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Le chercheur est-il l'innovateur idéal ?
Les chercheurs sont finalement appréciés sur diverses qualités : l'une est l'innovation une autre la sûreté, la fiabilité du travail que ces chercheurs produisent ; d'autres encore sont l'honnêteté intellectuelle, l'aptitude à interagir dans un groupe, l'aptitude pédagogique à transmettre ses résultats. Tous ces éléments sont d'importance comparable.
Doit-on parler d'innovation de rupture ou bien d'innovation de continuité ?
La découverte de la relativité, celle de la mécanique quantique, sont des exemples d'innovation de rupture. A un niveau plus modeste, l'affichage par cristaux liquides (sur les montres, etc ... ) est une innovation de rupture. Mais il est dangereux d'exalter la rupture, de croire qu'on va, par une idée qui soudainement tombe du ciel, bouleverser la théorie des particules élémentaires, par exemple. Je crois que c'est une mauvaise méthode de prendre ces cas comme modèles. Le plus souvent, on a besoin d'une énorme incubation, de l'acquisition d'un panorama très vaste, d'une culture variée, avant de proposer un changement.
Depuis quelques années, je vois souvent des gens qui voudraient être des inventeurs, qui m'écrivent, mais qui sont perdus car ils n'ont pas la culture de base nécessaire.
La recherche et le développement doivent-ils être uniquement au service de l'innovation et du marché ?
Le marché ne demande pas nécessairement de l'innovation. Souvent même le marché va pousser les ingénieurs de recherche à améliorer indéfiniment un produit donné. Et la pression du marché existant s'oppose à la recherche d'un produit vraiment innovant. Innovation et pression du marché ne vont pas nécessairement dans le même sens.
Toutefois, on rencontre des cas favorables. Celui que j'admire concerne l'Air Liquide, qui partait d'une technologie classique de production des gazgaz purs par la distillationdistillation. Ia compagnie a réalisé, au bon moment, qu'il existait une technologie totalement différente, celle de la filtrationfiltration sur des membranes. Pour faire accepter ce bouleversement à son propre personnel, la volonté déployée par la direction a été considérable. Les responsables ont mené cette mutation intelligemment. C'est un exemple rare.
L'innovation est bien évidemment dans les produits et les services, mais aussi dans les concepts. En biologie, les gens ne parlent plus du tout aujourd'hui avec les mêmes bases de concepts qu'il y a quinze ans. C'est aussi vrai pour nous, chercheurs de la "matièrematière molle". Il existe une nouvelle façon de classer les choses. Notre manière de travailler est très différente de ce que l'on peut enseigner dans les écoles ; elle est moins fondée sur l'exploitation numériquenumérique et détaillée d'équationséquations, mais davantage sur des raisonnements d'échelles. La nature est ainsi comprise d'une façon assez différente.
Quelle est la place de la recherche fondamentale ?
Dans nos pays, la recherche industrielle, sauf exception, c'est de la recherche à trois ans. La recherche fondamentale peut se permettre de faire de la recherche à dix ans. Une bonne politique nationale consiste à harmoniser les deux, de faire en sorte que les industries sachent déléguer les problèmes quelles ne peuvent pas prendre en charge, parce qu'ils sont à trop long terme. Les laboratoires mixtes, Université Industrie, actuellement développés par le CNRS, le CEA, etc... sont un des meilleurs lieux de dialogue pour ce, genre d'opérations.
L'innovation serait donc une histoire sans fin ?
Chaque fois qu'on a un succès, on est en danger de s'endormir dessus. D'où ce besoin très fréquent de secouer les structures. Les entreprises et les laboratoires de recherche fondamentale y parviennent avec plus ou moins de bonheur...