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C'est le philosophe et mathématicienmathématicien tchèque Bernard Bolzano (1781-1848) qui, affrontant le paradoxe de la réflexivité, ouvre vraiment la voie à ce qui est aujourd'hui notre conception de l'infini.
« Je suis tellement pour l'infini actuel qu'au lieu d'admettre que la nature l'abhorre, comme l'on dit vulgairement, je tiens qu'elle l'affecte partout, pour mieux marquer la perfection de son Auteur. » Leibniz. Cette citation est placée en exergue de l'ouvrage de Bernard Bolzano Les Paradoxes de l'infini, publié seulement après sa mort, en 1851.
Ce dernier franchit une étape mathématique décisive en défendant avec conviction l'idée d'un infini actuel, et non pas seulement potentiel (voir page 2 de ce dossier). Son statut ontologique serait exactement le même que celui des autres nombres (finis), et les mathématiques pourraient le manipuler aussi bien que n'importe quel autre objet mathématique.
Un tel infini, concernant les ensembles et les grandeurs, serait un objet quantitatif, muni d'une parfaite légitimité, à la différence de l'infini qualitatif des philosophes. Bolzano espère ainsi établir « sur un sol mathématique » la métaphysique de l'infini. Il considère, même si c'est de manière encore non formalisée, le concept « d'ensembles infinis comme des totalités achevées et non plus comme des successions non finies ».
Le paradoxe de la réflexivité
L'un de ses apports essentiels consiste à récuser le caractère paradoxal des paradoxes de l'infini : ils n'existent que tant que l'on tente d'appliquer des concepts finitistes à l'infini. Au contraire, Bolzano énonce que les propriétés considérées comme paradoxales doivent être utilisées pour définir l'infini. Il propose ainsi d'utiliser la propriété apparemment la plus paradoxale, celle de la réflexivité, comme la caractéristique des totalités infinies (ce qui revient à abandonner, pour les totalités infinies, le principe du tout et de la partie). Un argument utilisé jadis pour réfuter l'infini devient ainsi la propriété définissant les ensembles infinis !
La solution du paradoxe de la réflexivité est rendue parfaitement claire par le fait que la relation ensembliste « est contenu dans » ne doit pas être confondue avec la relation « avoir une taille plus petite que ». Les nombres carrés sont contenus dans les nombres entiers, mais en tant que totalité, ils ont la même taille. Il est bien vrai que si l'ensemble A est contenu dans l'ensemble B, alors la taille de A ne peut être supérieure à celle de B, mais si A et B sont infinis, leurs tailles peuvent être égales... Dans ces conditions, c'est alors le fini qui est défini de manière privative, par le fait qu'il ne possède pas cette propriété de réflexivité.
Bolzano : pas un seul mais plusieurs infinis
Autre idée fondamentale : celle qu'il y a non pas un seul mais plusieurs infinis. Si l'infini était unique, le nombre infiniment grand serait le plus grand de tous, ce qui est impossible. Bolzano considère la multiplicité comme condition d'existence de l'infini. Cela permet d'envisager concrètement l'idée d'infinis quantitatifs et de calcul dans l'infini.
Mais les calculs de Bolzano, s'ils préfigurent ceux dont nous avons l'habitude, sont encore confus et imparfaits. Il appartiendra à Richard Dedekind (1831-1916) et, surtout, à Georg CantorGeorg Cantor (1845-1918) de mettre en forme et développer les idées de ce génial précurseur.