L’explosion du Starship est riche d’enseignements. Si de nombreux acquis positifs sont à souligner, cette explosion peut mettre en évidence un problème potentiellement critique que nous exposons dans cet article avec le concours d'un expert français des lanceurs. Il montre aussi un aspect sol très inquiétant ainsi qu’un impact environnemental que la FAA (l'agence fédérale de l'aviation qui réglemente aux États-Unis les lancements privés) ne manquera pas d’analyser et que nous vous expliquerons prochainement.


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    Après une première analyse du vol d'essai du Starship (voir l'article plus bas) qui ne s'est pas déroulé comme espéré, nous avons sollicité l'avis d'un expert français des lanceurs, connu pour ses explications que l'on sait toujours très éclairantes.

    D'emblée, il souligne que quoi qu'on en pense, « on a assisté à une jolie performance technologique de SpaceXSpaceX qui a réussi à faire décoller son lanceur sans raser et détruire son pas de tir ». Cela peut prêter à sourire, mais « dans notre milieu, c'est un jalon important dans le développement d'un lanceur » !

    50 % des problèmes potentiels effacés avec le passage à Mach 1 et MaxQ

    Plus sérieusement et sans surprise, il partage l'avis d'autres spécialistes des lanceurs, convaincus que cet échec « est très riche d'enseignements et que les acquis positifs de ce vol sont très importants ». Certes, on regrettera « l'absence de séparationséparation entre les deux étages, l'absence de l'allumage des moteurs du Starship et sa rentrée », mais on soulignera que le lanceur a « franchi le passage à Mach 1 et MaxQ, ce qui est important pour un lanceur en développement ». Autre point positif, au moment du décollage, le lanceur a généré des « gigawatts de puissance acoustique, qui sont le bruit continu le plus fort sur Terre, à part des explosions, et qui impacte la structure du lanceur et amène des contraintes mécaniques ». Et là aussi, le « Starship s'en est bien sorti en quelque sorte ». Pour le coup, SpaceX partait dans l'inconnu. Il faut savoir « qu'il n'existe aucun banc qui permet de tester un lanceur avec de tels niveaux de décibelsdécibels ».

    SpaceX est d'autant plus satisfait de ces deux premières minutes de vol que c'est au moment de ces « pics acoustiques et au passage de Mach 1, puis de MaxQ qu'un lanceur est le plus vulnérable et qu'il peut exploser ». Après cela, il a certes volé en crabe, mais cela s'explique par les six moteurs éteints et une « particularité du Super Heavy dont les moteurs Raptor 2 logés dans la couronne externe de la baie ne sont pas orientables ».

    L'explosion pleine de promesses du Starship. Ceux qui n'étaient pas présents au début de la conquête spatiale et la difficile mise au point des premiers lanceurs soviétiques et américains, verront dans Elon Musk et son entreprise SpaceX un visionnaire qui fait et fera date dans l'histoire des lanceurs et des vols habités avec ses étages réutilisables et son lanceur géant Starship. © AP Photo, Eric Gay
    L'explosion pleine de promesses du Starship. Ceux qui n'étaient pas présents au début de la conquête spatiale et la difficile mise au point des premiers lanceurs soviétiques et américains, verront dans Elon Musk et son entreprise SpaceX un visionnaire qui fait et fera date dans l'histoire des lanceurs et des vols habités avec ses étages réutilisables et son lanceur géant Starship. © AP Photo, Eric Gay

    Pour expliquer pourquoi les deux étages n'ont pas réussi à se séparer, notre expert suppose qu'un « déficit de poussée d'environ 20 % et un étage trop lourd d'environ de 900 à 1 000 tonnes n'ont pas permis de réaliser la manœuvre envisagée pour séparer les deux étages ». Contrairement à un lanceur classique « où la séparation des étages se fait dans le sens du vol », dans le cas du Starship, SpaceX a imaginé une « manœuvre plutôt audacieuse qui consiste à réaliser une sorte de demi-looping de manière à engager la séparation pendant une phase dynamique, lors de la rotation du lanceur ». Le but de la manœuvre est que le « plan supérieur de l'étage principal (le Super Heavy) et le plan inférieur du Starship (l'étage supérieur) se séparent rapidement » afin d'éviter que « l'étage principal rattrape l'étage supérieur et se percute, ce qui c'est déjà réalisé dans le passé avec un lanceur Falcon 1 ». Peine perdue, les six moteurs défectueux. En ne consommant pas d'ergols, les « six moteurs défectueux ont amené les déficits de puissance et de masse mentionnés plus tôt qui ont été fatals au lanceur ». Concrètement, l'étage était donc bien trop lourd pour se positionner correctement pour déclencher la procédure de séparation avec le Starship. Après un demi-looping probablement volontaire et commandé, le lanceur est devenu instable et « complètement hors de son domaine de vol », ce qui explique les figures de stylestyle et cabrioles réalisées par le Starship.

    Le rôle des 6 moteurs défectueux plus important que prévu dans l’échec de l’essai

    Contrairement à ce que nous évoquions le lendemain du vol (lire notre article), la panne de ces six moteurs apparaît bien plus problématique que ce ne nous pensions. Si nous avons rejeté la faute sur un manque de fiabilité des moteurs, ce qui nous semblait possible pour un nouveau moteur, notre expert se veut plus nuancé et pointe une incohérence majeure qui n'aurait pas dû se produire.

    Les 33 moteurs du Super Hevay sont logés dans l'étage dans une configuration très différente des 27 moteurs de l'étage principal du Falcon Heavy formé de trois étages principaux du Falcon 9. © SpaceX
    Les 33 moteurs du Super Hevay sont logés dans l'étage dans une configuration très différente des 27 moteurs de l'étage principal du Falcon Heavy formé de trois étages principaux du Falcon 9. © SpaceX

    En effet, s'il « n'est pas anormal qu'un moteur tombe en panne ou que des erreurs surviennent dans le développement d'un lanceur », ce qui l'est par contre c'est que l'erreur se reproduise. Or, début février, lors du dernier essai statique, deux des 33 moteurs du Super Heavy ne se sont pas allumés. Dans le « milieu des lanceurs, normalement un développement maîtrisé n'aurait pas dû amener à une deuxième erreur, sauf s'il s'agit d'une panne différente, par exemple si les moteurs ont été impactés par les débris ». C'est ce qui fait dire à notre expert, que c'est « moins un problème de fiabilité qu'un défaut de conception, non pas des moteurs, mais tout simplement de l'architecture de la baie à moteur du Super Heavy ». Si cela devait se confirme, « SpaceX ferait face à un problème critique et sérieux ».

    SpaceX ferait face à un problème critique et sérieux

    Plusieurs causes pourraient « expliquer le dysfonctionnement de ces six moteurs ». La première qui vient à l'esprit de notre expert est « l'effet de trompe, qui génère une dépression, la pressionpression au culot qui fait que les moteurs du Starship - générant chacun 250 tonnes de poussée - créent un vide avec une multitude de problèmes thermiques, de circulation de l'airair, au niveau des divergents, et d'instabilité ». On peut supposer que l'on est devant un « problème de fond qui n'est pas lié a un moteur mais au fait que l'on en utilise 33 dans un milieu très confiné ». Alors, certes, avec le Falcon HeavyFalcon Heavy, SpaceX maîtrise un lanceur qui « compte 27 moteurs mais dans une configuration très différente du Starship. Les 27 moteurs de l'étage principal du Falcon Heavy sont répartis dans trois boostersboosters à neuf moteurs chacun ». Le seul lanceur avec une architecture proche du Starship était la fuséefusée lunaire N1 que les Soviétiques ont développée dans les années 1960 pour envoyer des hommes sur la LuneLune. L'étage principal de ce lanceur comptait 30 moteurs. Les quatre tentatives de lancement se sont toutes soldées par des explosions imputées à l'étage principal à chaque fois. À méditer.


    L’explosion du Starship n’est pas vraiment un échec ! Décryptage

    Article de Rémy DecourtRémy Decourt publié le 21/04/2023

    On l'a tous vu, le Starship n'a pas atteint l'espace et ce premier vol d'essai s'est soldé par un échec avec l'explosion de la fusée géante. Un échec, oui mais avec de nombreux points positifs que nous expliquons et qui sont de bon augure pour la suite du développement et des essais de ce lanceur géant.

    Starship, la plus grande fusée du monde, a explosé en plein vol près de quatre minutes après son décollage. Une fin d'essai rapide que ne souhaitaient évidemment pas SpaceX et Elon MuskElon Musk. Ils ne s'attendaient pas forcément à un succès complet, mais espéraient tout de même que le Starship se sépare du Super Heavy et vole un peu dans l'espace.

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    Voici à quoi va ressembler le vol du Starship, la plus grande fusée du monde

    Si la séparation avait été réussie, Super Heavy devait retomber dans l'océan tandis que le véhicule Starship auraut ensuite allumé ses six moteurs et continuer seul son ascension, jusqu'à plus de 150 kilomètres d'altitude avant de retomber dans l'océan Pacifique après un peu moins d'un tour de Terre.

    Le vol d'essai du Starship (20 avril 2023). © Nasa Space Flight

    Un échec qui n’en est pas vraiment un

    Cet essai ne se résume évidemment pas à cette seule explosion. Plusieurs enseignements peuvent d'ores et déjà être tirés de cet « échec » comme l'a souligné dans un tweet Elon Musk : « nous avons beaucoup appris pour le prochain essai que nous prévoyons dans quelques mois ». La NasaNasa a également félicité SpaceX pour ce premier essai, rappelant que « toute grande réussite dans l'histoire a demandé un certain niveau de risques calculés ».

    Nous avons beaucoup appris pour le prochain essai que nous prévoyons dans quelques mois 

    Starship, qui n'avait encore jamais volé dans sa configuration complète, a donné plusieurs satisfactions. N'oublions qu'il s'agit d'un nouveau lanceur et qu'il n'y a rien de surprenant que des échecs rythment son développement. Globalement, le Super Heavy a bien fonctionné. Tous les éléments de cet étage (moteurs, réservoirs, système fluidique, structure...) ont apparemment bien fonctionné ensemble. Cet ensemble s'est correctement comporté et a résisté à la poussée et aux vibrationsvibrations, jusqu'aux impressionnantes cabrioles précédant l'explosion du lanceur.

    Un booster techniquement crédible

    Seul bémol, six moteurs Raptor 2 sur les trente-trois qu'en compte le Super Heavy n'ont pas correctement fonctionné. Trois ne se sont pas allumés au décollage, un a apparemment « explosé » et les deux autres ont été éteints seulement quelques secondes après le décollage. Soit en raison d'un ennui technique, soit voire par un jet d'un autre moteur, ce qui serait tout de même problématique. Quant aux moteurs restant allumés, ils ont bien fonctionné ensemble. C'était un des objectifs de l'essai car il est très difficile de faire voler un lanceur à plusieurs moteurs. Différentes contraintes aérodynamiques, notamment latérales, peuvent apparaître et donc gêner la montée de l'engin. Ce qui ne semble ne pas avoir été le cas. Le vol du Starship et son attitude ont été conformes aux prévisions de la trajectoire du lanceur.

    Parmi les autres points intéressants, citons le passage de la phase de pression dynamique maximale, plus connue sous le terme de MaxQ. Le booster Super Heavy l'a dépassée avant d'exploser à TT+3 min 59 s. Pour la préparation du prochain essai, avoir passé MaxQ est une très bonne chose. En effet, cette phase de la montée du lanceur est un des moments les plus difficiles du lancement qui engendrent des efforts structuraux sur le lanceur qu'il faut maîtriser. Concrètement, MaxQ est le point de pression maximale de l'atmosphèreatmosphère sur la fusée, donc la pression la plus contraignante pour la structure du véhicule. Lors du décollage, et au fur et à mesure de l'ascension du lanceur, la vitessevitesse et la densité de l'air se combinent pour exercer une pression sur le lanceur dont l'intensité maximale est atteinte environ une minute après le décollage.

    En conclusion, la principale question est de savoir ce qui n'a pas permis la séparation des deux étages. C'est de là que découle l'échec de l'essai. Savoir ce qui a provoqué l'explosion du lanceur n'est pas une priorité. On l'a tous vu faire des figures de styles et des cabrioles qui ont entraîné des efforts structuraux importants jusqu'à la rupture de l'étage et son explosion. Le dysfonctionnement des moteurs qui dans un premier temps pouvait nous apparaître pas inquiétant, l'est peut-être tout de même. Un prochain article, prévu en ébat de semaine prochaine, fera le point sur cette question cruciale et vous expliquera pourquoi le déficit de puissance induit par la perte de six moteurs a pu jouer un rôle dans l'échec de la séparation des deux étages.