En clôture du sommet de l’espace qui vient de se tenir à Toulouse, on pouvait s’attendre à ce que le Président Emmanuel Macron tranche sur la question des vols habités européens. Il n’en a rien été. Un groupe d’experts européens a été nommé pour donner son avis sur le futur de l’exploration robotique et humaine et orienter les choix de l’ESA dans ce domaine. La décision de développer un véhicule spatial habité n’est pas attendue avant 2025. On vous explique pourquoi avec Didier Schmitt, expert à l’ESA de ces questions.
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La réunion informelle des ministres européens chargés de l'espace qui vient de se tenir à Toulouse a débouché sur des annonces qui donnent un cap en matière d'autonomieautonomie de l'utilisation de l'espace et en traçant les contours de l'avenir de la politique européenne concernant l'exploration de l'espace.
Elle s'est terminée par les discours du Président français Emmanuel Macron et du directeur de l'ESA, Josef Aschbacher qui ont souligné que le programme d'observation de la Terreobservation de la Terre Copernicus justifie pleinement l'utilisation de l'espace pour surveiller et gérer au mieux notre Planète. Ils ont aussi évoqué les projets de la Commission européenne relatifs à la mise en place d'une constellation européenne de connectivité et à la définition de règles communes de gestion du trafic spatial. On y reviendra.
En matière de vols habitésvols habités, si Emmanuel Macron n'a pas fait un discours « à la Kennedy » qui avait promis la Lune aux Américains, il a appelé l'Europe à mieux définir son ambition dans le domaine de l'exploration et poser la question de l'autonomie de l'accès à l'espace.
Concernant l'exploration, et dans un contexte où plusieurs pays ont annoncé leur intention de s'installer durablement sur la Lune et amorcer les premières missions à destination de Mars, le président de la République française a annoncé la création d'un groupe d'experts européens qui devra donner son avis sur le futur de l'exploration robotiquerobotique et humaine. Ce panel d'experts n'a donc pas pour but de « construire » un système de transport spatial habité mais de réfléchir aux options possibles en matière d'exploration et de vol habité et aux solutions qui pourraient être mises en œuvre. Ce groupe sera mis en place lors du conseil de l'ESA prévu au mois de mars et sera composé d'une dizaine de membres, tous externes à l'ESA. Ce ne seront pas des technocrates ou des politiciens, mais une diversité de talents dans des domaines aussi variés que l'histoire, l'économie, la philosophie et la technologie.
Ses conclusions et recommandations seront remises au directeur de l'ESA et présentées aux ministres chargés de l'Espace des États membres avant le Conseil ministériel, prévu en novembre 2022. Ce n'est donc pas cette année que l'ESA et l'Europe prendront la décision de se doter d'un système de transport spatial habité.
Pas de décision avant 2025
Comme nous l'explique Didier Schmitt, coordonnateur de la proposition pour le Conseil ministériel de l'ESA pour l'exploration robotique et humaine, « des décisions pourront être prises lors du Conseil ministériel mais il ne faut pas s'attendre à ce que les États membres donnent le feu vert au développement d'un système de transport habité ». Sur la base des conclusions et recommandations de ce conseil d'experts, l'ESA devrait « financer des études sur différentes options d'architectures de transport spatial, définir les échéances et les prix ». Lors du Conseil ministériel de 2025, l'idée est de présenter aux États membres le « résultat de ces études et de proposer le développement d'un système de transport spatial habité sur la base de ces études ».
Dit autrement, si l'ESA et l'Europe décident de se lancer dans l'aventure des vols habités, une dizaine d'années seront nécessaires avant de voir s'envoler un équipage européen à bord d'un véhicule européen. Des délais qui paraissent étonnamment longs mais qui s'expliquent. Comme le souligne Didier Schmitt, « si le feu vert était donné aujourd'hui, l'Europe serait bien incapable de choisir l'architecture la mieux adaptée ». Capsules ou avions spatiaux ? Et sur quels lanceurslanceurs voleraient-ils ? Des évolutions d'une Ariane 6Ariane 6 ou des lanceurs nouveaux ? Et seront-ils utilisables une seule fois, partiellement ou entièrement réutilisables ? À toutes ces questions techniques s'en ajoutent d'autres plus terre-à-terre comme les destinations, les budgets nécessaires, les coûts récurrents...
Cela dit, en posant la question de l'autonomie de l'accès à l'espace, Emmanuel Macron met en quelque sorte les États membres de l'Union européenne (UE) devant leur responsabilité. Souhaitent-ils continuer à financer des sociétés privées américaines et agences étrangères pour que des astronautesastronautes européens puissent aller dans l'espace à bord de lanceurs privés ? Si on laisse l'accès à l'espace aux seuls acteurs « étrangers », alors l'Europe n'aura pas d'autres choix que d'être un éternel partenaire sans trop d'ambition.
Alors que les États-Unis, la Russie, la Chine, et bientôt l'Inde (en 2023) ont développé et exploitent leurs propres vaisseaux, « force est de constater que l'Europe est en retard », malgré le fait qu'elle dispose de toutes les compétences et de briques technologiques clés. Il « faut évidemment rattraper ce retard, mais plus on retarde ces décisions plus il sera difficile de rattraper nos partenaires et concurrents ». Cela dit, alors que seules la France, l'Allemagne et l'Italie ont la capacité de mener des projets de vols habités, on peut se demander si les 30 pays et États membres de l'ESA et l'UE pourront avoir une position commune sur un programme de vol habité. Une question pas aussi anodine qu'elle y paraît. Plusieurs pays voient le vol habité comme une question de prestige et très accessoire car apportant très peu au plan scientifique, et mobilisant énormément de ressources pour un retour sur investissement aléatoire. Rappelez-vous, dans les années 1980, la dizaine de pays membres de l'ESA n'avait pas réussi à se mettre d'accord sur le programme Hermès.