Déjà quelques milliards d'années après le Big Bang on observe des galaxies mourantes, c'est-à-dire où la formation d'étoiles s'arrête et pour des raisons mal comprises. De nouvelles observations à plusieurs longueurs d'onde, notamment avec les télescopes Alma et Subaru, suggèrent que les coupables il y a plus de 10 milliards d'années seraient des trous noirs supermassifs, comme on s'en doute depuis quelque temps, mais toujours sans que le mécanisme exact soit bien compris.
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Il y a presque un siècle, Edwin HubbleEdwin Hubble nous ouvrait le royaume des galaxies en montrant que des nébuleuses dans le fameux catalogue de l'astronomeastronome Charles MessierCharles Messier, telles Messier 31 et Messier 87, étaient en fait des objets extérieurs à la Voie lactée et qu'elles devaient donc être comme elle des Univers-îles, au sens de Kant dans un opuscule de 1755, c'est-à-dire des ensembles d'étoiles identiques au système stellairesystème stellaire que nous appelons la Voie lactée, notre Galaxie.
M31 et M87M87, alias les galaxies d'Andromèdegalaxies d'Andromède et VirgoVirgo A, sont ce que l'on sait être depuis les travaux de l’astronome irlandais Lord Rosse au milieu du XIXe siècle, des exemples de galaxies respectivement spirales et elliptiques. Mais il faudra plus de temps pour découvrir que si dans le premier cas la galaxie contient encore du gazgaz et des poussières dans des nuagesnuages moléculaires où se forment des pouponnières d'étoiles, ce n'est pas le cas dans M87 qui est appauvrie en ces matièresmatières et où la formation stellaire est faible.
Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au CNRS, et Françoise Combes, professeur au Collège de France, nous parlent des trous noirs, notamment des grands trous noirs supermassifs des galaxies qui sont derrière les quasars et qui impactent l'évolution des galaxies. © Fondation Hugot du Collège de France
Une évolution conjointe des trous noirs supermassifs et des galaxies
Il faudra beaucoup de temps aussi après Messier et Rosse pour découvrir que M87 et la Voie lactée contiennent des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs et qu'il s'agit d'une situation aussi générale que la répartition des galaxies en deux classes principales, à savoir les spirales et les elliptiques. Or, on constate dans beaucoup de cas une relation de proportionnalité entre la masse d’une galaxie et celle du trou noir supermassif qu’elle héberge et comme les grandes galaxies elliptiquesgalaxies elliptiques sont aussi dépourvues de gaz et de poussière et qu'elles contiennent des trois noirs supermassifs de très grande taille, on suspecte une relation entre les processus de croissance des galaxies et ceux des trous noirs supermassifs qu'elles contiennent, ainsi qu'une relation de causalité entre la présence de ces monstres et la mort des galaxies.
Rien n'est toutefois parfaitement clair encore sur tous ces sujets, même si depuis une décennie le paradigme de la croissance des galaxies via des filaments de gaz froids, canalisés par des filaments de matière noire, a jeté une vive lumière les concernant, comme l’a expliqué à Futura le cosmologiste Romain Teyssier.
On constate par exemple que non seulement il y a plus de 10 milliards d'années on peut déjà observer des galaxies elliptiques mortes où les étoiles ne se forment plus mais on ne sait pas vraiment pourquoi certaines galaxies sont déjà vidées du gaz moléculaire à l'origine de la formation stellaire et d'autres non. On suppose toutefois que cela a un lien avec l'activité des trous noirs supermassifs accrétant de la matière et produisant en réponse des ventsvents de matière et des souffles de rayonnement éjectant le gaz et les poussières qu'elles contiennent.
Les astrophysiciensastrophysiciens tentent de résoudre ces énigmes de plusieurs façons et bien entendu en se basant sur des observations. Nous en avons une nouvelle preuve avec un article publié dans The Astrophysical Journal, que l'on peut consulter en accès libre sur arXiv. Il provient du travail d'une équipe internationale de chercheurs dirigée par Kei Ito à Sokendai, au Japon, et qui a utilisé la banque de données du Cosmic Evolution Survey (CosmosCosmos), un relevé astronomique conçu pour sonder la formation et l'évolution des galaxies en fonction à la fois du temps cosmique (décalage vers le rougedécalage vers le rouge) et de l'environnement local des galaxies. Le relevé couvre un champ équatorial de 2 degrés carrés avec spectroscopie et imagerie allant du domaine des rayons Xrayons X à celui des ondes radio grâce à la plupart des principaux télescopestélescopes spatiaux et un certain nombre de grands télescopes au sol. Plus de 2 millions de galaxies sont détectées, couvrant 75 % de l'âge de l'Univers.
Des corrélations déjà présentes il y a 10 milliards d'années
Dans le cas présent, Ito et ses collègues ont eu recours à un échantillon de galaxies distantes de 9,5 à 12,5 milliards d'années-lumièreannées-lumière de la Voie lactée vues par les plus grands télescopes mondiaux, notamment l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (Alma) et le télescope Subaru. L'équipe a d'abord utilisé des données optiques et infrarougesinfrarouges pour identifier deux groupes de galaxiesgroupes de galaxies : celles où la formation d'étoiles est en cours et celles où la formation d'étoiles s'est arrêtée.
Pour atteindre le but qu'ils s'étaient fixé, les astrophysiciens avaient aussi besoin de données collectées dans le domaine des rayons X et des ondes radio, mais ces données étant nettement plus bruitées et dégradées il a fallu pour les exploiter, disposer d'un plus grand nombre d'observations et faire des moyennes pour en tirer un signal plus clair et utilisable.
En combinant les observations des galaxies déjà identifiées dans le visible et l'infrarouge avec celles dans le domaine X et radio, les chercheurs ont pour la première fois associé des émissionsémissions dans ces deux derniers domaines à des galaxies situées à plus de 10 milliards d'années-lumière. On peut alors voir des galaxies contenant des trous noirs supermassifs associés à des galaxies avec ou sans formation d'étoiles car les émissions de rayons X et radio sont trop fortes pour être expliquées par les seules étoiles de la galaxie, indiquant la présence d'un trou noir supermassif actif.
On constate alors clairement que les galaxies avec un trou noir géant peu actif, donc accrétant peu de matière et devant produire un faible souffle de rayonnement en conséquence (rappelons que selon les lois du champ électromagnétiquechamp électromagnétique les ondes qu'il peut former transportent de la quantité de mouvementquantité de mouvement comme des particules de matière dans un flux de gaz), sont aussi celles où la formation d'étoiles est significative.
On constate tout aussi clairement qu'une fin brutale de la formation d'étoiles dans l'Univers primordial est corrélée à une activité accrue des trous noirs supermassifs. Dans un communiqué du télescope Subaru, Kei Ito résume la situation de la manière suivante : « Nous avons réussi à détecter l'activité des trous noirs à l'intérieur des galaxies mourantes, même dans l'Univers lointain, en combinant les observations intensives de grands télescopes du monde entier, y compris le télescope Subaru. Ce résultat tiré d'observations est important pour comprendre pourquoi ils arrêtent leur formation d'étoiles. Il suggère la possibilité que les trous noirs supermassifs empêchent la croissance des galaxies. Cependant, nous ne connaissons pas encore le mécanisme. Pour comprendre le processus, l'équipe poursuivra l'enquête. »
Françoise Combes, professeur au Collège de France, nous parle plus en détail des trous noirs supermassifs. © École normale supérieure, PSL