Depuis des décennies, les physiciens tentent de produire des noyaux dits transuraniens, c'est-à-dire contenant davantage de nucléons que l'uranium, l'atome le plus lourd connu sur Terre. L'union internationale de chimie pure et appliquée (IUPAC) vient d'annoncer que les transuraniens manquants de la toute dernière période du tableau de Mendeleïev ont bien été découverts. Ce tableau peut donc être dit complet... jusqu'à nouvel ordre.
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Lorsque le chimiste russe Dmitri MendeleïevDmitri Mendeleïev a dressé son célèbre tableau des éléments chimiques, en 1869, il avait eu la prescience de l'existence de nouveaux éléments à découvrir, correspondant aux cases vides qui s'y trouvaient. Il était possible de partir à leur recherche en se basant sur leurs positions dans ce tableau, puisque celles-ci indiquent certaines de leurs propriétés chimiques et physiques. En effet, ce sont justement des régularités dans les propriétés des atomes en fonction de leurs masses qui ont conduit à cette représentation en tableau.
Au début du XXe siècle, la découverte de l'électron, puis du noyau et des lois de la mécanique quantique ont permis de comprendre l'origine de ces régularités et de justifier l'espoir de trouver les éléments manquants suggérés par le tableau du savant russe. Au cours de ce même siècle, les développements de la physique nucléaire ont permis d'étendre le tableau de Mendeleïevtableau de Mendeleïev au-delà de l'atome d'uraniumuranium, portant le numéro atomiquenuméro atomique 92. En grande partie, ce fut la découverte du neutronneutron par James Chadwick en 1932 qui, comme le démontra Enrico FermiEnrico Fermi quelques années plus tard, allait permettre d'explorer le territoire des transuraniens, c'est-à-dire des noyaux comportant un plus grand nombre de protonsprotons que ceux de l'uranium.
Rappelons que l'existence du neutron avait été soupçonnée dès 1920 par Rutherford, mais c'est en étudiant le rayonnement pénétrant émis par les noyaux de borebore et de bérylliumbéryllium bombardés par des particules alpha que Chadwick réussit à prouver son existence. En 1919, Rutherford avait montré qu'un élément peut être transformé en un autre par bombardement de particules alpha dont il avait prouvé en 1908 qu'il s'agissait de noyaux d'héliumhélium. Le rêve des alchimistes, la transmutationtransmutation, était devenu réalité... En 1934, Fermi comprit qu'il était possible de créer des éléments transuraniens, en utilisant des neutrons. Il ne réussira à produire que des isotopesisotopes d'éléments déjà connus, mais ses travaux lui vaudront le prix Nobel de physique en 1938 pour sa découverte de nouveaux noyaux radioactifs.
Des neutrons aux ions lourds
Il fallut toutefois attendre 1940 pour que se produise la percée menant à l'exploration du monde de ces noyaux transuraniens. En bombardant de l'uranium 238 avec des neutrons au Berkeley Radiation Laboratory (que l'on n'appelait pas encore Lawrence Berkeley National Laboratory, ou LBNL) de l'université de Californie à Berkeley, Edwin McMillan et Philip Abelson produisent l'isotope 239 du neptuniumneptunium, d'une demi-viedemi-vie de 2,4 jours. De 1945 à 1974, les équipes menées par Edwin McMillan, Glenn Seaborg et Albert Ghiorso vont créer au LBNL de nouveaux isotopes d'éléments superlourds.
La relève sera prise par le JINR (Joint Institute for Nuclear Research), un centre de recherche international de physique nucléaire situé à Doubna, en Russie, dans l'oblast de Moscou et enfin par le LLNL (Lawrence Livermore National Laboratory). Ils utiliseront des ionsions lourds.
Le LLNL et le JINR n'ont cessé par la suite et jusqu'à nos jours de tenter de créer de nouveaux transuraniens, et avec succès. Est aussi rentré dans la course le célèbre laboratoire japonais Riken, plus précisément sa division Nishina Center for Accelerator-Based Science. Des membres de cette division, menés par Kosuke Morita, ont ainsi annoncé en 2004 avoir obtenu l'élément 113 en bombardant des noyaux de bismuthbismuth avec des ions de zinczinc. Le nouvel élément avait été baptisé temporairement ununtriumununtrium.
De nouveaux transuraniens pour une période du tableau des éléments
Des chercheurs du JINR et du LLNL vont aussi faire sa découverte la même année. Les deux équipes, qui collaborent, ont poursuivi leur quête et découvert les éléments 115, 117 et 118, baptisés respectivement ununpentiumununpentium, ununseptium et ununoctiumununoctium. L'IUPAC (Union internationale de chimiechimie pure et appliquée) a finalement annoncé ce 30 décembre 2015 qu'elle validait l'existence de ces éléments et qu'elle autorisait les membres des laboratoires japonais, russes et états-uniens à donner des noms spécifiques à ces nouveaux éléments. Selon la tradition, il peut faire référence à un concept mythologique, un minéralminéral, un lieu ou pays, une propriété ou encore un scientifique. En 2012, l'IUPAC avait ainsi définitivement attribué le nom de livermorium (anciennement ununhexium) à l'élément chimique de numéro atomique 116 qui, comme son nom l'indique, avait été découvert au LLNL.
L'élément 113 sera nommé par les chercheurs japonais. Les trois autres par les chercheurs russes et états-uniens. Remarquablement, la dernière période du tableau de Mendeleïev est désormais complète. On spécule depuis les années 1960 sur l'existence d'une huitième période et même d'un groupe de noyaux très lourds qui ne seraient plus instables contrairement aux transuraniens actuellement connus.