au sommaire
On se souvient de l'agitation médiatique déclenchée par Stephen Hawking il y a quelques mois lorsqu'il semblait remettre en cause l'existence des trous noirs. Pour ses collègues, il en était autrement, car l'article publié par Hawking était particulièrement vaguevague et aucunement étayé par des calculs. Ce qui semblait parfaitement clair en revanche, c'est que le physicienphysicien ne rejetait pas en bloc tous les travaux sur les trous noirs et en particulier dans le domaine de l'astrophysique. L'ancien titulaire de la fameuse chaire de professeur lucasien de l'université de Cambridge (en anglais Lucasian Chair of Mathematics) proposait simplement de modifier légèrement la théorie des trous noirs pour résoudre un problème épineux en rapport avec le paradoxe de l'information, problème rencontré dans le cadre des théories quantiques de la gravitation en chantier.
En fait, Hawking suggérait visiblement d'explorer une voie déjà ouverte il y a des décennies, notamment par John Wheeler et Thibault DamourThibault Damour, et qui consiste à rapprocher le comportement d'un trou noir de celui d'un fluide turbulent. Par exemple, on s'est aperçu au cours des années 1970 que le comportement de l'horizon d'un trou noir, et finalement le trou noir lui-même, pouvait être décrit sous la forme d'une bulle de fluide visqueuse, une membrane fermée douée de propriétés thermodynamiques et électromagnétiques. Thibault Damour a ainsi découvert une sorte d'équation de Navier-Stokes pour la surface d'un trou noir. Or, on sait que les scientifiques se servent d'une équation mathématiquement similaire pour décrire le comportement des fluides turbulents.
L'horizon d'un trou noir, membrane fluide et dissipative
Une autre connexion entre physiquephysique des trous noirs et physique des fluides turbulents a émergé de façon inattendue d'abord pendant les années 1990, et surtout dans les années 2000. Tout a commencé avec la célèbre correspondance AdS-CFT de Maldacena. Elle établit une sorte de dictionnaire entre une théorie quantique des champs ressemblant à la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique (QCD), une théorie des champs de Yang-Millschamps de Yang-Mills des forces nucléaires fortes, et la théorie des cordesthéorie des cordes.
Ce dictionnaire reliant une théorie dans un espace-tempsespace-temps plat à quatre dimensions à celle de la théorie des cordes dans un espace-temps courbe à dix dimensions ayant la géométrie d'un espace-temps dit anti-de Sitter (AdS), on a rapproché la correspondance de Maldacena de la physique des hologrammeshologrammes. À la fin des années 1990, on a découvert que ce dictionnaire établissait un pont entre la physique d'un trou noir s'évaporant dans l'espace AdS et le comportement d'un fluide ressemblant au plasma de quarksquarks et de gluongluon de la QCD. En creusant pour mieux comprendre cette correspondance, on en a finalement découvert une autre reliant les solutions des équations d'EinsteinEinstein, comme celle décrivant des trous noirs, et les solutions des équations de Navier-Stokes pour les fluides. Il s'agit de ce que l'on appelle désormais la correspondance fluide-gravité.
Un voyage au pays de Mandelbrot. Il s'agit de structures fractales que l'on peut générer facilement avec des ordinateurs à partir de règles mathématiques simples. On remarque un emboîtement de structures qui se répètent à toutes les échelles au fur et à mesure que l'on effectue un zoom sur ces structures géométriques. Dans un fluide turbulent, un emboîtement similaire avec les tourbillons peut exister. © MichaelHoggUK, YouTube
Un groupe de physiciens du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis vient de publier sur arxiv un article dans lequel ils sont arrivés à la conclusion que l'horizon d'un trou noir devait effectivement se comporter comme un fluide turbulent selon la correspondance fluide-gravitégravité. Le phénomène se produirait lorsqu'un trou noir absorbe un objet, et donc modifie l'état de son horizon en réponse à sa capture. On sait depuis longtemps par exemple que l'horizon d'un trou noir sans rotation à l'équilibre doit être parfaitement sphérique, mais qu'il se déforme lorsqu'il avale une étoileétoile ou tout autre corps matériel. L'horizon se met alors à vibrer à la façon d'une cloche qui résonne en émettant des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles jusqu'à ce qu'il redevienne lisse et sphérique.
Horizon fractal de dimension fractionnaire
Dans le cas étudié par les chercheurs, le même phénomène doit se produire. Ils ont donc étudié le comportement d'un fluide turbulent en relation avec l'état de l'horizon d'un trou noir perturbé par l'absorptionabsorption d'un corps matériel. Il se trouve que la description de la turbulenceturbulence dans un fluide fait intervenir des structures que l'on retrouve dans la théorie des fractalesfractales du mathématicienmathématicien Benoît Mandelbrot. Les chercheurs du MIT ont découvert des indications convaincantes qui laissent penser que ce caractère fractal d'un fluide turbulent se retrouve dans la géométrie de l'horizon perturbé d'un trou noir. Le résultat le plus spectaculaire qu'ils ont mis en évidence est que la dimension de l'horizon du trou noir n'est alors plus donnée par un nombre entier, mais par une fraction.
Si les chercheurs ont raison, on peut penser qu'une nouvelle fenêtrefenêtre sur les propriétés des trous noirs est en train de s'ouvrir en utilisant la fameuse géométrie fractale de la nature, selon les mots de Mandelbrot. Si l'horizon d'un trou noir se comporte bien comme un fluide turbulent avec une structure fractale, cela a sûrement d'intéressantes implications pour mieux comprendre l'entropie des trous noirs et le paradoxe de l'information. Voilà peut-être de quoi reconsidérer la pertinence des déclarations de Stephen HawkingStephen Hawking en début d'année.