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Retour sur l'origine du projet Huygens
Roger-Maurice BonnetRoger-Maurice Bonnet : Il est né après le survolsurvol des planètes extérieures par les sondes américaines Voyager, et au préalable par les sondes Pioneer. Les voyager ont donné des images des satellites de JupiterJupiter et de SaturneSaturne qu'on n'avait jamais eues auparavant, qui ont permis, en particulier, de faire des analyses chimiques par spectroscopie à distance, des gaz et des éventuelles atmosphèresatmosphères que l'on trouve autour de ces objets. TitanTitan s'est révélé le seul satellite du Système solaire à posséder une atmosphère, c'était donc naturellement un objet de curiosité. Cette analyse chimique avait confirmé la présence d'azote dans des proportions considérables (96%), de méthane, d'éthane, et révélé celle d'un certain nombre de composés qui faisait penser qu'on se trouvait devant une chimie organique complexe. D'où d'ailleurs la couleur orangée de Titan, qui peut être reproduite en laboratoire par bombardement électronique d'un composé qui reproduit la composition de l'atmosphère de Titan.
Donc Titan était un mystère, renforcé par la quasi impossibilité d'observer sa surface. Il faut en effet utiliser la lumièrelumière infrarougeinfrarouge ou les ondes radar pour pouvoir atteindre la surface.
La question récurrente que se posent beaucoup de scientifiques est celle de comprendre comment la vie s'est développée sur Terre. Avec Titan, on avait peut-être un indice des conditions limites dans lesquelles la vie peut se développer, puisque après les observations des sondes Voyager puis celles des grands télescopestélescopes au sol, on a constaté que l'on avait là un objet qui ressemblait beaucoup à la Terre. Mais une Terre refroidie à -180 degrés donc peu propice à favoriser l'éclosion d'une vie telle qu'on la connaît ici.
© Nasa/Jpl/Caltech
C'est cela qui, en 1982, a motivé un certain nombre de scientifiques des deux côtés de l'Atlantique. Deux copains, Daniel Gautier, de l'observatoire de Meudonobservatoire de Meudon, et Tobias Owen, en Californie, se sont dit : " Puisqu'il y a une sonde (GalileoGalileo) qui va plonger dans l'atmosphère de Jupiter, pourquoi ne pourrait-on pas placer aussi une sonde sur Cassini qui plongerait dans l'atmosphère de Titan." L'idée est née ainsi. En 1982, l'ESAESA envoie à la communauté scientifique - elle le faisait régulièrement à cette l'époque - un appel à idées, et nos deux amis, plus un certain nombre d'autres scientifiques, répondent pour proposer cette mission.
L'idée a été trouvée originale, même si elle arrivait à un mauvais moment puisque les relations entre les Etats-Unis et l'Europe n'étaient pas très bonnes par suite de l'abandon par les Américains d'une des deux sondes de la mission ISPM, devenue aujourd'hui UlyssesUlysses, qui devait envoyer deux satellites au-dessus du plan de l'écliptiqueplan de l'écliptique pour observer les pôles du SoleilSoleil. Unilatéralement la NasaNasa avait éliminé une des deux sondes, et la tension était forte entre la Nasa et l'ESA. Néanmoins, l'idée était suffisamment bonne pour qu'elle soit retenue. Une présélection par l'ESA en 1983 a permis d'engager une étude de faisabilité de la mission. Cette faisabilité ayant été confirmée, on a ensuite entamé la phase suivante, la "phase A", qui permet de définir tous les paramètres de façon que l'industrie puisse faire une évaluation des coûts et du calendrier de développement de la mission.
La phase A terminée, en 1988 on est passé à la sélection finale avec quatre autres projets tous de grande valeur en compétition et la charge utile a été choisie un an et demi plus tard. En 1990, l'ESA choisissait l'Aerospatiale, aujourd'hui Alcatel Espace, comme contractant principal pour développer la sonde, et le lancement a eu lieu le 14 octobre 1997.
Voilà toute la genèse. A posteriori, on pourrait peut-être regretter que la charge utile de la sonde ne comporte pas un plus grand nombre d'instruments. En réalité, ceux qui ont été choisis, ont été extraordinairement bien adaptés au profil de la mission et à la science qu'on cherche à obtenir, à savoir "qu'est ce que c'est que cette atmosphère, comment varie-t-elle, qu'est-ce qui s'y passe, et que voit-on quand on arrive sur le sol de Titan, qu'on ne peut pas voir autrement qu'en y allant ?".
Roger-Maurice Bonnet : Je pense qu'au point de vue scientifique, on n'aurait pas modifié grand-chose. On disposerait certainement d'ordinateursordinateurs de bord plus performants et donc de données en plus grand nombre, peut-être, mais la science aurait été pratiquement la même. Au départ, on ne savait que peu de choses de Titan donc on a fait le minimum de base, compte tenu des capacités de transmission de la sonde, contrainte de communiquer par l'intermédiaire de Cassini, qui lui-même, a ses propres contingences.
© Nasa
Il y avait donc un minimum et un maximum de capacités de télémétrietélémétrie et de transmission des données qui ne permettait pas de faire mieux que ce que l'on a aujourd'hui.
Roger-Maurice Bonnet : Tout à fait. C'était complètement nouveau.
Roger-Maurice Bonnet : Le problème n'est pas seulement la durée de vie. Il faut aussi pouvoir assurer la transmission des données par l'intermédiaire de Cassini qui n'est en vue de la sonde Huygenssonde Huygens que pendant un peu plus d'une heure. Grâce à l'extraordinaire initiative du responsable scientifique du projet, Jean-Pierre Lebreton, la plupart des radiotélescopesradiotélescopes du monde ont été mis en batterie pour observer Huygens directement, sans passer par Cassini. Il y en avait en tout 18, associés les uns aux autres, ce qui a permis de recevoir le signal émis par Huygens pendant pratiquement au moins dix heures après qu'elles aient été activées, mais que Cassini ne pouvait plus recevoir parce qu'il était passé de l'autre côté de Titan. Alors, avoir un générateurgénérateur radio-isotopique, oui, mais à condition que Cassini demeure plus longtemps en vue de Huygens donc sur une orbiteorbite plus éloignée. Et puis, cela aurait grevé le poids de Huygens au détriment d'expériences performantes. Donc on aurait en définitive gagné peu en terme de retour scientifique.