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L'univers est-il unique ? La question pourrait légitimement sonner comme un non-sens et le néologisme « multivers » comme un oxymore. Pourtant, cette interrogation a aujourd'hui un sens.
© NASA/JPL-Caltech/L. Cieza (University of Texas at Austin), Wikimedia commons, DP
La relativité générale, notre théorie de l'espace-temps, montre que seuls trois types de géométries sont possibles en cosmologie. On ne sait pas aujourd'hui lequel de ces trois types décrit effectivement notre univers. Mais il est intéressant de noter que dans deux de ces trois types, l'espace est infini. Si donc l'espace est infini, cela signifie nécessairement que les univers y sont en nombre infini ! Et s'il existe en effet un nombre infini d'univers, tout ce qui est possible, c'est-à-dire compatible avec les lois de la physique, doit s'y produire, et même s'y produire une infinité de fois. Il doit donc, par exemple, exister une infinité de copies à l'identique de chacun d'entre nous.
Bryce Seligman DeWitt (1923-2004) était un extraordinaire physicien théoricien surtout connu pour ses travaux de pionnier en gravitation quantique. Ils l'ont conduit à soutenir la théorie des mondes multiples d'Everett pour donner sens à ses travaux en cosmologie quantique. © Université du Texas
L'autre grande théorie physique, la mécanique quantique, n'est pas non plus en reste sur cette question des univers multiples. Les objets quantiques, généralement microscopiques, peuvent se trouver simultanément dans plusieurs états différents. Une situation que l'on ne rencontre évidemment jamais dans le monde macroscopique classique. L'interprétation commune consiste à supposer que lors de l'interaction du petit système quantique avec un imposant système classique, un état unique est sélectionné. C'est un postulat supplémentaire qui est conceptuellement coûteux et mathématiquement disgracieux. Au contraire, l'interprétation de Everett suppose que dans une telle interaction se créeraient des univers. Des univers parallèles. Se déploieraient ainsi une myriademyriade d'univers, chacun correspondant à l'un des possibles de la physique quantiquephysique quantique.
La question des univers multiples est un thème très ancien, puisqu'on la trouve dans la littérature dès l’antiquité. Depuis quelques années, les multivers rejoignent la physique théorique et certains chercheurs sont convaincus de leur existence. © Futura-Sciences
La théorie des cordesthéorie des cordes conduit quant à elle à une quantité extraordinairement élevée de lois différentes possibles. Ces lois proviennent des manières d'enrouler les dimensions supplémentaires et, pour des raisons techniques, des flux magnétiques généralisés qui les traversent. Un résultat qui devient vertigineux lorsqu'il est pensé en parallèle de l'inflation cosmologique. Quand on la regarde de près, il semble que celle-ci crée non pas un univers, mais une arborescence d'univers-bulles. En ce sens, il s'agit donc d'une inflation éternelle. Voilà la véritable métastrate de diversité : l'inflation crée des mondes disjoints les uns des autres, et la théorie des cordes -- si elle est correcte -- les structure avec des lois physiques différentes.
Le physicien théoricien Andreï Linde a introduit le concept de l'inflation éternelle. Selon cette théorie, des univers en expansion naîtraient les uns des autres de toute éternité, avec un ensemble de lois physiques différentes pour les forces et les particules de matière. Ces lois sont tout de même déterminées par les « métalois » que sont celles des équations de la mécanique quantique et de l'espace-temps courbe. Notre univers ne serait donc qu'une bulle locale dans un multivers éternel et infini, avec création et destruction d'univers poches transitoires. © Université Stanford
Suivant cette image, les autres univers ne se contentent pas de présenter des phénomènes différents de ceux qui nous sont accessibles, mais ils sont également régis par d'autres lois physiques ! Tout ou presque devient alors possible : des mondes où la gravitationgravitation est répulsive, des mondes à dix dimensions, des mondes de lumièrelumière, des mondes de matièrematière. C'est ici qu'intervient, pour tenter d'appréhender l'architecture globale du multivers, le principe anthropique. Contrairement à ce qui est parfois supposé, celui-ci ne constitue en rien un retour à l'anthropocentrisme précopernicien ou une explication théologique. Au contraire, il invite seulement à tenir compte du fait que nous ne pouvons pas nous trouver n'importe où dans ce multivers. C'est un principe de précautionprincipe de précaution. De la même manière que notre planète, la Terre, est évidemment un environnement hospitalier qui n'est pas représentatif de l'ensemble de notre univers, notre univers est certainement régi par des lois favorables à l'apparition de la vie qui ne sont sans doute pas représentatives de l'ensemble du multivers. C'est un principe d'humilité. À la question importante de savoir pourquoi les lois de la physique semblent si miraculeusement adaptées à l'existence de la complexité, la réponse devient alors : parce qu'ailleurs les lois sont autres et, en tant que structures complexes, nous nous trouvons nécessairement dans une zone du multivers qui autorise une telle complexité. Autrement dit : si on ne joue qu'une fois au Loto, on a peu de chance de tirer la combinaison gagnante (celle conduisant, par exemple, à la possibilité d'une biologie et d'une chimiechimie élaborées), mais si on joue une infinité de fois, il y a nécessairement des moments où celle-ci doit sortir. C'est un déplacement fondamental dans la manière de penser la physique.
La théorie des boucles conduit, elle aussi, à une forme de multivers. Il n'est pas ici spatial ou parallèle, il est temporel. Les mondes se succèdent les uns aux autres. Gardant, éventuellement, une furtive mémoire du cycle précédent. Un univers en rebond qui se contracte, puis se dilate. Une seule fois ou une infinité de fois, suivant la valeur des paramètres du modèle. Cette nouvelle cosmologie est bien évidemment dangereuse. Incertaine. Spéculative. Comme toute pensée innovante. Mais c'est un risque qui, je crois, mérite d'être couru.