Le flot de lumière émis par un trou noir accrétant de la matière est théoriquement limité par sa masse. En déterminant celle de P13 dans la galaxie NGC 7793, les astrophysiciens ont découvert qu’il franchissait cette limite. Une explication avancée fait intervenir l’« accrétion supercritique ».

La chute de la matière sur un astre, en particulier lorsqu'il est compact, tels les trous noirs, les étoiles à neutrons et les naines blanches, est un mécanisme particulièrement efficace pour produire du rayonnement. Dans le cas des deux premiers, c'est l'association à une masse d'hydrogène donnée qui est plusieurs dizaines de fois plus efficace que sa conversion en hélium par fusion au cœur des étoiles. On sait depuis longtemps que l'accrétion de matière est un bon moyen pour expliquer l'existence de sources particulièrement lumineuses dans le domaine des rayons X. On peut d'ailleurs détecter des trous noirs de cette façon, lorsqu'ils sont en train d'avaler la matière provenant d'une étoile compagne dans un système binaire.

Les premiers travaux sur l'accrétion de gaz par un astre sont ceux de Hoyle et Littleton en 1939 puis de Hoyle et Bondi en 1944. Salpeter a étudié cette question dans le cas des trous noirs en 1964 mais il a fallu attendre 1969 pour qu'un premier modèle de disque d'accrétion soit construit autour d'un tel objet par Lynden-Bell. Novikov, Page et Thorne ont ensuite construit des modèles plus précis dans le cadre de la relativité générale en 1973-74.


Dans cette vidéo, Hubert Reeves et Jean-Pierre Luminet, spécialistes en cosmologie contemporaine, répondent à des questions sur les trous noirs qui sont parmi les objets les plus opaques de l'univers. Heureusement, ils sont extrêmement attractifs, et c'est par leur pouvoir d'attraction démesuré que nous pouvons les détecter. Les trous noirs géants sont les ogres les plus monstrueux du zoo cosmique, sans être pour autant des armes de destruction massive. Les jets de matière qu'ils produisent auraient contribué à allumer les premières étoiles et à former les premières galaxies. Pour en savoir plus, visitez www.dubigbangauvivant.com. © Groupe ECP/YouTube

La limite d'Eddington

En 1921, le grand astrophysicien Arthur Eddington a découvert qu'il existait une limite maximale à la luminosité d'une étoile de masse donnée. Cette limite porte aujourd'hui son nom. L'existence d'une telle loi n'est pas difficile à comprendre. Le rayonnement exerce une pression et si cette pression est suffisamment importante, elle peut contrecarrer l'effondrement gravitationnel de la matière. C'est précisément ce qui se passe avec les étoiles lorsqu'elles sont stables. Mais si le rayonnement est trop intense, il peut vaincre la force d'attraction et souffler l'étoile. On peut trouver une limite d'Eddington pour la luminosité d'un astre en train d'accréter de la matière. Cette limite est d'autant plus importante que la masse de l'objet accrétant est élevée.

Un groupe d'astrophysiciens vient de publier dans Nature un article concernant l'une des sources X ultralumineuses connues. Il s'agit en l'occurrence de P13, située dans la galaxie NGC 7793 distante de la Voie lactée d'environ 12 millions d'années-lumière. Cet objet est tellement lumineux que l'on pensait avoir affaire à un trou noir de masse intermédiaire accrétant de la matière. Il ne devait donc pas s'agir d'un trou noir stellaire laissé par l'explosion d'une étoile devenue une supernova SN II. Pour en avoir le cœur net, les chercheurs ont entrepris de mesurer la masse de P13.

Cette image est une combinaison d'observations faites de la galaxie NGC 7793 avec en bas à gauche une image de synthèse montrant P13 et son disque d'accrétion. © Dans le domaine des rayons X: Nasa / CXC / Univ. de Strasbourg / M. Pakull <em>et al</em>.; dans le visible: ESO / VLT / Univ. de Strasbourg / M. Pakull et avec la raie H-alpha: NOAO / AURA / NSF / CITO 1,5; enfin: Tom Russell (ICRAR), utilisant un logiciel créé par Rob Hynes (Louisiana State University)

Cette image est une combinaison d'observations faites de la galaxie NGC 7793 avec en bas à gauche une image de synthèse montrant P13 et son disque d'accrétion. © Dans le domaine des rayons X: Nasa / CXC / Univ. de Strasbourg / M. Pakull et al.; dans le visible: ESO / VLT / Univ. de Strasbourg / M. Pakull et avec la raie H-alpha: NOAO / AURA / NSF / CITO 1,5; enfin: Tom Russell (ICRAR), utilisant un logiciel créé par Rob Hynes (Louisiana State University)

Une accrétion supercritique autour d'un trou noir

Pour cela, ils ont mis à profit le fait que la luminosité d'une partie de la supergéante de type B9 Ia orbitant autour de P13 qui l'éclaire, car il est bien plus lumineux qu'elle, variait périodiquement en raison de cette révolution. Par ce détour astucieux, ils ont pu calculer que cette étoile, qui est 20 fois plus massive que notre Soleil, boucle son orbite en 64 jours autour de P13. On arrive finalement à en déduire que la masse du trou noir doit être inférieure à 15 fois celle de notre étoile. Il s'agit donc bel et bien d'un trou noir stellaire. Mais il faut alors en conclure que P13 accrète du gaz à une vitesse dix fois trop élevée pour être compatible avec la limite d'Eddington concernant un astre d'une telle masse.

Pour les chercheurs, aucune loi de la physique n'est cependant violée. La limite d'accrétion d'Eddington concerne initialement le cas où l'effondrement de la matière vers l'astre central est à symétrie sphérique. Lorsque l'accrétion suit un disque autour d'un trou noir, il peut se produire une accrétion supercritique générant une luminosité qualifiée de super-Eddington. La théorie de cette accrétion exotique a été établie dans les années 1980 par des chercheurs polonais et français comme Abramowicz et Lasota.