Les ingénieurs français à l'heure de la mondialisation : c'est le thème des P'tits déjeuners de la science, une série de rencontres organisée par l'Insa ce jeudi 24 juin à Paris, et dont Futura-Sciences est partenaire. Gérard Duwat, qui observe les ingénieurs à la loupe, nous décrit une population active, bousculée par la crise mais raisonnablement optimiste.

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    A l'heure d'une certaine sinistrose et de la crainte d'une désindustrialisation des pays européens, qu'ont à dire les ingénieurs français ? Pour le savoir, l'Insa, Institut National des Sciences Appliquées, organise... un petit déjeuner. C'est le troisième rendez-vous de ces P'tits déjeuners de la science, à Paris, au Palais de la Découverte, organisés sur la période 2009-2010. En décembre dernier, on a parlé des femmes dans la science et en mars 2010 de la recherche face à la mondialisation.

    Ce jeudi, les intervenants, parrainés par Claudie Haignéré, débattront des ingénieurs français et d'une question : sont-ils performants face à la mondialisation des talents ?

    Autour de la table viendront s'installer Philippe Vivien, DRH d'Areva, Stéphane Jobert, DG de Kuribay HR Consulting, Gérard Duwat, responsable de l'Observatoire des ingénieurs au CNISF, Charles Gadea, professeur de sociologie (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) et directeur du Laboratoire Printemps (UMR 8085) et Marie Thiry, ingénieure maintenance à la SNCF (promotion 2009 - Département Génie Electrique Insa de Lyon).

    Gérard Duwat, à la tête de l'Observatoire des ingénieurs au CNISF, le Conseil national des ingénieurs et des scientifiques de France, est aux premières loges pour prendre le poulspouls de cette population. Tous les ans, l'Observatoire réalise une enquête de grande envergure qui reçoit 50.000 réponses. Elle permet de suivre le nombre d'emplois, les rémunérations, la nature des postes occupés, les parcours professionnels et même les appréciations des ingénieurs sur leur carrière et leurs fonctions.

    C'est à lui que Futura-Sciences a demandé de brosser un état des lieux de cette population, dans une atmosphèreatmosphère de refroissidissement économique.

    Gérard Duwat : « <em>majoritairement, les ingénieurs aiment ce qu’ils font et s’y épanouissent </em>». © CNISF

    Gérard Duwat : « majoritairement, les ingénieurs aiment ce qu’ils font et s’y épanouissent ». © CNISF

    Y a-t-il une pénurie et crise des vocations ?

    Au début des années 2000, nous avons craint un risque de pénurie mais, depuis, la capacité de formation a été augmentée (de nouvelles écoles sont nées, les université forment désormais des ingénieurs...). Le nombre de jeunes ingénieurs a augmenté d'environ 10.000 personnes par an. Aujourd'hui, les écoles en forment 34.000 par an. Il y a maintenant un équilibre entre cette offre et la demande du marché, la situation actuelle rend temporairement l'offre légèrement excédentaire. Quant aux vocations scientifiques elles se sont taries face à l'appel de certains métiers jugés plus faciles d'accès et plus rémunérateurs. Les écoles d'ingénieurs n'en ont pas vraiment souffert, et la crise va replacer les valeurs à leur place. A suivre donc...

    Comment évolue la proportion des femmes chez les ingénieurs ?

    Il y a actuellement environ 530.000 ingénieurs en France dont 17% de femmes, mais 21% chez les moins de 30-34 ans. Cette proportion augmente faiblement mais régulièrement, les femmes représentent 25% des élèves des écoles. Ceci reste faible comparé aux 50% de jeunes filles des baccalauréats scientifiques. On remarque aussi une différenciation entre les filières. Les femmes sont majoritairement dans les domaines des sciences de la vie, de l'agroalimentaire et de la chimie. Il reste toujours une différence persistante de rémunération, qui ne peut pas s'expliquer entièrement par les conséquences de la maternité sur les parcours professionnels.

    Les ingénieurs délaissent-ils l'industrie ?

    Actuellement, entre 47 et 48% des ingénieurs sont employés dans des entreprises industrielles. Mais il faut ajouter tous ceux qui travaillent dans des sociétés de service sous-traitantes pour l'industrie. La part réelle du secteur industriel dans l'emploi des ingénieurs est en fait de 55%.

    Y a-t-il à craindre que la mondialisation déporte des emplois vers d'autres pays ?

    La mondialisation, c'est d'abord une facilité d'échanges à l'échelle de la planète. Cela pose certes de nouveau défis et accentue toute les formes de compétition. il faut donc être les meilleurs ! D'ailleurs, les écoles françaises et les ingénieurs eux-mêmes s'y adaptent très bien. Près de 90.000 ingénieurs travaillent à l'étranger, et parmi eux les deux tiers sont partis de leur propre chef. Aucune frontière ne peut empêcher l'intelligenceintelligence et le savoir-faire de voyager...

    La crise économique touche-t-elle les ingénieurs ?

    En 2009, le taux de chômage chez les ingénieurs est passé de 3,4 à 5,4%. Le nombre d'embauches a nettement diminué : 48.400 au lieu de 71.700 en 2008. On observe que le « turn-over » s'est réduit. Les ingénieurs ont eu moins tendance à chercher un autre emploi. Mais on a vu en 2009 une progression de la création d'entreprises par des ingénieurs entrepreneurs mais aussi, il faut le souligner, par des jeunes qui venaient d'entrer sur le marché du travail. Signal positif, 20% des ingénieurs qui avaient perdu leur emploi en 2009 en ont retrouvé un dans le premier trimestre 2009, en CDI pour moitié.

    Qu'en est-il de la mixité sociale, une question soulevée récemment avec une proposition de loi ?

    Il y a clairement des classes sociales plus représentées à l'entrée des écoles d'ingénieurs, notamment les enfants de cadres mais aussi d'enseignants. Les écoles en sont conscientes et c'est d'ailleurs une de leurs préoccupations. Le système des bourses, accordées le plus souvent sur des critères sociaux, montre son efficacité. Actuellement, entre 26 et 27% des ingénieurs de moins de 30 ans ont été boursiers. Un tiers de ces bénéficiaires affirment que cette aide leur a été indispensables et que sans elle ils n'auraient pas pu mener à bien leurs études.

    Globalement, vous semblez optimiste ?

    C'est vrai. J'ai trois convictions. La première est que le combat pour la compétitivité de l'économie actuelle peut être gagné grâce aux innovations, domaine de prédilection de l'ingénieur. Le deuxième, c'est que les écoles françaises d'ingénieurs forment très bien leurs élèves, pour l'acquisition des bases scientifiques et techniques bien sûr, mais elles développent surtout l'aptitude à analyser et apporter des solutions aux problèmes complexes. La troisième est que les ingénieurs français, lorsqu'on les interroge, disent majoritairement qu'ils aiment ce qu'ils font et s'y épanouissent. Ils ont par ailleurs quelques critiques à formuler sur l'organisation de l'entreprise. Ce sera pour une prochaine fois...