Avec ses capacités uniques, Alma a permis de découvrir un jet moléculaire froid en provenance d'un trou noir au cœur de la galaxie NGC 1377. Cette découverte pourrait nous permettre de mieux comprendre comment les trous noirs supermassifs grandissent en absorbant de la matière.

La croissance des galaxies et surtout des trous noirs supermassifs qu'elles contiennent reste mal comprise. Il semble qu'ils croissent de pair car il existe souvent une relation de proportionnalité entre la taille d'une galaxie et celle du trou noir central qu'elle héberge. Il existe de nombreuses images montrant des interactions violentes entre des galaxies et il n'est guère douteux qu'elles conduisent parfois à des fusions. Les observations montrent également que les galaxies étaient plus nombreuses et de plus petite taille en général au cours des premiers milliards d'années de l'histoire du cosmos observable qu'au cours des derniers. Il n'est donc pas difficile d'en déduire qu'au moins un des processus de croissance des galaxies repose sur la capture des petites par les plus grosses. Les trous noirs massifs qu'elles contiennent sont alors destinés à fusionner. À l'horizon des années 2030, le détecteur eLisa devrait d'ailleurs permettre de tester cette hypothèse car la fusion de ces trous noirs devrait engendrer copieusement des ondes gravitationnelles.

Toutefois, il semble que les galaxies et les trous noirs supermassifs peuvent également croître par accrétion de filaments de gaz froid leur tombant dessus. Or on ne sait toujours par quelles sont les parts respectives de ces deux phénomènes. La question est d'ailleurs compliquée par le fait que lorsqu'un trou noir supermassif accrète de grandes quantités de matière, il se forme un disque d'accrétion avec des jets puissants. En chauffant, le disque émet du rayonnement dont la pression peut s'opposer au processus d'accrétion jusqu'à éventuellement le stopper. Il ne va donc pas de soi que la croissance d'un trou noir est majoritairement due à l'accrétion de courants de gaz, quelles qu'en soient les origines, par exemple suite à la destruction d'une étoile s'étant approchée trop près de l'ogre cosmique jusqu'à en devenir une crêpe stellaire. Bien que la luminosité des quasars, tellement spectaculaire, soit en dernière analyse due à la chute rapide d'une grande quantité de matière vers le disque d'accrétion d'un trou noir de Kerr supermassif en rotation, on ne peut pas en conclure que l'astre soit aussi en train de croître rapidement en avalant de la matière et les chercheurs ont même de bonnes raisons de penser que ce ne soit pas le cas.

Sur l'image de gauche, on voit la galaxie NGC 1377 observée dans le visible à l'aide du télescope CTIO et du VLT. L'image centrale provient d'Alma et elle est en fausses couleurs. Elle montre des concentrations de gaz dans le jet émis par un trou noir supermassif de la galaxie. La couleur rouge indique des nuages en train de s'éloigner de la Voie lactée et la couleur bleue, ceux qui se rapprochent. Le schéma de droite représente ces nuages sous un autre point de vue avec au centre le trou noir. © CTIO, H. Roussel <em>et al.</em>, Eso (gauche); Alma, Eso, NRAO, S. Aalto (centre); S. Aalto (droite)

Sur l'image de gauche, on voit la galaxie NGC 1377 observée dans le visible à l'aide du télescope CTIO et du VLT. L'image centrale provient d'Alma et elle est en fausses couleurs. Elle montre des concentrations de gaz dans le jet émis par un trou noir supermassif de la galaxie. La couleur rouge indique des nuages en train de s'éloigner de la Voie lactée et la couleur bleue, ceux qui se rapprochent. Le schéma de droite représente ces nuages sous un autre point de vue avec au centre le trou noir. © CTIO, H. Roussel et al., Eso (gauche); Alma, Eso, NRAO, S. Aalto (centre); S. Aalto (droite)

Un jet froid de 500 années-lumière en forme de spirale

Pour les astrophysiciens tentant de résoudre l'énigme de la croissance des trous noirs supermassifs, l'article que vient de publier une équipe de chercheurs est sans aucun doute intéressant. Comme ils l'expliquent dans la version déposée sur arXiv, ils ont observé avec l'Atacama Large Millimeter/submillimiter Array (en abrégé Alma, qui signifie aussi « âme » en espagnol),  la galaxie NGC 1377, située à environ 70 millions d'années-lumière de la Voie lactée, dans la constellation de l'Eridan.

À leur grande surprise, Alma, qui est l'instrument le plus performant existant pour l'observation des nuages moléculaires dans lesquels naissent les étoiles, a révélé la présence d'un jet de matière froide de 500 années-lumière de long et de 60 années-lumière de large. Il s'agit incontestablement d'un jet émis par un trou noir supermassif. Il n'est pas composé de particules chargées allant presque à la vitesse de la lumière, comme dans les jets des quasars et autres noyaux actifs de galaxies. Ce jet original contient des molécules, lesquelles se déplacent à environ 220 kilomètres par seconde.

Les chercheurs ont calculé qu'environ deux millions de masses solaires avaient été éjectées du centre de NGC 1377 par le trou noir il y a environ un demi-million d'années. Cela traduirait un processus d'accrétion rapide mais avec du gaz relativement froid et donc peu lumineux. Cette fois, on peut admettre que le trou noir engouffre effectivement de grandes quantités de matière et que sa croissance est rapide.

En tout état de cause, le jet détecté par Alma a une particularité. Il est déformé en spirale ce qui veut dire que la source effectue un mouvement de précession. Une des hypothèses proposées pour expliquer ce curieux phénomène fait intervenir deux trous noirs supermassifs proches. Le champ de gravité de l'un des trous noirs perturberait le mouvement du second, peut-être de son disque d'accrétion, celui qui est la source du jet découvert.