Après plusieurs années de développement et de nombreux vols de démonstration et d'essais, le tourisme suborbital semble enfin décoller avec les deux premiers vols habités de Virgin Galatic (11 juillet) et Blue Origin (20 juillet). Christophe Bonnal, spécialiste du tourisme spatial au sein de l’Académie internationale d’astronautique, s’interroge sur l’avenir immédiat du New Shepard de Blue Origin et du SpaceShipTwo de Virgin Galatic.
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Après plusieurs années d'incertitude sur l'avenir du tourisme suborbital, Virgin GalacticVirgin Galactic et Blue Origin ont ouvert de belle manière ce marché promis à un bel avenir. Si l'on en croit les dernières études, ce marché a un potentiel important avec 50.000 personnes qui pourraient voler chaque année !
Contrairement au tourisme orbital, qui consiste à se mettre en orbite autour de la Terre, le vol suborbitalsuborbital apparaît plus « attractif car il est moins complexe et moins cher à réaliser », nous explique Christophe Bonnal, spécialiste du tourisme spatialtourisme spatial au sein de l'Académie internationale d'astronautique. En effet, le vol suborbital se contente de franchir les frontières symboliques de l'espace (voir encadré ci-dessous) pour quelques minutes seulement, le temps d'expérimenter l'apesanteurapesanteur, la noirceur de l'espace et l'observation de la courbure de la Terre.
Le saviez-vous ?
Il existe trois frontières. Une physique, que l'on situe à plus ou moins 350-400 kilomètres d'altitude mais inaccessible à aucun des véhicules touristiques suborbitaux en service ou en projet, et deux autres fixées arbitrairement. On compte la ligne de Kármán, fixée à 100 kilomètres d'altitude et reconnue par la Fédération aéronautique internationale (FAI). L'autre frontière arbitraire est située 20 kilomètres plus bas (80 km d'altitude). Elle est reconnue par la Nasa, la FAA et l'U.S. Air Force.
Cela dit, l'enthousiasme général autour des vols suborbitaux ne doit pas faire oublier que leur « viabilité reste encore à démontrer, d'autant plus que pour répondre à cette demande, plusieurs milliers de vols par an seront nécessaires ». Si nous sommes optimistes sur l'avenir de ce marché touristique, il faut tout de même signaler que son ouverture se fait dans un contexte particulier avec le changement climatique au cœur des préoccupations du grand public. Des voix alertent sur la pollution que pourrait engendrer cette multitude de vols attendus ces prochaines années et ses conséquences sur l'environnement. En attendant de savoir si l'impact environnemental du tourisme suborbital et spatial peut restreindre cette activité, voire la tuer, ce qui nous paraît peut probable, intéressons-nous à l'avenir immédiat des véhicules de Virgin Galactic et Blue Origin et à leurs possibilités d'évolution.
Très difficile de voler plus haut
Parmi ces possibilités, ceux qui imaginent des vols supersoniques de point à point seront déçus. Aussi attrayante soit-elle, « cette idée est aussi très prématurée, voire exagérée ». D'une part, parce que le SpaceShipTwo dispose de seulement « 200 kilomètres de portée et que la conception du véhicule ne résisterait pas à une rentrée ». En effet, contrairement aux navettes spatiales de la Nasa dont le retour d'orbite se faisait certes à une vitesse plus élevée mais avec un « angle de rentrée bien spécifique de sorte que les contraintes en matièrematière de pic de flux (échauffement maximal de la carlingue) et d'intégral de flux (quantité de chaleurchaleur que la structure emmagasine) étaient supportables pour le shuttle conçu pour cela », la rentrée d'un véhicule suborbital qui fait du transatlantique, que ce soit le New ShepardNew Shepard ou le SpaceShipTwo, « l'expose à des contraintes thermiques et aérodynamiques trop fortes ». Il faut savoir que ces véhicules seront contraints de « montrer très haut pour redescendre très loin et donc soumis à une très forte chaleur ». Il n'y a donc pas d'extension possible pour faire du transatlantique avec ces véhicules actuels. Sauf à les doter de « très importants réservoirs de carburant pour freiner suffisamment lors de la phase de rentrée ». Le Starship de SpaceX peut être cité en exemple. Ce lanceurlanceur, conçu pour aller sur la LuneLune et Mars, prévoit aussi de réaliser des vols de point à point en volant dans l'espace.
“Le tourisme suborbital est « condamné à 110, voire 150 kilomètres d’altitude »”
À ceux qui pensent que des évolutions futures de ces deux véhicules pourraient les amener à voler plus haut, c'est-à-dire dépasser les 100 kilomètres d'altitude pour le SpaceShipTwo de Virgin Galactic et franchir les 150 kilomètres pour le New Shepard de Blue Origin, les « attentes des uns et des autres pourraient être déçues ». En effet, le potentiel d'évolution de ces deux véhicules, tels qui sont conçus, est « fortement limité par la physiquephysique » ! Pour ces deux véhicules, il « n'est pas envisageable de monter beaucoup plus haut que ce qu'ils font aujourd'hui », plus ou moins 80 kilomètres pour le SpaceShipTwo et plus ou moins 110 kilomètres pour le New Shepard.
Pour comprendre cette limite, il faut savoir que la « phase de retour sur la terre ferme nécessite une trop grande dépense d'énergieénergie et une décélération trop importante qui occasionne jusqu'à 15 G », et donc guère supportable par personne ! Les seules améliorations possibles de ces véhicules sont donc une « amélioration des performances et une capacité à voler plus haut, pour une période d'apesanteur plus longue ». Mais, ce n'est pas la voie que devrait prendre Virgin Galactic.
Un SpaceShipThree
Pour Christophe Bonnal, si la société de Richard Branson souhaite se positionner durablement sur ce marché naissant des vols suborbitaux touristiques, elle « n'a pas d'autres choix que de développer un SpaceShipThree, notamment pour accéder à ces fameux 100 kilomètres ». D'un point de vue commercial, la situation actuelle n'est pas tenable vis-à-vis de Blue Origin dont chaque vol « amènera ces clients au-delà de la ligne de Kármánligne de Kármán, voire à plus de 110 kilomètres d'altitude ». À cela s'ajoute que le SpaceShipTwo est un véhicule à risque qui « s'explique par le choix d'un système mobilemobile de freinage du véhicule qui corrige l'assiette du cockpit à l'aide des gouvernes situées en queue de l'appareil ». Autre sujet de préoccupation, « et non des moindres » contrairement au New Shepard, l'avion suborbitalavion suborbital de Virgin Galactic ne « dispose pas d'un système déjection d'urgence ».
“D’un point de vue commercial, la situation actuelle n’est pas tenable vis-à-vis de Blue Origin”
À ces contraintes s'en ajoutent deux autres. Avec un marché estimé à plusieurs milliers de vols par an, le SpaceShipTwo ne semble pas le « véhicule le mieux adapté pour répondre à cette demande ». Il n'est pas aussi réutilisable qu'on pourrait le penser ! « Le réservoir, le divergent et le col de la tuyèretuyère sont à remplacer à chaque vol », contrairement au New Shepard de Blue Origin qui « peut redécoller en moins de 24 heures » ! À cela s'ajoute que la propulsion hydrique du SpaceShipTwo est un réel sujet de préoccupation. Le moteur-fuséefusée utilise un carburant à base de polybutadiène hydroxytéléchélique (PBHT), aussi utilisé au quotidien comme gomme synthétique pour les pneuspneus, et de protoxyde d'azoteprotoxyde d'azote (N2O), également appelé gazgaz hilarant. Virgin Galactic devrait abandonner cette motorisation pour le SpaceShipThree au profit d'une « propulsion liquideliquide, comme celle du New Shepard qui utilise un mélange d'oxygèneoxygène et d'hydrogènehydrogène liquides ». La propulsion hybridehybride actuelle du SS2 est très polluante et génère 3,2 tonnes de CO2 par vol contre 0 pour le New Shepard.
Quant au New Shepard, à l'exception « d'une meilleure autonomieautonomie de vol qui pourrait l'amener à grappiller quelques kilomètres d'altitude », les évolutions du véhicule sont « assez limitées et se feront à la marge ».
Le « Space plane » d’Airbus en embuscade
En France, les deux principaux projets de véhicules spatiaux et suborbitaux, ceux d'Airbus et de Dassault, ne sont pas complètement abandonnés comme on pourrait le penser. Si le marché du tourisme suborbital décolle, ces deux avions devraient arriver en Europe. Bordeaux pourrait même accueillir un port spatial : en décollant depuis Bordeaux, le panorama qui s'offrira aux futurs passagers au-dessus de l'océan sera sans commune mesure avec les paysages du Nouveau-Mexique ou seul le Grand Canyon présente un réel intérêt visuel.
Présenté lors du Salon du Bourget de 2007, le projet d’avion spatial d’Airbus, sobrement appelé « Space Plane », « pourrait arriver sur le marché dans un second temps, après que Virgin Galactic et Blue Origin ont montré la pérennité de ce marché naissant ». Avec ces deux turboréacteursturboréacteurs à double flux, installés latéralement à l'arrière du fuselagefuselage, cet avion-fusée ressemble à un jet d'affaires. Il est également doté d'un moteur-fusée fonctionnant avec un mélange d'oxygène liquide et de méthane. Ce « projet d'Airbus est très crédible », juge Christophe Bonnal. Il a le meilleur concept et son moteur fusée Romeo, qui fonctionne avec un mélange d'oxygène liquide et de méthane, a donné naissance au « moteur Prometheus qui équipera les versions futures d'Ariane 6Ariane 6 » !
Dassault, qui s'est déjà aventuré dans le développement d'un véhicule suborbital habité (VSH) et dans le projet d'avion suborbital Soar de Swiss Space Systems (S3), est toujours intéressé par cette activité. Malgré l'abandon de ces deux projets, une petite équipe de Dassault planche sur un nouveau concept de véhicule suborbital pour l'instant confidentiel.