Un choc des titans se prépare à 2,5 milliards d’années-lumière de la Terre. La découverte de cette paire rapprochée de deux trous noirs supermassifs va aider les astrophysiciens à évaluer la fréquence de leur coalescence dans l’univers.

Avec quatre millions de masses solaires, le trou noir supermassif qui se cache au centre de la Voie lactée est un gringalet à côté de ces deux monstres, récemment découverts à 2,5 milliards d'années-lumière, qui s'élancent l'un vers l'autre. La masse de chacun dépasse 400 millions de fois celle du Soleil estiment les chercheurs qui les ont débusqués au centre de deux galaxies en collision. Cela devrait être un choc des titans ! Mais, avant même que ces véritables quasars ne deviennent un trou noir encore plus massif, l'espace-temps va « résonner » de leur approche progressive. Et les ondes gravitationnelles qui traverseront alors l'univers feront voler en éclat le record actuel détecté par Virgo et Ligo. « Les trous noirs supermassifs binaires produisent les ondes gravitationnelles les plus fortes de l'univers, souligne Chiara Mingarelli qui a participé à cette découverte, et [elles] sont un million de fois plus puissantes que celles détectées par Ligo ».

Choc des titans : pour quand ?

Mais ce n'est pas pour tout de suite : pour les voir fusionner ou plutôt pour percevoir les rides créées dans l'espace-temps au moment de leur coalescence, il faudra attendre pas moins de 2,5 milliards d'années. C'est leur distance avec la Terre et, c'est une coïncidence, le temps estimé pour que la parade nuptiale de poids lourds appartenant à cette catégorie s'achève... Néanmoins, les astrophysiciens n'écartent pas la possibilité que cela puisse durer « indéfiniment » comme le suggère une théorie. Nommée « problème de parsec final », celle-ci propose que les trous noirs supermassifs binaires comme ceux-là pourraient tourner l'un autour de l'autre durant des milliards et des milliards d'années sans jamais se rapprocher de moins d'un parsec (3,2 années-lumière). Si tel n'est pas le cas, alors les astrophysiciens devraient pouvoir « entendre » un bruit de fond permanent qu'ils appellent « fond d'ondes gravitationnelles » (en anglais GWB pour Gravitational Wave Background) lequel est, encore pour l'instant, hors de portée de nos détecteurs... mais ça ne saurait tarder.

Environ 1.300 années-lumière seulement séparent les deux trous noirs supermassifs logés au centre de deux galaxies en train de fusionner à 2,5 milliards d’années-lumière. © Andy Goulding et al.,<em>Astrophysical Journal Letters</em> 2019
Environ 1.300 années-lumière seulement séparent les deux trous noirs supermassifs logés au centre de deux galaxies en train de fusionner à 2,5 milliards d’années-lumière. © Andy Goulding et al.,Astrophysical Journal Letters 2019

Par chance, la découverte fortuite via Hubble de ces deux trous noirs supermassifs va les aider à déterminer ou non l'existence du GWB. Attirés par SDSS J1010+1413, objet particulièrement lumineux dans l'univers, les astronomes ont réalisé que les jets immenses qui s'étendent de part et d'autre de la galaxie ont pour origine deux monstres et non pas un seul, chacun au cœur de leur galaxie-hôte massive. Deux galaxies en pleine collision à deux milliards et demi d'années-lumière de la nôtre et leurs trous noirs gargantuesques, pour l'instant séparés de 1.300 années-lumière, qui n'ont pas encore entamé leur danse spirale jusqu'à l'union complète.

À partir de cette première observation, certes indirecte mais réelle de la valse de trous noirs de cette ampleur, l'équipe qui s'est associée à Kris Pardo et Chiara Mingarelli, spécialistes des ondes gravitationnelles, a réévalué le bruissement prédit des collisions à notre portée. Via leurs simulations, ils sont arrivés à ce résultat : 112. Il y aurait en ce moment 112 trous noirs supermassifs binaires plus ou moins proches de nous qui génèrent des ondes gravitationnelles. Toujours selon leurs projections, la prochaine collision pourrait être captée d'ici cinq ans... Et si ce n'est pas le cas dans quelques années, malgré les techniques mises au point (en utilisant des pulsars), cela signifierait que les collisions prennent beaucoup, beaucoup, beaucoup plus de temps.

« Plus nous pourrons apprendre sur la population de trous noirs en fusion, mieux nous comprendrons le processus de formation des galaxies et la nature du fond des ondes gravitationnelles » explique Michael Strauss, astrophysicien à Princeton et coauteur de l'étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters.


Les trous noirs supermassifs sur le point d'entrer en collision sont nombreux

Article de Laurent Sacco publié le 14 novembre 2018

Cela fait 50 ans environ que l'on a proposé l'hypothèse de l'existence de trous noirs supermassifs au cœur de très nombreuses galaxies, où ils alimentent en énergie les quasars. On réalise maintenant que des trous noirs supermassifs binaires n'y sont pas rares et on sait comment établir leur présence.

Une vue d'artiste de deux trous noirs supermassifs formant un système binaire. © Joshua Valenzuela, UNM
Une vue d'artiste de deux trous noirs supermassifs formant un système binaire. © Joshua Valenzuela, UNM

Nous avons de nombreuses raisons de croire que la croissance des galaxies s'accompagne de la croissance des trous noirs supermassifs qu'elles abritent dans leur cœur et qu'en retour ces trous noirs influent sur le taux de formation des étoiles et le contenu en gaz et en poussière des galaxies.

En effet, nous voyons des galaxies en cours de collision et de fusion qui laissent penser que les trous noirs supermassifs qu'elles contiennent vont aussi tomber l'un vers l'autre pour fusionner. Nous voyons aussi des jets de matière puissants émis par certaines galaxies et donnant lieu à l'existence des quasars. Ces jets seraient naturellement le résultat de l'accrétion de grandes quantités de matière lors de collisions galactiques ou lorsqu'un filament de matière froide intersecte une galaxie, par un trou noir de Kerr supermassif en rotation. Un phénomène que l'on observe aussi pour les trous noirs stellaires faisant partie d'un système binaire, arrachant par des forces de marée de la matière à une étoile compagne. Celle-ci s'étant notamment transformée en géante rouge et qui s'est dilatée au point que ses couches supérieures se retrouvent au-delà du fameux lobe de Roche, du nom du l'astronome et mathématicien français.

Les jets des trous noirs binaires changent de direction en permanence. Cet effet peut expliquer les caractéristiques de cette carte radio du quasar 3C 334 à 5 GHz et celles de nombreuses sources radio puissantes dans le ciel. Le jet émane du noyau d’une galaxie (ses étoiles ne sont pas visibles aux fréquences radio) à environ 10 milliards d’années-lumière de la nôtre. L’image couvre cinq millions d’années-lumière de gauche à droite. La structure particulière des jets indique un changement périodique de la direction du jet (précession). © M. Krause, University of Hertfordshire
Les jets des trous noirs binaires changent de direction en permanence. Cet effet peut expliquer les caractéristiques de cette carte radio du quasar 3C 334 à 5 GHz et celles de nombreuses sources radio puissantes dans le ciel. Le jet émane du noyau d’une galaxie (ses étoiles ne sont pas visibles aux fréquences radio) à environ 10 milliards d’années-lumière de la nôtre. L’image couvre cinq millions d’années-lumière de gauche à droite. La structure particulière des jets indique un changement périodique de la direction du jet (précession). © M. Krause, University of Hertfordshire

Or, ces jets de matière, de par leur souffle et de par l'énergie qu'ils injectent dans le milieu interstellaire qu'ils peuvent chauffer, peuvent chasser poussières et gaz hors d'une galaxie ou au contraire comprimer, du fait d'une onde de choc avec ce milieu, des nuages qui vont s'effondrer en étoiles. Bref, comprendre l'évolution et la structuration des galaxies nécessite aussi de comprendre la formation et l'évolution des trous noirs supermassifs.

Des trous noirs binaires révélés par la radioastronomie

On pense que l'on peut avoir des informations intéressantes à ce sujet en détectant les ondes gravitationnelles résultant de la fusion des trous noirs supermassifs, formant temporairement des systèmes binaires dans les galaxies. L'instrument tout indiqué pour cela sera la mission eLisa qui devrait être opérationnelle à l'horizon des années 2030. Mais en attendant, un groupe international d'astrophysiciens a mis sur arXiv un article qui vient d'être publié dans les fameuses Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. Il avance que l'on peut déjà faire des études et des recensements sur les trous noirs supermassifs binaires dans les galaxies. La bonne vieille radioastronomie peut en effet fournir des réponses avant que la toute jeune astronomie gravitationnelle ne soit suffisamment développée pour faire de même.

Le diagramme en encart illustre schématiquement les processus physiques de la paire de trous noirs. Des jets peuvent se former dans les disques de gaz autour des trous noirs. La direction des jets est liée à la rotation du trou noir. L’axe de rotation est représenté par une flèche rouge. Ce dernier change de direction périodiquement en raison de la présence du deuxième trou noir. © M. Krause, University of Hertfordshire
Le diagramme en encart illustre schématiquement les processus physiques de la paire de trous noirs. Des jets peuvent se former dans les disques de gaz autour des trous noirs. La direction des jets est liée à la rotation du trou noir. L’axe de rotation est représenté par une flèche rouge. Ce dernier change de direction périodiquement en raison de la présence du deuxième trou noir. © M. Krause, University of Hertfordshire

Les chercheurs ont observé dans le domaine radio plusieurs dizaines de radiogalaxies avec le Multi-Element Radio Linked Interferometer Network (Merlin) et le Karl G. Jansky Very Large Array. Cela leur a permis de montrer que plusieurs d'entre elles, la majorité en fait, avaient des jets de matière décalés des lobes radio que l'on observe aussi au bout de ces jets. En comparant les observations fournies par les radiotélescopes avec des prédictions de simulations sur ordinateurs, les astrophysiciens sont arrivés à la conclusion qu'ils avaient des preuves convaincantes que ces jets étaient soumis à des mouvements de précession du trou noir supermassif source. Mouvements de précession qui ne pourraient provenir que des perturbations gravitationnelles provenant d'un autre trou noir supermassif formant une système binaire avec celui à l'origine des jets.

La méthode serait donc un outil fiable pour détecter des trous noirs supermassifs binaires dans l'univers.


Trous noirs supermassifs : la lumière trahirait leur formation par effondrement direct

Article de Laurent Sacco publié le 01/11/2018

Les astrophysiciens et les cosmologistes sont perplexes en ce qui concerne l'origine des trous noirs supermassifs contenant au moins un million de masses solaires au cœur des galaxies. Un scénario d'effondrement direct d'un nuage d'hydrogène, simulé sur ordinateur, a conduit à une signature électromagnétique spécifique de ce phénomène que pourrait découvrir le télescope James-Webb.

Les trous noirs supermassifs sont l'une des grandes énigmes de l'astrophysique et de la cosmologie. Nous comprenons assez facilement comment peuvent se former des trous noirs stellaires, de l'ordre d'une dizaine de masses solaires, par effondrement gravitationnel d'étoiles contenant au moins une trentaine de masses solaires. Mais nous comprenons moins comment des objets compacts avec des millions voire des milliards de masses solaires peuvent se former dans le cosmos observable.

Il y a toutefois plusieurs hypothèses qui font toutes intervenir au moins le fait que ces géants peuvent grandir par coalescence, lors de fusions de galaxies, car on peut observer ces dernières. On devrait pouvoir observer la coalescence des trous noirs supermassifs d'ici 15 ans environ grâce à la mission eLisa, via les émissions d'ondes gravitationnelles que ce type d'évènement doit produire. On pense connaître également une signature électromagnétique de ces fusions d'astres relativistes. Mais il reste toutefois le problème de la production dans l'univers observable des tout premiers trous noirs de grande taille, et c'est là que les scénarios divergent.


Françoise Combes est astronome à l’Observatoire de Paris au Laboratoire d’étude du rayonnement et de la matière en astrophysique (Lerma). Son domaine actuel de recherche concerne la formation et l’évolution des galaxies. © École normale supérieure - PSL

Plusieurs scénarios d’effondrement pour fabriquer des trous noirs géants

En reprenant certains modèles proposés au cours des années 1960, moment où l'on découvrait l'énigme des quasars, on peut penser que les premiers trous noirs géants sont les restes d'étoiles supermassives contenant environ 100.000 masses solaires. Mais, la formation de ces étoiles ne va pas de soi. En fait, rien que la naissance d'étoiles contenant plus de 200 masses solaires environ est problématique, en partie à cause de ce que l'on appelle la limite d'Eddington. En effet, on n'observe pas, par exemple, d'étoiles de plus de 200 masses solaires dans la Voie lactée de façon convaincante. Mais cela semble être dû au fait que la composition actuelle du gaz interstellaire n'est pas la même que celle à l'origine des premières étoiles. En clair, il manquait des éléments lourds que ces étoiles vont fabriquer et éjecter dans l'espace en devenant des supernovae. Au cours des premières centaines de millions d'années du début de l'histoire du Cosmos, au moment où les galaxies naissent, le gaz primordial d'hydrogène et d'hélium, presque pur, permettait donc la naissance d'astres différents.

Mais d'où viendraient précisément ces étoiles supermassives ? Toujours de l'effondrement de nuages de gaz comme les étoiles normales. À ce compte, on peut alors envisager de sauter une étape et de former les graines de trous noirs supermassifs (que l'on appelle parfois des trous noirs de masses intermédiaires) directement par effondrement gravitationnel. C'est ce scénario dit DCBH (direct collapse black holes, en anglais) qu'ont étudié, à l'aide de simulations numériques, des astrophysiciens états-uniens du Georgia Institute of Technology à l'aide du supercalculateur Stampede de l'université du Texas à Austin. Les chercheurs l'expliquent dans un article disponible sur arXiv.

Un schéma du scénario de formation directe de trou noir supermassif, voir les explications ci-dessous. © Nature Astronomy Kirk S Barrow
Un schéma du scénario de formation directe de trou noir supermassif, voir les explications ci-dessous. © Nature Astronomy Kirk S Barrow

Il en a résulté qu'une signature électromagnétique précise, notamment dans l'ultraviolet et le domaine des rayons X, a été prédite par le supercalculateur et que de nos jours, du fait du décalage spectral provoqué par une expansion de l'espace qui a duré plus de 13 milliards d'années depuis l'émission de cette signature, on devrait pouvoir l'observer avec le télescope spatial James-Webb.

Cette signature repose sur le scénario suivant, soutenu par les simulations numériques.

Au centre d'une galaxie à flambée d'étoiles (galaxy starbust, en anglais) en cours de formation, le rayonnement des premières étoiles transforme de l'hydrogène moléculaire d'un nuage dense en hydrogène atomique. Cela permet à ce nuage de s'effondrer directement en un trou noir contenant environ 100.000 masses solaires, sans se fragmenter en étoiles et formant un amas ouvert comme ce serait le cas avec un nuage moléculaire. Le pic de cette formation par DCBH se serait probablement produit environ 100 millions d'années après le Big Bang.

Le trou noir rapidement formé se met à accréter du gaz et donc à produire du rayonnement X qui, paradoxalement, va contrecarrer l'effet de production d'hydrogène atomique autour de lui et provoquer en un million d'années environ la formation de quelque 90 étoiles massives autour de l'astre compact. Elles deviendront des supernovae au bout de plusieurs millions d'années. Le rayonnement produit et le souffle des explosions vont perturber l'accrétion de matière sur le trou noir mais environ 10 millions d'années après le début du processus DCBH, l'accrétion redevient plus forte, bien que marquée là aussi par des émissions ultraviolettes et X spécifiques.

On devrait donc pouvoir tester ce scénario au cours des années 2020, si tout se passe bien avec le lancement du James-Webb.