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Les rovers américains
Sur le calendrier, les prochains robotsrobots qui s'élanceront vers Mars sont les deux rovers jumeaux de la NASA (MER). A moins de 8 mois de leur lancement, ils continuent de poser de sérieux problèmes aux ingénieurs américains. Paradoxalement, c'est le système sensé être le plus simple et le moins coûteux à développer qui est en train de compromettre la mission.
A l'instar de la sonde Pathfinder et de son compagnon Sojourner, les MER se poseront sur Mars grâce à une grappe de coconscocons protecteurs, dont le développement a demandé un travail considérable. La mise au point de ballons gonflables capables de résister à des déchirements s'est effectivement révélée bien plus difficile que prévue, et les ingénieurs durent multiplier les couches de Vectran (un tissu deux fois plus solide que le Kevlar) pour atteindre une résistancerésistance compatible avec le stressstress généré par un atterrissage sur Mars. Au final, la grappe de 24 airbagsairbags qui entouraient Pathfinder pesait presque cinq fois plus que ce qui était initialement envisagé (85 kgkg au lieu de 15 kg), et représenta un quart de la masse totale de l'atterrisseur. L'économie de poids que l'on pensait réaliser en remplaçant le système d'atterrissage des Viking n'était plus qu'un rêve lointain. Le système démontra cependant son efficacité, et après l'atterrissage triomphal de Pathfinder en 1997, les airbags sont devenus pour beaucoup le moyen le plus sûr d'atterrir sur Mars, reléguant au passé l'antique système d'atterrissage des VikingViking à base de bouclier thermique, parachuteparachute et rétrofusées contrôlées par radar.
Après la disparition tragique des sondes Mars Climate Orbiter et Mars Polar Lander et l'annulation de l'atterrisseur prévu pour 2001 (Mars Surveyor 2001), la NASA du sélectionner dans l'urgence la mission pour l'opportunité de lancement de 2003. Suite à une étude préliminaire de deux mois, l'agence spatiale américaine jette finalement son dévolu sur un roverrover (l'ajout d'un deuxième véhicule s'étant fait plus tardivement sous l'impulsion de l'administrateur de la NASA), étant entendu qu'une économie de taille pouvait être réalisée en réemployant le système à airbags mis laborieusement au point pour Pathfinder.
Les ingénieurs durent cependant vite déchanter. La masse des rovers MER étant largement supérieure à celle de Pathfinder, un examen plus minutieux montra vite que le système d'atterrissage allait devoir être sérieusement redimensionné pour contrebalancer cette surcharge pondérale. Les ingénieurs découvrent simultanément que les airbags sont particulièrement sensibles à des déports latéraux causés par des rafales de ventvent horizontales. Alors que les cocons protégent relativement bien la sonde qu'ils entourent lors d'une descente verticale, une légère translationtranslation latérale peut facilement cisailler leurs enveloppes et ruiner la mission. Si personne n'avait paru s'émouvoir de ces vents latéraux lors de la mission Pathfinder, c'est simplement parce que cette dernière était arrivée avant l'aubeaube, à un moment ou les vents sont généralement faibles. Contrairement à Pathfinder, les rovers MER débarqueront en début d'après midi, une période de la journée ou les vents s'en donnent généralement à cœur joie.
Dans l'absolu, les ingénieurs pourraient certes rendre les airbags encore plus résistants, en augmentant par exemple le nombre de couches de Vectran. Malheureusement, ils doivent faire face à une contrainte majeure, qui caractérise le domaine spatial : le poids. Au-delà d'une certaine limite, les rovers seront effectivement trop massifs pour pouvoir prendre place sous la coiffe d'une fuséefusée DeltaDelta II. L'utilisation d'un lanceurlanceur plus puissant n'étant pas envisageable pour des raisons évidentes de coût, les ingénieurs doivent se résoudre à trouver une solution plus astucieuse que celle qui consiste à rigidifier à l'extrême le cocon d'airbags.
Une première modification importante a donc été apportée en 2001 au système d'entrée, de descente et d'atterrissage (que l'on désignera dorénavant par l'acronyme EDL). Pour empêcher les vents d'incliner le bouclier arrière sur lequel sont fixés les propulseurspropulseurs RAD (qui servent à compléter le freinage du parachute en stoppant pratiquement la sonde en plein ciel), les ingénieurs ont pris la décision d'équiper ce dernier avec une série de trois petites rétrofusées montées horizontalement et commandées par un ensemble gyroscopegyroscope / accéléromètreaccéléromètre. Si nécessaire, ces petits propulseurs (dénommés Transverse Impulse Rocket Subsystem ou TIRS) peuvent être mis à feufeu pour forcer le bouclier arrière à rester horizontal, annulant ainsi la dérive que ne manqueraient pas de provoquer d'éventuelles bourrasques. Si l'efficacité du sous-système TIRS semble prouvée dans le cas de rafales brusques, celle-ci devient plus questionnable lors de vents horizontaux plus faibles mais constants, capables de déporter l'atterrisseur sans incliner suffisamment le bouclier arrière pour que l'ensemble gyroscope / accéléromètre soit alerté. Pour s'accommoder de ce nouveau cas de figure, les ingénieurs durent se résigner à augmenter encore la complexité du système EDL en ajoutant un nouveau capteurcapteur.
Baptisé DIMES (Descent Imager Motion Estimation Subsystem), ce dernier comporte principalement d'une caméra de descente. 18 secondes avant l'allumage des fusées de freinage RAD rivetées sur le bouclier arrière, cette caméra doit prendre trois images successives de la surface de Mars, qui seront ensuite analysées immédiatement par l'ordinateurordinateur de bord pour calculer la dérive horizontale de l'atterrisseur par rapport au sol. Les données recueillies seront alors ajoutées à celles collectées par l'ensemble gyroscope / accéléromètre, et l'ordinateur décidera s'il est ou non nécessaire d'allumer les fusées TIRS. La décision de sécuriser le système EDL en incorporant DIMES à l'atterrisseur devrait avoir lieu à la fin de cette année.
Même si nous sommes encore à plus d'une année de l'atterrissage, les vents latéraux ont de toute façon déjà occasionné quelques beaux dégâts. Effectivement, lors du délicat exercice de la sélection des sites d'atterrissage, plusieurs zones très prometteuses sur le plan scientifique ont été définitivement écartées, uniquement à cause d'une agitation horizontale de l'atmosphèreatmosphère jugée excessive. Parmi ces sites, on trouve le sublime canyon de Valles Marineris, qui, on s'en doute, canalise les vents d'une manière assez efficace. Une épée de Damoclès est également suspendue au-dessus de deux autres sites de premier choix ou d'importantes quantités d'eau ont pu stagner dans un lointain passé, le cratère d'impact Gusev et le bassin d'Isidis. La frilosité ou le manque de confiance des ingénieurs envers le système d'EDL pourraient donc favoriser des sites d'un intérêt scientifique plus que discutable, uniquement pour une question de force des vents.
D'après les dernières informations en provenance de l'équipe technique responsable de la conception du système d'entrée, de descente et d'atterrissage, les airbags ne seraient pas le seul dispositif à causer des soucis, et les parachutes seraient eux aussi entrés dans la danse. A huit mois du lancement des rovers martiensrovers martiens, la NASA doit donc faire face à d'importants problèmes techniques, la situation étant aggravée par un budget à la hausse. Le coût de la mission atteint aujourd'hui les 800 millions de dollars, soit un dépassement de 100 millions par rapport au budget initial.
Si d'autres problèmes surgissent dans les mois qui viennent et si les ingénieurs ne parviennent pas à mettre au point avant le mois de février 2003 un système d'EDL offrant suffisamment de garanties quant aux chances de succès lors de l'atterrissage, la NASA pourrait décider de reporter le lancement de l'un voire des deux rovers jusqu'en 2008. En 2003, la distance entre Mars et la Terre atteint effectivement un minimum (56 millions de kilomètres), ce qui autorise le lancement d'une masse plus importante que la moyenne. Pour retrouver des conditions approximativement similaires (et étant donné qu'il n'est pas possible de diminuer le poids des rovers sans revoir complètement leur conception), il faudra patienter plusieurs années et laisser en particulier filer l'opportunité de 2005 avant de pouvoir les lancer.
Pour ne rien arranger, le spectrespectre d'un report ne pèse pas seulement sur les deux rovers américains. Le petit atterrisseur britannique Beagle 2, qui doit voyager vers Mars sur le dosdos de l'orbiteur Mars Express de l'agence spatiale européenneagence spatiale européenne (ESA), a lui aussi un avenir incertain.
Beagle 2
Ci-contre une image illustrant l'orbiteur Beagle 2Beagle 2 (crédit : ESA).
Tout comme les rovers américains, l'atterrisseur Beagle 2 est lui aussi victime de problèmes techniques relatifs aux airbags et au parachute du système EDL. Cette sonde extrêmement sophistiquée souffre également d'un budget très serré, et certains estiment qu'il est impossible d'assembler une sonde fonctionnelle de cette complexité avec un budget aussi réduit (environ 62 millions de dollars). Si Beagle 2 n'est pas livré en janvier 2003, ou s'il n'offre pas des garanties de fiabilité suffisantes, l'agence spatiale européenne pourrait parfaitement décider de le laisser sur place. La mission serait alors fortement compromise, étant donné qu'aucun lanceur ne sera ensuite disponible pour lancer Beagle 2 vers son objectif (il est effectivement peu probable que l'équipe responsable de la mission parviennent à rassembler suffisamment de fonds pour acquérir un lanceur).
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Par Philippe Labrot, de nirgal.