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Une des découvertes les plus importantes de l'astrophysique contemporaine, par ses conséquences fondamentales sur la cosmologie et la physique des particules, fut la mise en évidence qu'un type de matière, autre que la « matière ordinaire » que nous connaissons, existerait et jouerait un rôle essentiel dans le cosmoscosmos. Il s'agit de la « matière noire ».
La matière noire, ou matière sombre, est ainsi baptisée car elle n'émet aucun rayonnement électromagnétique et n'est détectable que par ses effets gravitationnels.
Zwicky et la matière noire, ou masse manquante
L'idée de matière noire (on parlait alors de massemasse manquante ou de masse cachée) fit irruption avec les travaux de l'astronomeastronome suisse Zwicky dans les années 1930. Ce dernier, étudiant la dynamique des galaxiesgalaxies situées au sein de l'amas de galaxiesamas de galaxies ComaComa, dans la constellationconstellation de la Chevelure de Bérénice, voulut comprendre pourquoi les vitessesvitesses des galaxies de cet amas avaient des valeurs très élevées (on reviendra plus loin sur cette question).
En fait, cette question de la matière noire comme constituant de l'UniversUnivers a pris une ampleur considérable au cours des dernières décennies. On peut maintenant évoquer trois grandes questions de l'astrophysique, non encore résolues de manière satisfaisante, pour lesquelles l'existence de cette matière noire serait une réponse cohérente commune :
- la première question concerne les galaxies spirales et leur rotation ;
- la seconde concerne les vitesses des galaxies et la présence d'arcs gravitationnels dans les amas de galaxies ;
- la troisième renvoie au fabuleux destin des galaxies, à leur origine et leur évolution.
La vitesse de rotation des galaxies mesurée grâce à l'effet Doppler
Examinons d'abord le cas des galaxies spiralesgalaxies spirales dont nous allons utiliser une propriété importante : le fait qu'elles soient animées d'un mouvementmouvement de rotation sur elles-mêmes. Cette propriété est connue par l'intermédiaire d'un effet physique rencontré couramment dans la vie ordinaire : l'effet Dopplereffet Doppler.
La situation suivante est souvent prise en exemple pour expliquer l'effet Doppler : imaginez un observateur immobile au bord d'une voie TGV. Il constate que le son produit par un train qui le croise change de tonalité quand il se rapproche puis s'éloigne de lui. Le son, d'abord aigu jusqu'à ce que le TGV passe devant l'observateur, devient ensuite plus grave dès que le train s'éloigne.
En termes physiques, l'effet Doppler est une modification de la fréquencefréquence (ou de manière équivalente de la longueur d'ondelongueur d'onde) de l'onde (sonore ou autre) émise par un objet en mouvement (comme le TGV). La propriété importante de l'effet Doppler est que la variation de fréquence (ou de longueur d'onde) conduit à la mesure directe de la vitesse de l'objet par rapport à l'observateur.
Si les galaxies n'émettent pas d'onde sonoreonde sonore, elles émettent un rayonnement lumineux qui n'est rien d'autre qu'une onde (électromagnétique), donc également sujette à l'effet Doppler ! C'est grâce à cet effet qu'en observant la lumièrelumière émise par les galaxies, on détecte et mesure leur vitesse de rotationvitesse de rotation sur elles-mêmes (voir image ci-dessous).
Une galaxie spirale semble, en première approximation, être similaire à un système solairesystème solaire, les étoilesétoiles du disque tournant autour du bulbe central de la spirale comme les planètes tournent autour du Soleil (voir image ci-dessous).
Si cette analogieanalogie est valable, alors, suivant l'astronome J. Kepler se fondant lui-même sur la loi de la gravitation établie par NewtonNewton,
on devrait s'attendre à une décroissance de la vitesse au fur et à mesure que la distance au centre augmente (c'est la loi dite « de décroissance képlérienne »), comme on l'observe dans le Système solaire pour les vitesses des planètes.
Or, ce que l'on observe dans la réalité, c'est une courbe plate (voir graphique ci-dessous).
Les galaxies sont-elles faites de matière noire ?
Cette contradiction reste une des énigmes les plus irritantes de l'astrophysique moderne. Parmi les explications les plus plausibles - comme par exemple que les lois de la gravitation puissent être modifiées à ces échelles (la gravitation fait l'objet de vérifications expérimentales permanentes. La loi de Newton est actuellement bien vérifiée sur des échelles allant de 0.1 mm à 1016 m) -, l'hypothèse retenue suppose que la partie visible des galaxies n'est qu'une infime partie immergée dans un grand halo de matière noire, matière noire dont l'origine et la nature sont encore en partie incomprises et sur laquelle nous reviendrons.
Ce résultat est déjà en soi révolutionnaire, mais ce qui l'est peut-être encore plus, c'est que la masse de ce halo noir serait environ 5 à 10 fois celle de la partie visible des icebergs que sont alors les galaxies (voir image ci-dessous).
Une alternative possible à l'hypothèse de matière noire serait de supposer qu'en fait la dynamique des galaxies spirales est mal comprise, et donc leur courbe de rotation mal interprétée. Mais la solution du problème ne semble pas se trouver dans cette direction.
Ces vitesses sont donc le reflet de la masse totale du système et cette masse est a priori égale à la somme des masses de toutes les galaxies individuelles, auxquelles il faut ajouter la masse du gazgaz chaud intra-amas dont Zwisky n'avait pas connaissance. On peut estimer les masses des galaxies elles-mêmes comme la masse de toutes leurs étoiles (en première approximation, on considérera la masse de chaque étoile comme égale à celle d'une étoile typique comme le SoleilSoleil).
Mais le compte n'y est pas ! La comparaison des calculs aux mesures révèle de la masse manquante. La masse totale calculée comme étant celle des étoiles, des galaxies, et du gaz est insuffisante pour rendre compte des vitesses observées. Là encore, pour compenser le déficit de masse, il faut invoquer une quantité importante de masse cachée ou de matière noire.
Les mirages gravitationnels induiraient la présence de matière noire
Une confirmation éclatante de ce déficit de masse est apparue au cours des années 1980 avec la découverte de gigantesques arcs observés au cœur des amas de galaxies. Quelle est l'origine de ces arcs ?
Comme on le verra un peu plus loin, la relativité substitue à la force de gravitationforce de gravitation générée par une masse une perturbation locale de l'espace. Les trajectoires des particules passant au voisinage de la masse en question sont déviées. En relativité généralerelativité générale, cet effet s'applique à toutes les particules, y compris les photonsphotons, qui sont les particules associées au rayonnement électromagnétique.
En conséquence, les rayons lumineux envoyés par un astreastre éloigné (étoile, galaxie...) vers un observateur seront déviés par la matière située sur le trajet de ces rayons lumineux. Ces galaxies ou étoiles perturbatrices jouent dans ce cas le rôle de déflecteur ou de lentillelentille (voir photo ci-dessous). Il arrivera que des rayons lumineux qui n'auraient pas dû atteindre l'œilœil de l'observateur soient courbés de telle sorte qu'ils y parviendront quand même, créant un effet de mirage. Par raison de symétrie, on prédit, en cas d'alignement parfait source-lentille-observateur, la formation d'images circulaires par ces lentilles gravitationnelleslentilles gravitationnelles. En plus de la déformation des images, l'effet de lentille gravitationnelle produit une amplification de l'éclat de l'astre lointain. Les amas de galaxies peuvent ainsi être utilisés comme des télescopestélescopes gravitationnels permettant d'observer des galaxies très lointaines, difficilement détectables autrement.
Cet effet de mirage n'est pas seulement une conjecture purement théorique et l'image ci-dessous de l'amas de galaxies A2218 est certainement l'une des plus belles images obtenues par le HST. Ainsi, sur cette photographiephotographie, chaque petite structure linéaire ou circulaire est « l'image » (au sens de l'optique ordinaire) de galaxies très éloignées de l'amas, déformées et amplifiées par la masse de la matière que contient cet amas.
Mais le fait stupéfiant, en plus de leur beauté, est que, pour expliquer et rendre compte de ces effets de mirage cosmiques, il faut invoquer dans l'amas, comme pour rendre compte des vitesses des galaxies, la présence d'une quantité dominante de matière noire !
L'origine des galaxies ne pourrait se comprendre sans matière noire
Ainsi, la notion de matière noire apparaît nécessaire étant donné le déficit dans le calcul de la masse obtenue à partir du contenu visible des galaxies, ou des amas, par rapport à la masse totale de ces mêmes galaxies ou amas, masse déduite de leur dynamique ou des effets de « mirage ».
Enfin, la notion de matière noire apparaît nécessaire pour une troisième raison, qui concerne le fabuleux destin des galaxies et, en particulier, leur origine. D'où proviennent les galaxies et les amas qui peuplent le cosmos ? Où et quand prennent-ils naissance ? Quels ont été les processus à l'œuvre dans leur édification ? Ces questions sont toujours ouvertes et les astrophysiciensastrophysiciens tentent encore d'y répondre. On dispose cependant de scénarios qui, dans leurs grandes lignes, rendent compte de l'origine des galaxies et de leur évolution ultérieure.
Même si le schéma détaillé n'est pas encore complet, un résultat semble désormais inéluctable. Il semble en effet impossible, dans l'état actuel de nos connaissances, de comprendre comment les galaxies, les étoiles, puis les planètes et la vie (la matière que l'on voit) sont apparues sans supposer l'existence de matière noire, dont l'origine remonterait à l'univers primordial !
La matière noire peut-elle contrecarrer l'expansion de l'Univers ?
Une étude approfondie montre que la matière noire, en proportion beaucoup plus élevée que la matière ordinaire (dite aussi baryonique), est capable, sous l'effet de sa propre gravitation, de créer des agrégats de matière assez massifs (contrairement à la matière ordinaire en quantité insuffisante) pour contrecarrer efficacement, à un moment donné, l'expansion de l'Univers, expansion qui tend à diluer la matière de manière inexorable.
Ces premiers agrégats (ou halos noirs) auraient le temps de voir leur masse augmenter suffisamment par coalescencecoalescence avec leurs voisins, avant que l'expansion ne les éloigne inéluctablement les uns des autres.
Ainsi, se formeraient les premiers astres qui deviendront lumineux une fois que la matière ordinaire s'y sera condensée.