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Comptant pour environ 26,6 % de l'Univers, la matière noire demeure une des plus grandes énigmes scientifiques de notre temps. Insaisissable, imperceptible, elle est insensible à la force électromagnétique et sa présence est observée indirectement à travers son influence gravitationnelle sur les grandes structures du cosmoscosmos qui sont, elles, bien visibles.
Les chercheurs ont envisagé plusieurs pistes pour la contraindre et la cerner. L'une des plus suivies est celle de particules exotiquesexotiques très massives, les Wimps (Weakly Interacting Massive Particles). Mais pour l'instant, les accélérateurs de particules comme le puissant LHC du Cern n'ont encore rien produit de tangible. Une autre voie de recherche est la détection indirecte de photons de haute énergie qui peuvent être émis lorsque deux particules de matière noirematière noire s'annihilent, avec notamment AMS (Alpha Magnetic SpectrometerAlpha Magnetic Spectrometer), installé à bord d'ISSISS, ou encore avec le télescope spatialtélescope spatial Fermi, sensible au rayonnement gamma. Les données sont étudiées de près par les astrophysiciensastrophysiciens.
Depuis la coalescencecoalescence de deux trous noirstrous noirs de type stellaire enregistré le 14 septembre 2015 - première détection d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles -, la piste des trous noirs primordiaux a été relancée. Une nouvelle étude, qui vient de paraître dans The Astrophysical Journal Letters, apporte une série d'indices allant dans ce sens et soulignant leur rôle dans le chaudronchaudron de l'Univers naissant.
Image infrarouge prise avec le télescope spatial Spitzer, pointé vers la Grande Ourse. À comparer avec l'image suivante, où toutes les sources connues ont été soustraites. © Nasa, JPL-Caltech, A. Kashlinsky (Goddard)
Correspondances entre les fonds diffus infrarouge et X
En 2005, l'auteur, Alexander Kashlinsky, chercheur au GSFC (Goddard Space Flight CenterGoddard Space Flight Center) dans le Maryland, avait relevé d'importantes inhomogénéités dans le fond diffus infrarouge (ou CIB pour Cosmic Infrared Background) sondé avec le télescope spatial Spitzertélescope spatial Spitzer, après avoir soustrait toutes les sources de rayonnements infrarougesinfrarouges au premier plan. Ces lueurs excessives, phénomène également observé dans d'autres directions par la suite, avaient été alors associées aux premières sources lumineuses de l'Univers.
Puis, en comparant la carte de ces fluctuations infrarouges avec celle, pour la même région du ciel, du fond cosmique de rayons Xrayons X (ou CXB pour Cosmic X-ray Background) obtenu avec le satellite ChandraChandra en 2013, des chercheurs ont pu constaté que la répartition des rayonnements X de faible énergie coïncide très bien avec la première. Le problème, cependant, est que le rayonnement produit à l'origine par les étoilesétoiles, essentiellement dans le visible et l'ultravioletultraviolet, tire de plus en plus dans l'infrarouge avec l'expansion de l'Univers. Si bien que leurs traces sont faibles dans le CXB. Alors, comment expliquer cet excès de rayons X ? Pour les chercheurs, le suspect idéal correspondant est le trou noir. Une pléthore de trous noirs primordiaux parmi la population de jeunes étoiles (au moins une source sur cinq dans le CIB).
A-t-on détecté la coalescence de trous noirs primordiaux ?
Les trous noirs primordiaux se seraient formés au cours de la première seconde de l'Univers par des fluctuations de densité, lorsqu'il était encore extrêmement chaud et compact. Selon les théoriciens, la fenêtrefenêtre de leur création n'est restée ouverte qu'une fraction de seconde, ce qui restreint la fourchette de leur massemasse (quelques dizaines de masses solaires), car plus le temps s'écoulait, plus leurs masses augmentaient.
Or, les deux trous noirs qui ont fusionné à 1,3 milliard d'années-lumièreannées-lumière de nous et dont la collision a été repérée par l'interféromètreinterféromètre Ligo (Laser Interferometer Gravitational-Wave ObservatoryLaser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) en septembre 2015, avaient, au grand étonnement des chercheurs, des masses individuelles similaires (estimées à 29 et 36 fois la masse du SoleilSoleil). Plusieurs sommités scientifiques - parmi lesquelles Adam Riess - ont récemment proposé qu'il s'agisse de reliques de trous noirs primordiaux qui, au fil du temps, ont formé un binôme. Leur fusionfusion n'aurait donc pas seulement marqué et la première détection des ondes gravitationnelles et la preuve de l'existence des trous noirs, cela concernerait aussi la matière noire... (Lire à ce sujet Les trous noirs de Ligo pourraient être une partie de la matière noire.)
Les irrégularités remarquées dans le fond diffus infrarouge (cosmic infrared background) dans cette région du ciel pourraient être liées aux premiers objets lumineux de l’Univers, moins d’un milliard d’années après le Big Bang. Les taches grises correspondent aux objets connus au premier plan (étoiles, galaxies, nuages de gaz, de poussière…) qui ont été retirés. © Nasa, JPL-Caltech, A. Kashlinsky (Goddard)
Des minihalos de trous noirs ?
Dans l'hypothèse où la matière noire se compose de trous noirs primordiaux aux propriétés comparables à ceux qui ont produit GW 150914, Alexander Kashlinsky (qui dirige l'équipe américaine du développement de la future mission Euclid) s'est intéressé aux conséquences de leurs présences dans la tendre enfance de l'Univers. Et cela s'accorde plutôt bien avec ce qui est observé quelques centaines de millions d'années après le Big BangBig Bang.
Les déformations de l'espace-tempsespace-temps imposées par la matière noire a donc pu créer de petites fluctuations dans la distribution de la matière issue de la nucléosynthèse primordiale. Agrégée par attraction mutuelle, la matière noire a formé des petits halos où la matière ordinaire a été capturée. C'est au sein de ces graines de densité que naîtront un peu plus tard les premières étoiles.
L'auteur démontre que si les trous noirs primordiaux jouent le rôle de la matière noire, le processus est rapide et produit des inhomogénéités semblables à celles observées dans le CIB. Et cela même si seulement une petite fraction des minihalos a réussi à engendrer des étoiles.
Enfin, le gazgaz qui se déverse dans ces halos peut être en partie happé au passage par les trous noirs qui les constituent. Résultat : un excès de rayonnement X produit par la matière chauffée en s'enroulant autour d'eux. Voilà qui expliquerait bien les observations du CXB mentionnées plus haut.
Avec le temps, il peut donc arriver que des trous noirs primordiaux se rapprochent, se mettent en ménage et finissent par fusionner. Ce qui était peut-être le cas avec ceux détectés par Ligo.
« Les futures observations de Ligo nous en diront beaucoup plus sur la population des trous noirs dans l'Univers, et il ne faudra pas attendre longtemps avant de savoir si le scénario que j'esquisse est soit en accord soit exclu » estime Alexander Kashlinsky. Pour lui, « si tout cela est correct, alors toutes les galaxiesgalaxies, y compris la nôtre, sont incorporées dans une vaste sphère de trous noirs d'environ 30 masses solaires chacun ».