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    La plupart des galaxies sont regroupées dans des amas, auxquels elles sont liées gravitationnellement : l'ensemble de l'amas attire et retient chacune des galaxies. L'observation approfondie des amas montre qu'ils contiennent aussi une grande quantité de gaz. Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour estimer la masse de ces amas, et toutes les mesures s'accordent pour indiquer qu'elle est plus grande que celle des galaxies et du gaz réunis.

    Amas de galaxies. © Yuriy Mazur, Adobe Stock
    Amas de galaxies. © Yuriy Mazur, Adobe Stock

    Il semble donc que ces objets contiennent une grande quantité de masse sous une autre forme, que l'on appelle matière noirematière noire. Les amas de galaxies constituent des objets de choix pour étudier le problème de la matière noire, car on peut étudier leur distribution de masse par plusieurs méthodes indépendantes :

    • le mouvement de leurs galaxies ;
    • les propriétés du gaz chaud qu'ils contiennent ;
    • les phénomènes de lentilles gravitationnelleslentilles gravitationnelles qu'on y observe ;
    • la perturbation du rayonnement de fond cosmologique qu'ils induisent (effet Sunyaev Zeldovitch) ;
    • modélisationmodélisation de leur formation par effondrementeffondrement gravitationnel d'inhomogénéité primordiale.

    Les mouvements des galaxies dans les amas

    Tout d'abord, au sein de chaque amas, les galaxies se déplacent. Leur mouvement est déterminé par les forces de gravitationforces de gravitation auxquelles elles sont soumises, et donc à la masse environnante (nous reviendrons en détail dans la page consacrée aux galaxies sur la relation entre le mouvement et la distribution de masse). L'analyse des vitessesvitesses permet donc d'obtenir des renseignements sur la masse des amas. Ceci a conduit Zwicky, dès 1933, à mettre en évidence un problème dans l'amas de Coma, la masse estimée de cette façon étant bien supérieure à la somme des masses des galaxies qu'on y observe. Notons qu'à l'époque, le concept de matière noire n'était absolument pas connu, celui-ci ne fera son apparition que dans les années 1970.

    Images de l'amas de Coma (1 Mpc de côté) en visible (à gauche) et en rayons X (à droite). L'image en visible montre principalement les galaxies, celle en rayons X principalement le gaz chaud, qui occupe l'espace entre les galaxies. D'autres types d'observations mettraient-ils en évidence une troisième composante ?
    Images de l'amas de Coma (1 Mpc de côté) en visible (à gauche) et en rayons X (à droite). L'image en visible montre principalement les galaxies, celle en rayons X principalement le gaz chaud, qui occupe l'espace entre les galaxies. D'autres types d'observations mettraient-ils en évidence une troisième composante ?

    On peut envisager plusieurs causes à ce problème :

    • les mesures sont fausses ou mal interprétées ;
    • il y a de la masse sous une forme peu lumineuse, c'est la matière noire ;
    • les formules utilisées sont fausses, et la théorie qui nous les donne n'est pas valide...
    • depuis, les observations de Zwicky ont été largement confirmées et le même problème a été mis en évidence dans la plupart des amas ! La première hypothèse peut donc être écartée.

    Les autres types d'observations que nous avons mentionnés plus haut nous amènent aux mêmes conclusions, continuons à les passer en revue.

    L'émission en X du gaz chaud

    Les amas de galaxies ne contiennent pas juste des galaxies, un grand nombre d'entre eux est rempli de gaz extrêmement chaud (10-100 millions de degrés) et de faible densité (1.000 particules/m3). Ce gaz est distribué de façon beaucoup plus diffuse et étendue que les galaxies, comme le montre par exemple l'image précédente ; il remplit l'espace entre les galaxies et constitue la composante dominante des amas, représentant une masse bien plus importante que les galaxies elles-mêmes. À ces températures, il est totalement ionisé, il s'agit d'un plasma. L'état thermodynamiquethermodynamique de ce gaz peut nous apprendre plusieurs choses sur l'amas. Pour cela, adoptons une hypothèse courante dans ce domaine et supposons que le gaz est en équilibre hydrostatique. Ceci signifie qu'il n'y a pas de grands mouvements d'ensemble et donc que les forces de pressionpression sont parfaitement équilibrées avec les autres forces présentes. Dans ce cas, le gradientgradient de pression dans le gaz est relié à la pesanteur locale, selon l'expression connue de tout étudiant qui affronte la statique des fluides (mais que vous pouvez passer allègrement si vous n'êtes pas à l'aise avec les formules) :

    Image du site Futura Sciences

    Or, on peut calculer la pression du gaz pourvu que l'on connaisse la température et la densité (dans le cas des gaz parfaitsgaz parfaits, souvent adapté dans ce contexte, la pression est proportionnelle à la densité de masse et à la température). Ces deux grandeurs peuvent être mesurées en étudiant le rayonnement thermiquerayonnement thermique émis par ce gaz, qui se trouve principalement dans la gamme des rayons Xrayons X à ces températures. On peut en tirer deux sortes d'information : d'une part les propriétés spectrales (la décomposition en longueurs d'ondelongueurs d'onde) révèlent la température TT du gaz, alors que l'intensité du rayonnement (la quantité totale d'énergieénergie reçue) permet de remonter à la densité de gaz émetteur. Les progrès de ce type d'observations ont naturellement suivi ceux des détecteurs de rayons X. Après les précurseurs SAS1, ArielAriel-V, Exosat, Ginga, Rosat, etc., les derniers instruments en piste XMM-NewtonXMM-Newton et ChandraChandra (aux caractéristiques assez complémentaires au niveau sensibilité spectrale - capacité à déterminer l'énergie de la radiation reçue, et résolutionrésolution angulaire - capacité à distinguer des sources proches) permettent d'obtenir des spectresspectres de différents points des amas. On dispose maintenant d'une résolution suffisante pour produire des cartes détaillées de température et de densité dans les amas, et donc de déterminer la répartition de la masse dans l'amas.

    Le résultat est que la masse visible (essentiellement le gaz) constitue environ 10 % de la masse totale des amas.

    Les observations permettent aussi de s'assurer que l'hypothèse d'équilibre hydrostatique est vérifiée. Dans les quelques cas où elle ne l'est pas, c'est qu'il s'est passé quelque chose de violent dans un passé relativement récent. Les écarts à cet équilibre permettent alors de comprendre l'évolution passée de l'amas, par exemple de retracer l'histoire d'une collision avec un autre amas.

    Émission X dans l'amas de Fornax vu par Chandra (à gauche), et dans l'amas de Coma vu par XMM-newton (à droite).
    Émission X dans l'amas de Fornax vu par Chandra (à gauche), et dans l'amas de Coma vu par XMM-newton (à droite).

    Les lentilles gravitationnelles

    On peut aussi mesurer la quantité de masse dans les amas en mesurant directement le potentiel gravitationnel, grâce à l'effet de lentille gravitationnelle. Cet effet est dû à la déviation des rayons lumineux par les objets massifs, et se traduit par une déformation de l'image d'un objet lointain quand un corps massif s'interpose entre cet objet et l'observateur sur Terre. On distingue habituellement deux situations : les lentilles faibles (weak lensing en anglais), pour lesquelles les images sont simplement déformées, contractées dans la direction de l'objet massif ; les lentilles fortes (strong lensing) pour lesquelles les images sont dédoublées, une seule source apparaissant sous l'aspect de plusieurs arcs (voir figure ci-dessous). L'étude de ces lentilles gravitationnelles permet de sonder la masse des amas, avec une particularité intéressante : cet effet est sensible à l'ensemble des masses présentes, indépendamment de leur nature. Les résultats de ces analyses sont très proches de ceux que donne l'étude de l'émissionémission X du gaz chaud : la matière visible (gaz et galaxies) représente, encore une fois, environ 10 % de la masse responsable des effets de lentille. En fait, il est possible d'aller plus loin et de produire des cartes de densité de la matière noire dans les amas. On se rend alors compte que la matière noire est distribuée de façon beaucoup plus diffuse que le gaz, lui-même moins concentré que les galaxies.

     À gauche, émission en X (pan de gauche, vue par Chandra) et lentilles gravitationnelles (pan de droite, images HST : Abell 2390 en haut, MS2137.3-2353 en bas). Ces deux amas sont situés respectivement à 2,5 et 3,1 milliards d'années-lumière. À droite, autre image de lentilles gravitationnelles. Les objets bleutés sont plusieurs images d'un même objet situé loin derrière l'amas visible en avant-plan. Voir illustration suivante.
     À gauche, émission en X (pan de gauche, vue par Chandra) et lentilles gravitationnelles (pan de droite, images HST : Abell 2390 en haut, MS2137.3-2353 en bas). Ces deux amas sont situés respectivement à 2,5 et 3,1 milliards d'années-lumière. À droite, autre image de lentilles gravitationnelles. Les objets bleutés sont plusieurs images d'un même objet situé loin derrière l'amas visible en avant-plan. Voir illustration suivante.
    Trajet de la lumière (traits turquoise) qui nous vient de la galaxie d'arrière-plan. Les rayons lumineux sont courbés par le champ gravitationnel de l'amas d'avant-plan et semblent nous provenir d'autres directions (traits gris).
    Trajet de la lumière (traits turquoise) qui nous vient de la galaxie d'arrière-plan. Les rayons lumineux sont courbés par le champ gravitationnel de l'amas d'avant-plan et semblent nous provenir d'autres directions (traits gris).

    L'effet Sunyaev-Zeldovitch

    Les récents développements des techniques d'observation du rayonnement de fond cosmologique (CMBCMB dans la suite, acronyme anglo-saxon pour Cosmic Microwave Background) fournissent une nouvelle méthode pour mesurer la quantité de matière contenue dans les amas. En deux mots, le CMB est un rayonnement électromagnétique de basse fréquencefréquence (comparée à la lumièrelumière) qui baigne l'ensemble de l'Univers. C'est la lumière émise lorsque les premiers atomesatomes se sont formés, la disparition de presque toutes les charges libres ayant rendu l'UniversUnivers transparenttransparent, la lumière présente étant alors capable de se propager sur de très longues distances (voir la page suivante pour plus de détails). Du fait de l'expansion de l'Univers, cette lumière a été fortement décalée vers le rouge, et apparaît maintenant dans le domaine des micro-ondes.

    Or, ce rayonnement peut interagir avec la matière qu'il rencontre sur son trajet. En particulier, quand il traverse une zone suffisamment chaude pour que la matière soit présente sous forme de plasma, comme dans le cœur des galaxies, il peut interagir avec les électronsélectrons libres. Ceci a un effet observable : le spectre du CMB est modifié. Ceci s'appelle l'effet Sunyaev-Zeldovitch. En observant puis en analysant en détail la distorsion du spectre du CMB, on peut en déduire plusieurs caractéristiques du milieu, en particulier sa densité d'électrons ainsi que sa température. Ces informations sont donc tout à fait complémentaires de celles fournies par l'étude de l'émission X du gaz chaud.

    Images de l'amas A3667. Au milieu, image en X obtenue par ROSAT, à gauche perturbation de la température du CMB due à cet amas. À droite, vue combinée de plusieurs observations différentes de ce même amas (Effet Sunyaev Zeldovitch, rayons X et lentilles gravitationnelles). © Melanie Johnston-Hollitt
    Images de l'amas A3667. Au milieu, image en X obtenue par ROSAT, à gauche perturbation de la température du CMB due à cet amas. À droite, vue combinée de plusieurs observations différentes de ce même amas (Effet Sunyaev Zeldovitch, rayons X et lentilles gravitationnelles). © Melanie Johnston-Hollitt

    Formation des amas de galaxies

    Les trois types d'observations qui précèdent donnent une indication directe de la masse des amas. De forts indices nous sont fournis par une quatrième approche : comme nous le rappellerons plus en détail plus loin, la cosmologiecosmologie permet d'étudier la formation des amas de galaxies par l'effondrement gravitationnel d'inhomogénéité du fluide primordial. Les détails de cet effondrement dépendent fortement de la composition de l'Univers, et là encore, de façon très remarquable, les scénarios cosmologiques ne s'accordent avec les observations que si l'Univers est constitué d'une grande quantité de matière noire. Nous reviendrons plus loin sur les simulations cosmologiques et les informations qu'elles peuvent fournir sur les propriétés de la matière noire.

     Simulation cosmologique de formation des amas de galaxies, pour différents modèles cosmologiques. Chaque ligne représente l'évolution dans le temps de la distribution de matière noire (les zones plus concentrées sont plus claires) pour un type de modèle donné (Lambda CDM, SCDM, etc.), les images étant séparées de quelques milliards d'années. (source : Virgo, réalisé par Joerg Colberg)
     Simulation cosmologique de formation des amas de galaxies, pour différents modèles cosmologiques. Chaque ligne représente l'évolution dans le temps de la distribution de matière noire (les zones plus concentrées sont plus claires) pour un type de modèle donné (Lambda CDM, SCDM, etc.), les images étant séparées de quelques milliards d'années. (source : Virgo, réalisé par Joerg Colberg)

    Résumé

    La matière visible des amas (le gaz et les galaxies, ces dernières ne représentant qu'une faible fraction de la masse de gaz), ne compte que pour environ 10 % de leur masse gravitante.