Jean-Pierre Lebreton est le responsable scientifique et technique de la mission Cassini-Huygens pour le compte de l'ESA, et il suit ce projet depuis plus de vingt ans. Il était donc l'interlocuteur rêvé pour une conférence publique consacrée à Titan. Hier soir, pendant sa conférence à l'Institut d'Astrophysique de Paris, l'amphithéâtre était comble et le silence religieux. Pendant près de deux heures, Jean-Pierre Lebreton est revenu sur les origines de la mission Huygens et sur les derniers résultats du parachutage de la sonde sur Titan.

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    Un opérateur installe le CD-ROM contenant 80 000 messages de terriens sur la sonde HuygensJean-Pierre Lebreton a promis que la prochaine mission emporterait un lecteur CD !(Crédits : ESA)

    Un opérateur installe le CD-ROM contenant 80 000 messages de terriens sur la sonde HuygensJean-Pierre Lebreton a promis que la prochaine mission emporterait un lecteur CD !(Crédits : ESA)

    Jean-Pierre Lebreton, lors de la conférence de presse de l'ESA, il y a deux semaines<br />Il a accepté l'invitation de l'Institut d'Astrophysique de Paris pour une conférence publique consacrée à Titan<br /> (Crédits : Christophe Olry/Futura-Sciences)

    Jean-Pierre Lebreton, lors de la conférence de presse de l'ESA, il y a deux semaines
    Il a accepté l'invitation de l'Institut d'Astrophysique de Paris pour une conférence publique consacrée à Titan
    (Crédits : Christophe Olry/Futura-Sciences)

    Titan : une Terre de méthane

    Après avoir rappelé que Cassini-Huygens représentait « la mission robotisée la plus complexe jamais entreprise » et qu'elle était « un bel exemple de coopération internationale », Jean Pierre Lebreton est revenu sur les données du voyage comme l'utilisation par Cassini de l'assistance gravitationnelle pour atteindre le système de SaturneSaturne : 7 ans de voyage, 2 passages autour de VénusVénus et 2 passages autour de la Terre avant d'atteindre la zone d'EnceladeEncelade et de TitanTitan (pour une distance Terre-Titan de 1,2 milliard de kilomètres, Cassini a en réalité parcouru 3 milliards de kilomètres avant d'atteindre sa cible).

    Il a ensuite énuméré les principaux résultats obtenus sur Titan à l'aide des 8 survolssurvols de Cassini - 37 restent à venir ! - et du parachutage de Huygens dans son atmosphèreatmosphère :

    • Le cycle du méthane sur Titan est semblable au cycle hydrologique sur la Terre : «Titan ressemble comme deux gouttes de méthane à la Terre » ;
    • Les UVUV du soleil et les particules chargées de l'environnement ionisé de Saturne induisent une chimie organique très évoluée dans l'atmosphère de Titan ;
    • Les aérosolsaérosols sont le siège d'une chimie complexe : dans l'atmosphère, le méthane et le diazote se recomposent pour former une famille d'hydrocarbures qui envahissent l'atmosphère, se condensent au-dessus de la tropopausetropopause et retombent sous forme de pluie à la surface, formant un dépôt de plusieurs centaines de mètres ;

    • L'atmosphère est épaisse, riche en azote et en méthane, et c'est un « monde idéal » pour une descente en parachuteparachute. Jean Pierre Lebreton a d'ailleurs ajouté à ce sujet que «ces missions futures utiliseront très certainement un système de rentrée (NDLRNDLR : Avec un bouclier thermique profiléprofilé pour l'entrée dans l'atmosphère) et un système de parachute pour descendre à la surface

    Huygens lancé à 22000 km/h vers l'atmosphère épaisse de Titan<br /> (Crédits : ESA)

    Huygens lancé à 22000 km/h vers l'atmosphère épaisse de Titan
    (Crédits : ESA)

    Les scientifiques du projet jouent les sourciers

    Jean Pierre Lebreton a expliqué que les chercheurs avaient découvert sur Titan tout ce qu'ils pensaient intuitivement y trouver : des aérosols, des impacts, des chenaux, peut-être du cryovolcanismecryovolcanisme (Cassini aurait aperçu un volcanvolcan sur Titan), hormis des lacs de méthane.

    Les données fournies par Huygens ont montré que l'évaporation ne pouvait pas suffir à alimenter l'atmosphère en méthane, et qu'il devait donc exister des sources de méthane sur Titan. Néanmoins, si Huygens s'est visiblement posée dans le lit d'un lac asséché mais encore humide, elle n'a pas détecté la présence de lacs de méthane liquideliquide sur le plus gros satellite de Saturne.

    L'industrie spatiale internationale joue donc les « sourciers », en recherchant l'origine du méthane présent dans l'atmosphère. S'il est aujourd'hui admis qu'il provient de l'intérieur de Titan, le vecteur de sa propagation (cryovolcanisme ?) est encore inconnu.

    Cassini a-t-elle aperçu un cryovolcan sur Titan ?<br />(Crédits : VIMS/NASA/LPGN)

    Cassini a-t-elle aperçu un cryovolcan sur Titan ?
    (Crédits : VIMS/NASA/LPGN)

    La puissance du signal radio émis par Huygens vers la Terre équivalait à celle d'un téléphone portable

    Au moment où Huygens commençait sa descente, c'était Hawaii et l'océan pacifique qui « voyait » Titan. Deux ans avant le début de la mission, il avait été prévu d'utiliser dans cette région un réseau de 17 télescopestélescopes en interférométrieinterférométrie, afin de localiser la sonde dans l'atmosphère avec une précision de 10 kilomètres. Même si les données récoltées n'ont pas encore été intégralement traitées et que la trajectoire de la sonde n'a pas encore été reconstruite, Jean Pierre Lebreton a félicité « la grande performance de ces télescopes radios », qui ont su entendre à plus d'un milliard de kilomètres « un signal radio dont la puissance équivalait à celle d'un téléphone portable

    Le Robert C. Byrd Green Bank Telescope, en Virginie<br /> Il faisait partie des 27 télescopes en réseau utilisés pour recevoir les signaux radios de Huygens <br />(Crédits : NRAO/AUI/NSF)

    Le Robert C. Byrd Green Bank Telescope, en Virginie
    Il faisait partie des 27 télescopes en réseau utilisés pour recevoir les signaux radios de Huygens
    (Crédits : NRAO/AUI/NSF)

    Les amateurs traitent les images brutes de Huygens plus rapidement que l'ESA !

    L'anecdote a de quoi faire sourire : les images brutes récoltées par Huygens pendant son parachutage avaient été placées par l'ESAESA sur un serveurserveur ftp, et devaient rester hors de portée des internautes pendant plusieurs jours. Pourtant, suite à une erreur de manipulation, le serveur est resté accessible pendant deux petites heures, et des amateurs en ont profité pour télécharger tous les clichés.

    Il ne s'agirait que d'un fait divers si cette intrusion n'avait permis à l'ESA de rectifier l'une de ses erreurs. En effet, la sonde avait été équipée de petites ailettes, afin qu'elle tourne dans l'atmosphère et que sa caméra délivre des vues panoramiques de Titan. Pourtant, contrairement à toute attente, Huygens a tourné dans le sens contraire à celui initialement prévu (aujourd'hui, les chercheurs avancent l'explication d'une circulation complexe autour de la sonde, qui aurait fait fonctionner les ailettes « à l'envers ») et, au moment de traiter les clichés bruts, l'équipe de l'imagerie n'avait pas intégré ce fait. Ce n'était pas le cas des amateurs qui, « sans a priori sur le sens de rotation, ont reconstruit facilement les panoramas ». Lorsque l'équipe de l'ESA a publié sur le web ses premiers paysages, elle a immédiatement reçu des courriels lui indiquant «qu'elle s'était trompée et que telle image n'était pas à la bonne place.» !

    L'un des panoramas réalisés par des amateurs à partir des images brutes de Huygens <br />(Courtesy of Christian Waldvogel's)

    L'un des panoramas réalisés par des amateurs à partir des images brutes de Huygens
    (Courtesy of Christian Waldvogel's)

    Mais qui a écouté le CD-ROM ?

    Avant le lancement de la mission, l'ESA avait offert aux européens la possibilité d'envoyer un message sur Titan. A cette occasion, plus de 80 000 textes et dessins avaient été gravés sur un CD-ROMCD-ROM et embarqués par la sonde Huygenssonde Huygens dans le système saturnien. Deux morceaux de musique Pop composés par des musiciens français y avaient également été incorporés.

    A la question « Alors, qui a lu le CD-ROM ? », Jean Pierre Lebreton n'a pas su quoi répondre. Néanmoins, il a promis que la prochaine sonde envoyée sur Titan aurait à son bord... un lecteur CD-ROM !