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    Le concept de fractale permet d'avoir un regard nouveau sur un domaine étudié depuis plus longtemps mais difficile sur le plan théorique et important sur le plan pratique : le chaos déterministe.

    Fractales de Mandelbrot. © Ondrej Karlik, CC by-nc 3.0
    Fractales de Mandelbrot. © Ondrej Karlik, CC by-nc 3.0

    Les notions de fractales et de chaos sont souvent associées, au point que la confusion est souvent faite entre ces deux domaines. Ceci s'explique par deux raisons. D'une part le livre de Gleick La théorie du chaos, vers une nouvelle science a joué, pour la diffusion de ces idées, un rôle au moins aussi important que celui de Mandelbrot pour les fractales, bien qu'il s'agisse là de l'ouvrage d'un journaliste scientifique et non d'un chercheur. Or, ce livre contient un chapitre important sur les fractales. D'autre part, le livre de Mandelbrot contient également un chapitre sur la turbulence.

    La confusion entre les deux notions est particulièrement bien illustrée par le livre de Michael Crichton Jurassic Park, adapté brillamment au cinéma par Steven Spielberg. Un des protagonistes important de l'histoire est Ian Malcom, mathématicienmathématicien spécialiste du chaos. Le livre est divisé en plusieurs parties appelées « première itération », « deuxième itération »... et chacune d'elles débute par une des étapes successives de la constructionconstruction d'une fractale célèbre appelée « courbe du dragon », courbe qui n'a rien à voir avec un phénomène chaotique.

    Courbe du dragon après 10 itérations.
    Courbe du dragon après 10 itérations.

    Une sensibilité extrême aux conditions initiales

    La théorie du chaos déterministe repose sur le fait que certains phénomènes, décrits par des systèmes d'équations, à première vue très classiques, se révèlent imprédictibles dans les faits parce que très sensibles aux conditions initiales. Cette expression un peu obscure signifie que la moindre différence au départ du phénomène, ou la moindre imprécision, même minime, dans la mesure des paramètres initiaux, se trouve amplifiée dans de telles proportions que l'état atteint par le système au bout d'un certain temps peut être totalement imprévisible. Pour prendre une comparaison à peine exagérée, imaginons un artilleur qui pointe son canon sur une cible : il sait que la précision de son tir dépend de la précision de ses réglages, mais il sait aussi que l'erreur par rapport à la cible est proportionnelle à l'imprécision de ses réglages. En d'autres termes, il peut s'attendre à ce que l'obus tombe un peu à côté de la cible, mais en aucun cas à ce que l'obus tombe derrière lui ! Or, c'est ce qui pourrait se produire si le tir était un phénomène chaotique. Ceci est dû au fait que l'imprécision à l'arrivée n'est pas du tout proportionnelle à l'imprécision initiale et ceci s'explique par le fait que les équations des phénomènes chaotiques sont généralement non linéaires.

    Ceci n'a a priori rien à voir avec une définition des fractales, qu'on les considère comme des objets ayant une autosimilarité interne ou comme des objets dont la dimension de Hausdorff-Besicovitch est supérieure à la dimension euclidienne.

    Il existe pourtant deux points communs au moins entre fractales et chaos

    Le premier est que dans le cas d'un phénomène chaotique comme dans celui d'un objet fractal, il n'est pas possible, connaissant deux points, même très proches, d'interpoler la valeur exacte (ou même approchée) d'un point intermédiaire. Dans les deux cas, le point intermédiaire qu'on cherche à approximer peut en réalité se situer n'importe où. On peut s'en convaincre en pensant à la côte de la Bretagne : soient les coordonnées de deux points distants de deux kilomètres ; on peut se tromper de plusieurs kilomètres si l'on suppose naïvement qu'on peut trouver la position du point situé à mi-distance sur la côte en prenant la moyenne de la longitudelongitude et celle de la latitudelatitude des deux points. Si le point réel se situe dans un golfe ou sur un promontoire, le point ainsi interpolé peut être n'importe où sauf sur la côte (au contraire cette approximation marche très bien pour la côte aquitaine, qui n'est pas du tout fractale). On rencontre un problème similaire pour de nombreux phénomènes chaotiques, par exemple dans l'écoulement chaotique d'un fluide où l'on voit s'entremêler des grands et des petits tourbillonstourbillons.

    Le second point commun est plus abstrait. Il a trait à une représentation de l'évolution des phénomènes dans ce qu'on appelle un espace de phase. En gros, on représente habituellement un mouvement dans le temps et dans le système de coordonnées de l'espace qui nous est familier. Or, il y a une autre manière de représenter l'évolution d'un phénomène : si celui-ci dépend de variables on peut choisir un système de coordonnées avec une dimension pour chaque variable. Ceci conduit souvent à des espaces à plus de trois dimensions, mais ce n'est pas un problème pour le raisonnement sauf que ce n'est pas représentable graphiquement. À chaque instant l'état du phénomène est représenté par un point dans cet espace fictif et l'ensemble de ces points dessine une figure qu'on appelle un attracteur. La théorie montre que dans l'immense majorité des cas ces attracteurs sont très simples. Par exemple, l'attracteur pour un pendule simple non amorti est un cercle (un des axes de coordonnées représente la distance de l'extrémité par rapport à la verticale, et l'autre la vitessevitesse à chaque instant). Au contraire, dans le cas des systèmes chaotiques, l'attracteur prend une allure très complexe dont la trajectoire ne se recoupe jamais, ce qui explique son appellation d'attracteur étrange. Or, dans beaucoup de cas (mais pas dans tous) la structure de cet attracteur est fractale.

    Un attracteur étrange dans un espace à trois dimensions.
    Un attracteur étrange dans un espace à trois dimensions.

    Il y a donc bien des points communs entre deux concepts issus de points de départpoints de départ théoriques très différents.