous avons ensuite connu, mais plus récemment, l'émergence des matières plastiques, puis des composites. La société moderne est envahie d'objets en matières plastiques, dans le bâtiment, l'automobile l'aéronautique, le sport ou le secteur militaire. Un objet naturel ou en matière plastique dépend des caractéristiques de la matière qui le constitue. Ainsi en est-il d'une chaise en bois ou d'un combiné téléphonique en plastique. Mais progressivement, les chercheurs et les ingénieurs ont eu le besoin d'utiliser des matériaux comportant eux-mêmes leurs propres fonctions. Des matériaux multifonctionnels capables de s'adapter à leur environnement. C'est l'avènement des matériaux intelligents, nés au début des années 80 de travaux menés principalement aux États-Unis dans le domaine de l'aérospatiale et qui concernent aujourd'hui tous les secteurs d'activités.

Piezo électricité. @ Stefan.nettesheim CC BY-SA 4.0

Piezo électricité. @ Stefan.nettesheim CC BY-SA 4.0

Depuis l'origine, les matériaux ont été classés en deux grandes catégories : les matériaux de structure qu'on utilise principalement pour leurs propriétés mécaniques (construction de bâtiments, armures...) et les matériaux fonctionnels dont la capacité à conduire le courant électrique par exemple, ou la transparence trouvent de nombreuses applications.

Grâce aux matériaux intelligents les fonctions sont inscrites dans la forme et dans la matière. Les matériaux deviennent adaptatifs et évolutifs. C'est une véritable révolution pour le XXIe siècle. Tout aussi importante que celle de la révolution de la communication ou des biotechnologies, beaucoup plus spectaculaires. Une révolution qui marque aussi le grand retour de la chimie. Discipline souvent mal connue, disposant d'une mauvaise image dans le public en raison des effets toxiques de certains produits ou des pollutions auxquelles elle peut conduire. Les matériaux intelligents célèbrent aussi le rôle grandissant des modèles biologiques dans la conception de produits nouveaux.

Copier les systèmes vivants, les micromachines moléculaires ou cellulaire, les membranes actives ou sélectives, permet d'explorer de nombreuses voies d'applications nouvelles dans le domaine médical ou de l'informatique. Les matériaux intelligents s'imposent aujourd'hui dans les secteurs les plus divers, allant du bâtiment aux équipements sportif en passant par la biomédecine, la robotique ou le secteur militaire.

Qu'est-ce qu'un matériau intelligent ? Définition et exemples d'applications

Un matériau intelligent est sensible, adaptatif et évolutif. Ils possède des fonctions qui lui permettent de se comporter comme un capteur (détecter des signaux), un actionneur (effectuer une action sur son environnement) ou parfois comme un processeur (traiter, comparer, stocker des informations). Ce matériau est capable de modifier spontanément ses propriétés physiques, par exemple sa forme, sa connectivité, sa viscoélasticité ou sa couleur, en réponse à des excitations naturelles ou provoquées venant de l'extérieur ou de l'intérieur du matériau.

Par exemple des variations de température, des contraintes mécaniques, de champs électriques ou magnétiques. Le matériau va donc adapter sa réponse, signaler une modification apparue dans l'environnement et dans certains cas, provoquer une action de correction. Il devient ainsi possible de détecter des faiblesses de structures dans le revêtement d'un avion, des fissures apparaissant dans un bâtiment ou un barrage en béton, réduire les vibrations de pales d'hélicoptère, ou insérer dans les artères des filtres qui se déploieront pour réduire le risque de dispersion de caillots sanguins.

Quelles sont les différentes catégories de matériaux intelligents considérés aujourd'hui comme classiques ? Il s'agit principalement de trois catégories de matériaux connaissant de nombreuses applications dans des secteurs divers :

les alliages à mémoire de forme (AMF), les matériaux piézo-électriques, électrostrictifs et magnétostrictifs.

Les alliages à mémoire de forme sont les plus connus.

Déformés à froid, ils retrouvent leur forme de départ au-delà d'une certaine température par suite d'un changement de phase. Le principe physique de base repose sur une transformation réversible (modification de la structure cristalline), en fonction de la température. Ces alliages sont le plus souvent fabriqués à base de nickel-titane (le Nitinol), avec différents éléments d'addition, comme du cuivre, du fer, du chrome ou de l'aluminium. Depuis la fin des années 60, l'industrie de l'armement ou de l'électronique utilise ces alliages dans des conduites hydrauliques ou des collecteurs électriques. Pour le grand public, il existe déjà des thermostats, des carburateurs, des jouets, des sculptures utilisant ces propriétés. Il existe des filtres à mémoire de forme capables de piéger les caillots sanguins dans les vaisseaux. En arrivant dans le cœur, les poumons ou le cerveau, ces caillots tuent des centaines de milliers de personnes chaque année. Les anticoagulants classiques peuvent avoir des effets secondaires, tandis que les filtres implantés nécessitent des opérations délicates. Pour réduire ces problèmes, on utilise un minuscule faisceau en alliage à mémoire de forme. Quant on le refroidit en dessous de la température ambiante, il entre facilement dans un cathéter. Mais placé sans chirurgie dans une grosse veine, il se réchauffe, se déploie et devient un filtre en forme de pomme d'arrosoir, solidement maintenu en place. Les caillots ainsi retenus finissent par se dissoudre au bout de quelques semaines.

Les matériaux piézo-électriques produisent une tension électrique lorsqu'ils subissent une contrainte mécanique.

Par exemple lorsqu'ils sont comprimés. Soumis à un courant électrique ils peuvent aussi se déformer mécaniquement. La fréquence du signal électrique et son amplitude varient directement en fonction de la déformation mécanique qu'ils subissent. Ces matériaux sont généralement constitués de céramique et plus récemment de polymères. Les plus connus sont les quartz des montres à quartz permettant d'entretenir les vibrations de base servant à la mesure du temps. On utilise aussi les matériaux piézo-électriques pour amortir des vibrations et réduire le bruit. On peut, par exemple, entourer un axe rotatif avec des matériaux piézo-électriques afin de diminuer considérablement les vibrations. On utilise aussi des polymères piézo-électriques pour des applications médicales ou pour capter des ultrasons. Une application intéressante des matériaux piézo-électriques est le contrôle de santé de certains matériaux intervenant dans la construction des carlingues d'avions ou les bâtiments en ciment. Un capteur piézo-électrique pourra détecter des défauts localisés, comme des fissures, des trous ou des impacts. Une fracture va générer en effet un bruit ou des vibrations capables d'être analysés par le capteur. Des fibres de carbone en se brisant, vont modifier la résistance du circuit électrique qu'ils constituent. En voici une application : le " ciment intelligent "

Ce ciment est doté d'une sorte de " système nerveux " qui lui permet de détecter des changements internes et de transmettre des informations à l'extérieur. Avec ce type de ciment on peut construire des ponts ou des barrages capables d'avertir les ingénieurs des zones de fragilisation aux endroits même où des fissures ou des fractures peuvent apparaître. Soumis à des stress divers, poids, vibrations, gel, tremblements de terre, les constructions en ciment peuvent céder brutalement sans qu'aucun signe n'ait pu être détecté au cours de visites préventives. La méthode classique consiste à définir et à repérer à l'avance les points supposés fragiles pour y appliquer des sondes de surveillance. Mais ces points doivent être choisis dès la construction et leur utilité pourra se réduire au cours du temps. C'est pourquoi des chercheurs de L'Université de New York à Buffalo, dirigés par le professeur D. Chung, ont eu l'idée de créer dans le ciment un véritable système nerveux à base de fibres de carbone. Ces fibres de 10 microns de diamètre et de quelques cm de long sont mélangées au ciment au moment de sa préparation. Même si elles ne représentent que 0,05 % de son volume elles accroissent sa conductibilité électrique de 10%. Ces fibres dépassent à l'extérieur ce qui assure un bon contact électrique. On peut donc placer des électrodes en n'importe quel point de la surface d'une construction en " ciment intelligent " et détecter un changement de stress. Il suffit pour cela de mesurer la résistance électrique du ciment. Désormais une alarme pourra sonner bien avant qu'un mur ne se fissure ou qu'un pont ébranlé par un tremblement de terre ne menace de s'effondrer.

Les matériaux magnétostrictifs peuvent se déformer sous l'action d'un champ magnétique.

Il en est de même des matériaux électrostrictifs qui vont subir le même type de déformation, laquelle sera proportionnelle au carré de la puissance des champs appliqués. Ces matériaux ou ces polymères vont être capables de s'adapter automatiquement à l'environnement en prenant des formes utiles en réaction à des sollicitations extérieures d'ordre acoustique vibratoire, mécanique ou thermique.

Ces trois catégories de matériaux intelligents sont les plus étudiées, mais il en existe d'autres. Notamment les fluides électrorhéologiques capables de se rigidifier sous l'action d'un champ électrique, en raison de l'orientation de certaines particules polarisables suspendues dans un liquide. On peut ainsi obtenir des liquides qui se transforment en gel avec de nombreuses applications dans le domaine biomédical notamment. Il existe aussi des polymères conducteurs ou semi-conducteurs, des polymères à transparence variable en fonction de la température ou des vitrages pouvant se colorer en fonction de certaines sollicitations extérieures. Il faut également mentionner, bien entendu, les célèbres cristaux liquides qui interviennent dans les écrans des ordinateurs portables, des téléphones ou des montres et les semi-conducteurs, qui peuvent être aussi considérés comme des matériaux intelligents.