Dislocation d'un programme ambitieux
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Le programme martien international prévoyait de profiter de chaque opportunité de lancement pour envoyer de nouvelles sondes vers la planète rouge, et d'avancer ainsi dans l'exploration de Mars. Ce scénario enthousiasmant, qui devait aboutir à l'exécution d'une mission de retour d'échantillons au début de la prochaine décennie, est aujourd'hui proche de l'effondrementeffondrement.
Le programme Scout, qui consiste à lancer vers Mars des petites sondes économiques (à l'image de celles du programme Discovery), ne semble pas non plus remis en question. La sélection de la première sonde Scout, dont le départ est prévu en 2007, progresse lentement mais sûrement. Les finalistes devraient être annoncés officiellement début décembre, et le choix définitif aura probablement lieu au mois d'août prochain. Une grande variété de sondes a été proposée à la NASA, certaines étant basées sur la plate-forme de l'infortuné atterrisseur Mars Surveyor 2001 resté à terre après l'échec de Mars Polar Lander.
Ces bonnes nouvelles ne doivent cependant pas masquer une réalité cruelle. Après 2007, le flou le plus total règne désormais sur la structure du programme d'exploration martien. Ce dernier est littéralement en train de s'effriter, et de nombreuses interrogations planent dorénavant sur sa pièce maîtresse, à savoir l'ambitieuse mission de retour d'échantillons martiensretour d'échantillons martiens.
Historiquement, cette mission devait avoir lieu en 2003 et 2005, des dates qui nous apparaissent maintenant d'un optimisme insensé. Après l'échec de Mars Climate Orbiter et de Mars Polar Lander, la NASA se lança dans une grande introspection sur ses capacités et découvrit dans le concept de retour d'échantillons une complexité jusqu'alors insoupçonnée. Ne pouvant décemment pas baisser les bras devant une mission aussi prometteuse en terme de retombées scientifiques, la NASA et ses partenaires (en particulier la France) décidèrent de procéder à une répétition générale en 2007, avant de lancer la véritable mission au plus tôt en 2011.
En 2007, la NASA devait envoyer vers Mars un véritable laboratoire tout terrain mobilemobile (Smart Lander) alimenté par des générateurs radio-isotopiques. Ce robotrobot hautement sophistiqué devait arpenter la surface martienne en prélevant des échantillons de roches et de sols avant de ramener sa collecte à sa plate-forme de départ. Les précieux échantillons étaient alors placés dans un petit container sphérique, que la fuséefusée devait satelliser à 600 kilomètres d'altitude. Pour supporter cette mission, l'Italie s'était engagé à fournir une sonde de télécommunication, Marconi, qui devait permettre aux scientifiques et ingénieurs d'établir des contacts fréquents et à haut débitdébit avec les engins au sol.
La récupération du container incombait à la France. Dans le cadre du programme Mars Premier, le Centre National d'Etudes SpatialesCentre National d'Etudes Spatiales (CNES) devait concevoir un orbiteur chargé d'effectuer un rendez-vous en orbite martienne avec la capsule, pour pouvoir ensuite la ramener sur Terre. A cette occasion, le CNES devait tester pour la première fois une technique de mise en orbite particulièrement novatrice et économique, l'aérocapture. L'orbiteur devait également amener à bon port les quatre petites stations de la mission franco-européenne Netlander, et réaliser des observations scientifiques grâce à une série d'instruments de mesure.
Les premières secousses se sont fait sentir quand la NASA a annoncé le report du lancement de Smart Lander à 2009. Une étude commanditée par l'agence spatiale américaine auprès de grandes firmes aéronautiques montra de plus que le coût d'une mission de retour d'échantillon se situait aux alentours de 1,3 à 2 milliards de dollars. Cette estimation, bien supérieure aux précédentes, donna le coup de grâce à un programme déjà vacillant.
Le CNES, qui s'était donné pour mission de participer activement à l'exploration martienne, fit brusquement voltevolte face en annonçant l'abandon du programme Premier. La situation est encore confuse, mais ce dernier pourrait éventuellement être transféré sous le programme Auroraprogramme Aurora de l'ESA (dont l'objectif est de définir pour l'Europe des 30 prochaines années la stratégie d'exploration du système solaire). Doté d'un budget ridicule (14 millions d'euros pour les trois prochaines années), Aurora semble cependant totalement inadapté au financement d'un programme de l'ampleur de Mars Premier. Une décision est attendue pour le mois d'octobre ou de novembre.
L'orbiteur français de la mission MSR (Crédit : CNES/ESA/Arianespace)
Au-delà d'une perte immense pour les laboratoires scientifiques français, l'annulation du programme Premier suspend également la mission NetLander, qui est déjà bien avancé. Ces quatre petites stations géophysiques et météorologiques dépendaient effectivement de l'orbiteur Mars Premier pour leur transport, et, tout comme Beagle 2Beagle 2, il faut maintenant leurs trouver un lanceurlanceur. La fourniture d'une fusée par l'agence spatiale européenneagence spatiale européenne étant assez improbable, seul le CNES aurait les moyens d'assurer le lancement d'un bus spatial réduit à sa plus simple expression, à condition que le budget alloué à Mars Premier ne lui soit pas totalement retiré. Dans ce cas, l'arrivée des NetLander pourrait avoir lieu en 2009, le CNES s'appuyant sur les orbiteurs déjà en place (américains et européen) pour communiquer avec les quatre stations.
Comme nous l'avons vu avec l'instrument SHARAD, l'Italie elle aussi s'apprête à quitter le navire. Outre le problème de livraison de ce radar que nous avons évoqué, le retrait de l'ASI implique aussi l'annulation du satellite de télécommunication Marconi. Si la NASA désire maximiser le retour scientifique du laboratoire mobile Smart Lander, elle sera vraisemblablement obligée de construire son propre relais de télécommunication. Ce dernier pourrait alors être couplé avec le Smart Lander, et assurerait le transport du roverrover entre Mars et la Terre. Si l'annulation du programme Mars Premier par la France est confirmée, la NASA devra développer elle-même l'orbiteur sensé récupérer les échantillons en orbite martienne, ce qui augmentera d'une manière non négligeable une addition déjà particulièrement salée. L'agence spatiale américaine pourrait également décider de changer radicalement l'architecture de la mission de retour d'échantillons, mais cette option nécessiterait de repartir de zéro. Dans tous les cas, on ne peut raisonnablement pas s'attendre au lancement de la première mission de retour d'échantillons avant l'horizon 2016.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la direction prise par le programme d'exploration de Mars laisse perplexe. Il semble évident que les différentes agences spatiales n'ont pas su tirer la leçon du scénario de retour d'échantillons confondant d'amateurisme proposé pour la période 2003-2005, et qui était encore défendu le plus sérieusement du monde par la NASA avant la volatilisation des deux sondes de la mission Mars Surveyor 98 à la fin de l'année 1999.
Si les difficultés techniques qui affectent les sondes martiennes de 2003 sont préoccupantes, elles ne constituent cependant pas le point le plus dramatique. Dans le spatial, les hommes comme les matériaux sont souvent poussés aux limites, et chaque projet spatial, au cours de son cycle de vie, doit inéluctablement faire face à des difficultés. Sur le moment, ces dernières paraissent souvent insurmontables, mais elles finissent pratiquement toujours par céder sous les assauts de l'intelligenceintelligence et de la persévérance.
Face à ces difficultés techniques compréhensibles, l'incapacité des agences spatiales à tenir les budgets, à forger un calendrier sérieux et à développer un programme cohérent et réaliste sur le long terme est beaucoup plus inquiétante. La NASA, qui est actuellement empêtré dans le programme martien, et qui a totalement perdu le contrôle financier de la station spatiale internationalestation spatiale internationale, semble avoir oublié les recettes qui l'ont conduite à marcher sur la LuneLune. Ne dit-on pas que ceux qui oublient l'histoire sont condamnés à la répéter ?
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Par Philippe Labrot, de nirgal.