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La révision des lois de bioéthique
Questions à notre parrain, le professeur Axel KahnAxel Kahn, Directeur de l'Institut Cochin de GénétiqueGénétique Moléculaire, biologiste à l'INSERM et membre du Comité consultatif national d'éthique.
Question 1
Le projet de loi de révision des lois de bioéthiquebioéthique présenté à l'Assemblée nationale renonce finalement à légaliser le clonageclonage thérapeutique mais autorise les recherches sur l'embryonembryon, sous certaines conditions. Cette décision, qui constitue un retour en arrière par rapport à l'avant-projet de loi, ne sera-t-elle pas préjudiciable aux perspectives qu'offrent les thérapies géniquesthérapies géniques, notamment pour les personnes atteintes de maladies encore incurables ? Ne doit-on pas donner toutes ses chances à la recherche dans ce domaine ?
Réponse 1 : Le projet de loi gouvernemental ne limite en rien la recherche thérapeutique dans le domaine de la thérapie génique ou de la médecine régénératrice. Ce que l'on désigne parfois sous le terme de clonage thérapeutique équivaut aujourd'hui à mettre au point la méthode permettant d'obtenir un embryon humain cloné, chose que personne ne sait manifestement faire. Cette recherche n'a, à ce stade, strictement aucune conséquence thérapeutique. En revanche, la recherche se fixant pour but la caractérisation et la maîtrise des cellules souches embryonnairescellules souches embryonnaires prélevées sur des embryons congelés, dit surnuméraires, et évidemment celle des cellules souches adultes, est largement ouverte.
Question 2
Si la société semble divisée sur la question du clonage thérapeutique, il existe en revanche un large consensus en France autour de l'interdiction du clonage reproductif et le projet de loi exprime clairement cette interdiction. Or on apprend, fin novembre 2001, qu'une société américaine, Advanced Cells Technology, affirme avoir réussi à produire des embryons humains de quelques cellules en utilisant la technique de la transplantationtransplantation nucléaire, soit le clonage. Et mi-novembre, un des scientifiques impliqués dans un projet international visant à cloner le premier être humain, le docteur Zavos, a indiqué que les premiers embryons humains obtenus par clonage étaient pour " très bientôt ". Les législations adoptées dans différents pays (seulement 7 ou 8 en Europe) contre le clonage reproductif constitueront-elles un garde-fougarde-fou suffisant face à la volonté de couples ou de célibataires de devenir parents, quel qu'en soit le prix ?
Réponse 2 : L'annonce tonitruante de la société ACT, le 25 novembre, est plus un avis d'échec qu'un compte rendu de succès. Elle confirme que personne n'est capable aujourd'hui de fabriquer un embryon humain cloné. La société ACT n'est en effet parvenue, après 71 tentatives, qu'à obtenir un embryon humain dégénérant spontanément après 24 heures alors qu'il n'avait atteint que le stade de 6 cellules. Ce stade est totalement incompatible avec les perspectives de médecine régénératrice, aussi bien d'ailleurs qu'avec le clonage reproductif.
Là est d'ailleurs tout le problème. Permettre la compétition entre les meilleurs laboratoires du monde pour surmonter ces difficultés et obtenir un embryon humain cloné, c'est peut-être, de manière incertaine, permettre certaines études ultérieures à visée thérapeutique ; c'est surtout, et beaucoup plus directement, donner les moyens qui leur manquent à ceux qui ont annoncé vouloir cloner des bébés, par exemple les Raéliens, ainsi que le Docteur Antinori et ses collègues. En effet, si ces derniers sont en réalité aujourd'hui probablement incapables d'atteindre leurs objectifs, c'est avant tout parce que leur manque la technique de cette première étape.
Question 3
Justement, les " clonesclones " n'existent-ils pas déjà ? Quelle différence doit-on faire entre des êtres humains qui seraient le fruit de clonage et des jumeaux monozygotes (les " vrais " jumeaux) ?
Réponse 3 : Les vrais jumeaux correspondent en effet à des copies génétiques l'un de l'autre. L'immense différence avec la situation d'une personne adulte qui déciderait de se reproduire par clonage est celle de la sujétion. Aucun des deux jumeaux ou des deux jumelles n'a voulu l'autre à son image... En revanche, un homme et une femme se reproduisant de cette manière, prendraient la décision de créer un autre être dont ils prédétermineraient le sexe, la couleur des yeuxyeux, des cheveux... et tant d'autres caractéristiques. Même limitée à l'enveloppe corporelle, une telle maîtrise est un assujettissement.
Question 4
Le gouvernement a également renoncé à un autre aspect novateur de l'avant-projet de loi qui permettait la réimplantation dans le corps maternel, après la mort du père, des embryons congelés de son vivant dans le cadre de la procréation médicale assistée, si le père y avait consenti de son vivant. Cette interférence de la loi dans un domaine si privé ne pose-t-elle pas question, ne doit-on pas laisser la femme qui avait pris - avec son conjoint - la décision de recourir à cette technique aller jusqu'au bout de sa démarche ?
Réponse 4 : Le Comité consultatif national d'éthique était plutôt partisan de la première formulation de l'avant-projet de loi. Dans un débat remontant à quelques années, le CCNE considérait que la demande d'une femme que soit transféré dans son utérusutérus un embryon préalablement co-engendré avec un géniteur mâle décédé, pose certes de nombreuses questions morales et juridiques. Un délai important devrait être exigé de telle sorte que la décision de la femme puisse mûrir en dehors de l'émotion créée par la disparition du conjoint. Tous les éléments incertains en défaveur d'une telle solution devraient alors pouvoir être argumentés. Cependant, le CCNE considérait que si, en définitive, la femme persistait dans son intention, elle avait plus de titre que quiconque à décider du destin de cet embryon congelé.
Question 5
Le projet de loi n'aborde pas la question de l'anonymat du don de gamètesgamètes (c'est-à-dire du don de spermesperme ou d'ovocytesovocytes), alors que celle-ci avait été centrale lors de l'élaboration des lois de 1994, donnant lieu à de nombreux débats, et que des dizaines de milliers de couples infertiles sont concernés par ces techniques d'insémination avec donneur ou donneuse. L'anonymat du don de gamètes protège le donneur ou la donneuse mais interdit aux enfants de connaître un jour l'identité de leur père ou mère biologique. N'y a-t-il pas pourtant un droit de l'enfant à connaître sa filiation génétique ?
Réponse 5 : Le problème de l'anonymat des donneurs de gamètes est chaudement discuté. Personnellement, je crains parfois que la revendication virulente de la vérité des origines procède d'une biologisation extrémiste de la filiation humaine. Rappelons quand même, le généticiengénéticien que je suis le sait, que près de 6 % des enfants ne sont pas issus de leur père officiel... Lorsque cette situation biologique n'est pas associée à une tension particulière au sein du couple, elle ne perturbe en rien la qualité de la filiation entre le père officiel et l'enfant...
Question 6
Dans un domaine différent, le projet de loi indique que l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne décédée ne pourra pas se faire en cas d'opposition expressément manifestée par celle-ci de son vivant, ce qui rappelle l'affaire " Yves Montand ". Si cette précision de la loi permet d'assurer le respect du principe du consentement de la personne par-delà son décès et du principe de l'intégritéintégrité du corps humain, ne s'oppose-t-elle pas, là aussi, au droit de l'enfant à connaître sa filiation et ne fait-elle pas prévaloir la volonté des morts sur celle des vivants ?
Réponse 6 : Cette modification de la loi de bioéthique est absolument évidente. On peut certes décréter que l'examen des empreintes génétiquesempreintes génétiques d'une personne ne nécessite pas son accord explicite même pour une procédure civile, par exemple, une requêterequête en recherche de filiation. Telle n'a pas été la décision du législateur. Dès lors, il est bien évident que le consentement explicite exigé du vivant d'une personne ne peut pas perdre immédiatement toute valeur dès lors qu'elle est morte. Ce serait là remettre gravement en cause un pan gigantesque du droit français fondé sur le respect de la volonté des personnes après leur mort : droit de l'héritage, refus de dons d'organes, etc.