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L'aimant américain - Le Japon au quotidien
- L'aimant américain
15% des doctorats présentés par des étrangers aux Etats-Unis le sont par des Européens. Environ 75% de ceux-ci demeurent ensuite outre-Atlantique. Crédits généreux pour la recherche, infrastructures "up to date", ambiance internationale, hiérarchie sans pesanteur et bureaucratie minimaliste... L'Amérique a beaucoup pour plaire. Mais c'est l'Amérique.
"La Force des USA, c'est nous", estime un jeune thésard français dans une étude réalisée par le CNRS (.Erwan Seznec et Dominique Martin-Rovet, Etat des lieux 2000 sur la présence des Français en science et ingénierie aux Etats-Unis - Les cerveaux, fous d'Amérique? Pas vraiment..., édition du CNRS) Edelgard Bulmahn, ministre fédérale allemande de l'éducation et de la recherche, ne le contredirait pas. L'enquête commandée par ses services (La relève allemande aux USA, réalisée par le Centre de recherche sur l'innovation et la société (CRIS)) indique que sur les 11 000 Allemands ayant obtenu leur doctorat en 1998-1999 dans leur mère patrie, 1 000 sont partis en post-doctorat outre-Atlantique grâce à un financement de leur pays.
Celui-ci, après la Chine et le Japon, est un des premiers « fournisseur de cerveaux » des Etats-Unis. De 1990 à 1998, les foreign scholars (post-PhD, assistant professors, research fellows) allemands y sont passés de 5,2% à 7,2%. Bien souvent, après avoir réalisé un doctorat dans leur université d'origine, les jeunes Européens reçoivent de leur directeur de thèse ou de leur laboratoire des pistes de post-doctorat. Destination : l'Amérique du Nord. Pourquoi cette force d'attraction? Les raisons en sont connues. "Meilleur salaire, environnement de recherche plus stimulant, développement personnel, apprentissage de l'anglais", synthétise Marco Albani, post-doctorant à l'université de Harvard. Cet Italien fait également remarquer qu'il y a "moins de bureaucratie et la possibilité de travailler de façon indépendante".
- Initiation chez les VIP
Les Etats-Unis demeurent, pour beaucoup, une sorte de plongée initiatique dans la recherche. Comparable, peut-être, au voyage à Rome des peintres d'antan. "J'ai souvent pensé aux Etats-Unis, surtout depuis que les chercheurs et les équipes les plus intéressantes, dans ma discipline, y sont installés. Mais ma situation familiale - je suis marié avec bonheur à une femme qui mène sa carrière et j'ai un enfant - m'en a dissuadé" (Rami Olavi Vainio, assistant en sciences physiques à l'Université de Turku - Finlande).
"L'Amérique est fondée sur une tradition d'immigration et facilite depuis longtemps la mobilité des chercheurs. En outre, les USA sont une des meilleures régions du monde sur le plan de la recherche scientifique, et cela dans toutes les disciplines. Oui, je pense sérieusement à m'y rendre" (Shuo-Wang Qiao, doctorante en immunologie norvégienne). "J'aimerais y séjourner un ou deux ans, peut-être y revenir plusieurs fois, mais je ne voudrais pas y passer ma vie. Pas en raison de l'environnement de la recherche, mais à cause de l'American way of life" (Fabio Monforti Ferrario, chercheur à l'ENEA - Agence italienne de l'énergie et de l'environnement - Bologne).
C'est en mission temporaire, dans le cadre des relations de coopération internationale du CERN, qu'Alison Lister s'envolera bientôt vers Chicago. "Je pars pour un an. Avant que le nouvel accélérateur de particules de Genève ne se construise, l'unique machine comparable au monde, sur laquelle je peux expérimenter et traiter les données réelles spécifiques pour mes recherches, se trouve près de Chicago. C'est donc le seul moyen pour moi de poursuivre une analyse qui pourra certainement être utile pour notre travail qui se prolongera ensuite, ici en Suisse, avec de nouveaux détecteurs."
- L'argent peut faire le bonheur
Quelles que soient les intentions et les systèmes d'échange, les chiffres sont parlants (voir encadré). Actuellement, près de 75% des Européens ayant réalisé un doctorat aux Etats-Unis s'y installent (contre 49% en 1990). Deux tiers d'entre eux trouvent un emploi rapidement. Les salaires sont d'un fort bon niveau et les possibilités de carrière aussi réelles dans le monde académique que le secteur privé. A l'inverse de l'Europe, l'industrie est d'ailleurs l'employeur scientifique le plus important du pays : elle finance 66% de la R&D et en exécute encore davantage (74%) grâce aux contrats publics.
"L'Europe et ses chercheurs ont des idées mais manquent cruellement de moyens financiers et humains pour les concrétiser", fait remarquer Michèle Gué, enseignante-chercheuse à l'Université de Montpellier II (FR). Et de rappeler le vingtième anniversaire de l'identification du virus du sidasida par le professeur Luc MontagnierLuc Montagnier - qui n'en travaille pas moins aujourd'hui aux Etats-Unis - et son équipe de six personnes à l'Institut Pasteur. "Les Américains ont su sortir l'artillerie lourde - les fonds nécessaires et plus de 50 chercheurs - pour le Dr Robert Gallo." Et c'est vrai que "l'Amérique" ne rechigne pas sur le financement de la recherche. Un seul exemple : entre 1998 et 2003, le budget des National Institutes of Health (institut fédéral chargé de la recherche biomédicale) aura été multiplié par deux.
- Copier n'est pas jouer
Faudrait-il, pour autant, imiter les Etats-Unis? "Je ne suis pas partisane d'un copier/coller des pratiques américaines. La recherche européenne possède des spécificités à préserver, poursuit Michèle Gué, qui a réalisé son doctorat aux USA et y a séjourné plusieurs années. "Je prendrais pour exemple la possibilité d'explorer différentes pistes. Dans la recherche publique américaine, le système des grants impose de travailler et publier sur un thème très précis, pour lequel ces fonds sont alloués. Cette règle est stricte et il ne s'agit pas de sortir du cadre fixé. En Europe, au contraire, il est possible d'ouvrir une perspective, en cours de projet, vers un chemin qui n'avait pas été envisagé. Quoiqu'il en soit, dans un contexte qui tendrait plutôt à l'uniformisation, la diversité des approches est une richesse nécessaire pour faire avancer la science."
- Le Japon au quotidien
Il n'y a pas que les USA. Le Japon, troisième pôle de recherche mondial, particulièrement dynamique, offre aux jeunes chercheurs l'occasion d'y réaliser des plongées passionnantes - et déroutantes. Allemand, Jens Nieke a pris la direction de Tokyo.
Tokyo, quelque 30 millions d'habitants dans sa plus large acceptation (aire métropolitaine), 100 km de diamètre, une population d'une densité inimaginable où deux millions de personnes transitent chaque jour dans la gare la plus trépidante du monde (Shinjuku). "Mais Tokyo est une ville fascinante. Les gens sont cordiaux, positifs, toujours occupés. Tokyo est une ville sécurisante. L'ancien et le nouveau s'y côtoient, on peut trouver trois générations vivant dans la même maison ou voir des temples millénaires à côté d'architecture postmoderne. Le Japon est un laboratoire sur l'avenir de l'humanité - des programmes d'exploration de l'espace à la robotiquerobotique en passant par le problème de comment survivre dans la déflation, qui commence à se poser également en Europe."
En 2000, à l'époque où il était doctorant à Berlin, Jens Nieke travaillait parallèlement au Centre aérospatial allemand DLRDLR (Deutschen Zentrum für Luft - und Raumfahrt). "C'est là que j'ai rencontré un scientifique senior d'un des laboratoires d'observation de la Terreobservation de la Terre de la NASDA, qui m'a invité à venir au Japon. Ce voyage a été possible grâce à une bourse du programme européen Inco pour un séjour de deux ans. J'ai ensuite continué mes recherches avec un poste de visiting scientist."
La NASDA concrétise l'une des ambitions du Japon, second pays (après les Etats-Unis) en termes de budget de recherche spatiale : 2 500 millions d'euros en 2001 pour avancer dans les domaines des fuséesfusées, de la réalisation du module Kibo pour la station internationale et des systèmes satellitaires. Jens Nieke travaille notamment sur le programme Adeos-2, satellite d'observation de la Terre dont le prédécesseur a été lancé en novembre 2002.
"J'étudie l'étalonnage et la validation du GLI (Global Imager) qui est un des senseurssenseurs clés pour la recherche sur le climatclimat et l'analyse des paramètres géophysiques des océans, de l'atmosphèreatmosphère, des continents et de la cryosphèrecryosphère." Il dirige parallèlement un projet de l'ESAESA pour comparer les données fournies par le nouveau satellite européen Envisat et par Adeos-1 avec celles d'autres senseurs internationaux.
"D'une manière générale, la communication entre les visiting scientists et leurs collègues japonais, qui travaillent de façon très intensive, n'est pas évidente. Le plus souvent les visiting ont seulement des rapports avec leur superviseur, quelques fois par mois. Cela rend le travail solitaire, mais c'est parfois ce que recherchent les scientifiques. L'atmosphère est différente à la NASDA, qui recrute les meilleurs ingénieurs et physiciensphysiciens de tout le pays. Ceux-ci ont fréquemment passé un an aux Etats-Unis ou en Europe et ont donc l'esprit plus ouvert que leurs collègues d'autres laboratoires. L'environnement est donc très agréable. D'un autre côté, la charge de travail est assez pesante, car la NASDA se lance dans un programme spatial ambitieux avec peu de personnes. Cette situation est finalement très positive en termes de carrière. Nous pouvons travailler seul sur un problème, alors que vous pouvez trouver une trentaine de chercheurs aux Etats-Unis ou une dizaine en Europe sur un même type de question."