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    L'antimatière dans notre Galaxie (2)

    L'antimatière dans notre Galaxie (2)

    • A - Les positrons

    Notre galaxie contient des positrons, qu'on observe de manière directe comme les antiprotons, mais aussi de manière indirecte, par la radiation qu'ils émettent en s'annihilant avec les électrons. En effet, cette radiation a une énergie bien déterminée (511 keV), ce qui la rend très caractéristique. On peut ainsi cartographier, dans le ciel, la quantité de positrons dans la galaxie. Les positrons ne peuvent pas voyager très loin de l'endroit où ils sont créés (d'une part car ils sont piégés par les champs magnétiqueschamps magnétiques, et d'autre part car ils s'annihilent), et ce qu'on cartographie n'est pas très éloigné de la position des sources de positrons.

    <br />Le satellite CGRO, avec à son bord les modules <br />OSSE, EGRET, BATSE et COMPTEL.

    Le satellite CGRO, avec à son bord les modules
    OSSE, EGRET, BATSE et COMPTEL.

    Voici les cartes de l'intensité de cette radiation d'annihilation que l'on a observée. A gauche (cliquer dessus pour le lien vers Astronomy Picture of the Day), celle qui résulte de l'analyse des 9 ans d'observations du module OSSE (Oriented Scintillation Spectrometer Experiment) sur le satellite CGRO. A droite, celle provenant de 6 mois d'observations du module SPI sur le satellite INTEGRAL.

    <br />Carte de la distribution de radiation d'annihilation électron-positron dans la galaxie, prise par OSSE

    Carte de la distribution de radiation d'annihilation électron-positron dans la galaxie, prise par OSSE

    On voit sur la première image un gros point central, deux bras latéraux (dirigés le long du plan galactique) et une "cheminéecheminée verticale". Ces excroissances ont été beaucoup discutées. On pourrait penser, à première vue, que les bras latéraux sont reliés à la présence dans le disque d'éléments radioactifs par ß+. Nous allons voir tout de suite qu'il n'en est rien. En fait, nous n'allons pas beaucoup commenter cette image, pour la raison suivante : OSSE n'était pas un imageur, et l'image présentée ici a été obtenue après un traitement des données sans doute trop optimiste. On notera que l'image d'OSSE semble, à l'œilœil, plus fine que celle d'INTEGRAL, alors que la résolutionrésolution spatiale de ce dernier est en réalité beaucoup plus fine ! Le satellite INTEGRAL, avec ses résolutions spatiale et spectrale bien meilleures, n'a observé que l'émissionémission centrale, et nous n'allons concentrer la discussion sur ce point.

    <br />Image obtenue par INTEGRAL. Cette carte et celle du-dessus,  sont centrées sur le centre Galactique, et sont représentées à la même échelle.

    Image obtenue par INTEGRAL. Cette carte et celle du-dessus, sont centrées sur le centre Galactique, et sont représentées à la même échelle.

    Les processus qui conduisent à l'émission de positrons dans la Galaxie sont encore une fois les mêmes que ceux décrits dans les pages précédentes : des désintégrations radioactives et les phénomènes de haute énergie.

    • B - Les désintégrations radioactives

    Image du site Futura Sciences

    Des éléments radioactifs sont créés dans la Galaxie à chaque fois qu'une supernova explose. Ils se désintègrent ensuite et ceux d'entre eux qui subissent la radioactivitéradioactivité ß+ émettent des positrons. Un excellent exemple de ce phénomène est fourni par l'isotopeisotope Al26s de l'aluminiumaluminium. Sa désintégration produit aussi un rayonnement gamma d'énergie très caractéristique, ce qui fait qu'on peut cartographier cet élément dans le ciel (c'est ce qu'ont fait le satellite COMPTEL, lui aussi à bord de CGRO, l'Observatoire à Rayons GammaRayons Gamma Compton, puis plus récemment le satellite INTEGRAL). La figure ci-contre montre une telle carte de la distribution de l'Aluminium 26 dans notre galaxie, telle qu'observée par COMPTEL. Comme on le voit sur cette carte, ces sources de positrons sont concentrées dans le disque galactique. Ceci pourrait a priori expliquer la composante allongée dans le disque de la carte de positrons obtenue par OSSE, mais si c'était le cas on devrait observer une distribution de positrons plus étendue le long du disque : la distribution des noyaux radioactifs s'étend sur presque 90 degrés de chaque côté du disque. Pour trancher le problème, il faudra attendre qu'INTEGRAL accumule suffisamment de données pour détecter et mesurer à son tour cette composante de disque.

    • C - Les phénomènes de haute énergie

    Des positrons peuvent aussi être produits par des phénomènes de haute énergie. Par exemple, les collisions des rayons cosmiquesrayons cosmiques sur le gazgaz interstellaire produit aussi des positrons. Mais ce n'est pas tout : comme le positron est environ 2000 fois plus léger que l'antiproton, il se produit beaucoup plus facilement, et les phénomènes énergétiques qui ont lieu par exemple à la surface de notre SoleilSoleil (et donc aussi dans les événements encore plus énergétiques, comme au voisinage des pulsarspulsars par exemple) suffisent à les produire.

    <br />Eruption solaire vue dans l'ultraviolet par Soho, le 21 mars 2003. L'image de gauche représente un zoom, avec la Terre à l'échelle. Lors de ces éruptions, des paires électron-positron sont produites. Une éruption de juillet 2002 a ainsi produit 500 grammes de positrons. La quantité d'énergie libérée par l'annihilation de ces positrons suffirait à pourvoir en énergie la France pendant plusieurs jours..

    Eruption solaire vue dans l'ultraviolet par Soho, le 21 mars 2003. L'image de gauche représente un zoom, avec la Terre à l'échelle. Lors de ces éruptions, des paires électron-positron sont produites. Une éruption de juillet 2002 a ainsi produit 500 grammes de positrons. La quantité d'énergie libérée par l'annihilation de ces positrons suffirait à pourvoir en énergie la France pendant plusieurs jours..

    • D - Les positrons des rayons cosmiques et l'excès observé par HEAT

    Les rayons cosmiques contiennent aussi des positrons. Leur distribution en énergie a été mesurée plusieurs fois, en particulier par HEAT-PBAR. Le résultat est surprenant : il apparaît un excès de positrons autour d'une énergie de quelques GeVGeV. Par excès, il faut entendre que l'on comprend assez bien la distribution en énergie des positrons des rayons cosmiques, sauf aux énergies voisines de quelques GeV, pour lesquelles les modèles donnent des quantités inférieures à celles qui sont observées. Différentes hypothèses ont été proposées dans la communauté scientifique pour expliquer cet excès, mais aucune n'est complètement satisfaisante. Cette question est toujours en suspens.

    Les deux mécanismes que nous venons de décrire ne permettent pas d'expliquer la majeure partie des annihilations observées au centre de la Galaxie. Le point central dans la carte INTEGRAL ci-dessus correspond à environ 1043 annihilations/seconde, soit l'annihilation de 10 milliards de tonnes de positrons par seconde ! Le rayonnement d'annihilation a de plus quelques propriétés intéressantes. Pour commencer, la raie est fine, ce qui implique que l'émission se fait dans un environnement astrophysiqueastrophysique relativement calme. Ensuite, en étudiant plus précisément la raie d'annihilation à 511 keV, on peut montrer que l'annihilation se fait entre des électrons et positrons ayant de très faibles vitessesvitesses relatives (ils forment une association stable appelée positroniumpositronium). En effet on observe qu'une partie des annihilations donne lieu à l'émission de 3 photonsphotons, ce qui n'est possible que s'il y a formation de ce positronium.

    Passons maintenant en revue quelques-uns des mécanismes qui ont été envisagés pour expliquer cet excès.

    <br />Les supernovae peuvent créer des éléments radioactifs

    Les supernovae peuvent créer des éléments radioactifs

    - Les novæ (explosions thermonucléaires ayant lieu à la surface de naines blanchesnaines blanches accrétant de la massemasse d'un compagnon) créent du 22Na, qui se désintègre par radioactivité ß+. On pourrait imaginer que le centre galactique contienne une quantité importante de ces novæ. Cette hypothèse n'est pas satisfaisante, car cette désintégration s'accompagne, dans le cas de cet élément particulier, d'une raie gamma caractéristique à 275 keV. Or le centre galactique ne montre pas d'excès dans cette longueur d'ondelongueur d'onde...

    - Les supernovæ de type Ia synthétisent du 56Co qui se désintègre par radioactivité ß+. Ce scénario pose problème aussi car seul un faible pourcentage des positrons ainsi créés peuvent s'échapper de l'enveloppe des supernovaesupernovae et l'émission d'annihilation devrait être en grande partie réabsorbée par ces supernovæ. De plus, le centre galactique semble contenir peu de supernovæ.

    - Les hypernovæ (des supernovae d'un type particulier, résultant de l'effondrementeffondrement d'étoilesétoiles très massives) pourraient aussi produire l'élément 56sCo.

    - Le plasma qui entoure les sources compactes (comme les micro-quasarsquasars) doit créer des paires électron-positron, et on pourrait imaginer que le centre galactique contienne un nombre important de ces objets. Le problème ici, c'est que la raie d'annihilation à 511 keV n'a encore jamais été vue dans les sources compactes, et on peut mettre en doute les prédictions théoriques correspondantes.

    Le fait que l'émission se fasse par formation de positronium est important. De deux choses l'une, ou bien les positrons sont créés avec une faible vitesse (à basse énergie donc), ce qui exclut les phénomènes violents qu'on vient de décrire, ou bien ils ont été créés à haute énergie, mais dans ce cas il reste à expliquer pourquoi on n'observe pas le rayonnement qui devrait accompagner leur ralentissement !

    On le voit, cette observation d'INTEGRAL pose un problème important. Nous reviendrons à la fin sur une explication possible (mais plus spéculative) en terme de matière noirematière noire.