Comme nous le faisons à chaque Salon du Bourget depuis 2009, nous avons rencontré Christophe Bonnal, spécialiste du tourisme spatial au sein de l'Académie internationale d’astronautique, pour faire le point sur l'activité du tourisme suborbital. Cependant, les promesses des années 2010 semblent s'être envolées. Parmi la dizaine de projets d'avions suborbitaux touristiques, seuls deux sont en service et les perspectives commerciales sont bien en deçà des attentes exprimées il y a encore quelques années.


au sommaire


    Il y a quelques jours, Virgin GalacticVirgin Galactic a lancé son activité commerciale en effectuant un premier vol touristique à la frontière administrative de l'espace, à une altitude d'environ 80 kilomètres. Il est important de noter que différentes frontières de l'espace existent. On en compte deux, fixées arbitrairement. Une première, à 80 kilomètres d'altitude, reconnue par la Nasa, la FAA, la NOAA et l'U.S. Air Force, et qui permet d'obtenir les fameuses « ailes » d'astronautes. La seconde a été reconnue par la Fédération aéronautique internationale qui la fixe à 100 kilomètres d'altitude. Cette frontière est aussi appelée ligne de Kármánligne de Kármán, du nom du physicienphysicien hongrois Theodore von Kármán.

    Contrairement au tourisme orbital, qui consiste à se mettre en orbiteorbite autour de la Terre, le vol suborbitalsuborbital est perçu comme plus attrayant car il est moins complexe et moins coûteux à réaliser. Il permet de franchir brièvement les frontières symboliques de l'espace, offrant ainsi quelques minutes d'expérience en apesanteurapesanteur, dans l'obscurité de l'espace et avec une vue sur la courbure de la Terre.

    Descente en vol plané d'Unity lors du vol test du 26 avril 2023. © Virgin Galactic
    Descente en vol plané d'Unity lors du vol test du 26 avril 2023. © Virgin Galactic

    Seuls deux véhicules suborbitaux en service

    Cependant, l'optimisme qui régnait à la fin des années 2000 a laissé place à un constat plus nuancé. Selon Christophe Bonnal, spécialiste du tourisme spatialtourisme spatial au sein de l'Académie internationale d'astronautiqueastronautique, le tourisme suborbitaltourisme suborbital est loin des objectifs initiaux qui « prévoyaient un marché avec des milliers de clients chaque année et jusqu'à 45 000 personnes d'ici 2030 ». Il s'agit donc davantage d'un « phénomène marginal, avec environ une dizaine de vols par an et un nombre de clients restreint ». Parmi les projets initiaux d'avions suborbitaux tels que XCor d'Aerospace, Armadillo Aerospace, Masten de Space Systems, Astrium et Rocketplane, seuls le New ShepardNew Shepard de Blue Origin et le SpaceShipTwoSpaceShipTwo de Virgin Galactic sont en service.

    Aujourd'hui, le tourisme suborbital présente des défis et des limites ; plusieurs raisons expliquent pourquoi ce marché ne semble pas décoller selon les prévisions. Nous en identifions trois : les aspects techniques, financiers et environnementaux.

    Voir aussi

    Tourisme spatial : quel avenir immédiat pour le New Shepard de Blue Origin et le SpaceShipTwo de Virgin Galatic ?

    Un domaine de vol restreint pour ces deux véhicules

    Du point de vue technique, bien que le vol suborbital soit considéré comme moins complexe et moins coûteux que les vols spatiaux, il reste très difficile de « concevoir des véhicules capables de monter jusqu'à la frontière de l'espace, que ce soit à 80 ou 100 kilomètres d'altitude, et de revenir sur Terre », selon Christophe Bonnal. La phase de retour nécessite une « dépense d'énergieénergie considérable et une décélération importante, pouvant atteindre jusqu'à 15 G ». De plus, les contraintes physiquesphysiques limitent le potentiel d'évolution de ces deux véhicules qui « ne peuvent pas monter beaucoup plus haut que leurs altitudes actuelles, soit environ 80 kilomètres pour le SpaceShipTwo et 110 kilomètres pour le New Shepard », ce qui restreint leur domaine de vol.

    Bien que les deux véhicules aient des configurations de vol différentes (verticale pour le New Shepard et horizontale pour le SpaceShipTwo), ils ne sont pas adaptés « à des vols plus énergétiques, tels que des vols à très grande vitessevitesse transatlantique de point à point via l'espace », souligne l'expert. La rentrée d'un véhicule suborbital pour un vol transatlantique, que ce soit le New Shepard ou le SpaceShipTwo, « exposerait le véhicule à des contraintes structurelles, thermiques et aérodynamiques trop importantes ». Il n'est donc pas possible d'envisager actuellement des vols transatlantiques avec ces véhicules. « Sauf si des réservoirs de carburant importants sont ajoutés pour ralentir suffisamment lors de la phase de rentrée. »

    Contrairement au SpaceShipTwo de Virigin Galactic qui se pose comme un avion, le New Shepard atterri sous parachutes. © Blue Origin
    Contrairement au SpaceShipTwo de Virigin Galactic qui se pose comme un avion, le New Shepard atterri sous parachutes. © Blue Origin

    La question environnementale du tourisme suborbital se pose

    De nos jours, de plus en plus de personnes prennent conscience de la nécessité de limiter l'impact de l'activité humaine sur l'environnement. Malheureusement, les systèmes de propulsion utilisés par ces deux véhicules suborbitaux « sont très polluants, chacun à sa manière ». Le moteur-fuséefusée du SpaceShipTwo utilise un carburant à base de polybutadiène hydroxytéléchélique (PBHT), également utilisé comme gomme synthétique pour les pneuspneus, ainsi que du protoxyde d'azoteprotoxyde d'azote (N2O), connu sous le nom de gazgaz hilarant. Cette propulsion hybridehybride du SpaceShipTwo est « très polluante, générant 3,2 tonnes de CO2 par vol ».

    À contrario, le moteur du New Shepard ne produit « aucune zéro émissionémission de CO2 en vol, ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas polluant », précise l'expert. Le New Shepard fonctionne avec de l'oxygèneoxygène et de l'hydrogènehydrogène liquidesliquides et ce dernier est « produit par le craquage de produits pétroliers, ce qui est en soit très polluant ». À cela s'ajoute qu'à chaque vol, il résulte une dégradation locale de la couche d'ozonecouche d'ozone qui aura d'autant plus de mal à se résorber si le nombre de vols quotidiens augmente.

    L'espace est aujourd'hui considéré comme la nouvelle frontière du développement technologique

    Des efforts sont actuellement déployés pour rendre cette activité moins polluante et plus respectueuse de l'environnement. L'espace est aujourd'hui considéré comme la nouvelle frontière du développement technologique, offrant ainsi des opportunités pour envisager des solutions durables et responsables pour l'avenir de l'exploration spatiale. Ces avancées bénéficieront non seulement à l'exploration et à la recherche spatiales mais également à d'autres domaines liés comme les marchés du tourisme spatial et suborbital.

    Un business modèle lui aussi en panne

    Enfin, les modèles économiques de ces deux services commerciaux, qui « prévoyaient chacun un nombre minimum de vols, dont on sait aujourd'hui qu'ils ne seront pas atteints », semblent moins « adaptés aux conditions actuelles du marché ». Aujourd'hui, les perspectives commerciales restent incertaines et il est « difficile de prévoir si ce secteur [le tourisme suborbital] se développera à grande échelle dans un avenir proche », s'interroge Christophe Bonnal.

    Cependant, le service commercial du New Shepard de Blue Origin nous apparaît plus prometteur que celui de Virgin Galactic. Son véhicule, qui n'a pas besoin de pilotes ni d'un avion porteur, est moins risqué, réellement réutilisable, possède une capacité d'emport plus grande et atteint des altitudes plus élevées. De plus, il offre la possibilité de « réaliser des vols cargo automatiques, ce qui ouvre des perspectives commerciales intéressantes », car le marché de l'expérimentation semble promis à un bel avenir.

    Projet de ballon stratosphérique avec une capsule dotée d'un balcon pour voir la Terre depuis la stratosphère. © Stratoflight
    Projet de ballon stratosphérique avec une capsule dotée d'un balcon pour voir la Terre depuis la stratosphère. © Stratoflight

    L'avenir du marché : les ballons suborbitaux ?

    Pour toutes ces raisons, l'avenir commercial de ces deux entreprises semble incertain. Les seuls marchés « durables » que ces véhicules pourraient viser « sont très probablement les vols scientifiques et technologiques ainsi que des vols de prestige pour Blue Origin, commente Christophe Bonnal, spécialiste du tourisme spatial. En revanche, pour Virgin Galactic, il semble que seuls les vols de prestige soient envisageables ».

    Enfin, si nous avons utilisé le terme « motorisé » dans notre titre, ce n'est évidemment pas sans raison. Ceux qui rêvent d'espace à moindre coût, et sans aller voler à la frontière de l'espace, pourront y accéder à l'aide de ballonsballons stratosphériques. Quelques sociétés ont donc décidé de s'installer sur ce marché de niche et de proposer à une échéance un peu plus lointaine, à l'horizon 2024-2025, des voyages en ballon à quelques 25 ou 30 kilomètres d'altitude.

    Certes, ce tourisme n'est pas à proprement parler du tourisme spatial, qui permettrait de gagner ses ailes d'astronautes, mais à cette altitude, il sera tout de même possible de découvrir la courbure de la Terre, la noirceur de l'espace et même l'apesanteur pour certains projets. Le pari de ces sociétés est que l'attrait des vols touristiques « spatiaux » vient moins de la brève incursion dans l'espace que du spectacle de la Terre vue d'en haut.