James-Webb a relevé la composition chimique d’un disque protoplanétaire. Une découverte remarquable quand on sait que la composition d'une planète rocheuse joue un grand rôle dans l'habitabilité d'une planète. C’est pour cela qu'il est intéressant de suivre l'évolution de la composition chimique des grains de poussière au cours de l'assemblage d'une planète. Les explications de Benoît Tabone, chercheur CNRS à l’Institut d’astrophysique spatiale et auteur de l’étude publiée dans la revue Nature Astronomy.


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    Le télescope spatial James-Webb, dont on savait qu'il allait faire des découvertes passionnantes et importantes dans le domaine des exoplanètes, a récemment observé le disque protoplanétaire de l'étoile J160532. Il a « permis de révéler la composition chimique de ce disque, riche en hydrocarbures », nous explique Benoît Tabone, chercheur CNRS à l'Institut d’astrophysique spatiale (Université-Paris Saclay). Une découverte bien plus intéressante qu'elle n'y paraît.

    Ces résultats remarquables sont un « premier aperçu du potentiel du télescope spatial James-Webb pour connaître les conditions physiquesphysiques et chimiques qui règnent dans ces disques de poussières et de gazgaz lors dans la formation des planètes ».

    Mieux comprendre la naissance des planètes

    En effet, il faut savoir que c'est ici que « naissent les planètes, au cœur des disques de poussière et de gaz qui orbitent autour des jeunes étoiles ». La matièrematière s'y agglomère pour former des « protoplanètes » qui poursuivent leur croissance en amassant les matériaux qu'elles rencontrent dans le disque. Mais les « connaissances sur ce processus restent limitées, d'où l'intérêt de les étudier ». Pour cela, des scientifiques de 11 pays européens se sont regroupés au sein du consortium Minds (MiriMiri mid-INfrared Disk Survey) pour étudier une cinquantaine de ces disques, à l'aide de l'instrument Miri à bord du télescope James-Webb. Ce programme a pour but de « déterminer les propriétés de ces disques autour d'une grande variété d'étoiles de massesmasses différentes et d'en tirer à terme des statistiques ».

    Hier, jeudi 11 mai, le consortium Minds a publié dans la revue Nature Astronomy les résultats de l'étude de l'un de ces tout premiers disques protoplanétaires, celui autour de l'étoile J160532. Cette étoile ne vous dit certainement rien. À nous non plus. Cependant, « elle n'a évidemment pas été choisie au hasard ». Cette très jeune étoile, formée il y a environ trois millions d'années, contre plus de quatre milliards et demi d'années pour le SoleilSoleil à titre de comparaison, et située à seulement 500 années-lumièreannées-lumière de la Terre a été choisie en raison de « sa faible masse, de l'ordre de cinq à dix fois plus faible que celle du Soleil ».

    J160532 peut nous aider à mieux comprendre comment ces petites planètes rocheuses potentiellement habitables se forment

    Pour comprendre ce choix d'une étoile très différente du Soleil, il faut savoir que les observations de ces dernières années ont « montré que les exoplanètes rocheuses sont très abondantes autour de ces étoiles "légères" ». Ces exoplanètes se forment en outre souvent dans la « zone habitable de leur étoile comme en témoigne le célèbre système d'exoplanètes Trappist-1 ». Le disque protoplanétaire de J160532 est donc vraisemblablement un précurseur de celui de Trappist-1, ce qui « peut nous aider à mieux comprendre comment ces petites planètes rocheusesplanètes rocheuses potentiellement habitables se forment ».

    Le spectre Miri de l’étoile J160532. Les raies d'émission du benzène (C6H6), du diacétylène (C4H2) et du dioxyde de carbone (CO<sub>2</sub>) apparaissent comme des pics étroits dans le spectre. L'acétylène est si abondant qu'il produit deux larges bosses dans le spectre. Cela témoigne de la prédominance des hydrocarbures dans le disque. L'émission d'eau, couramment observée dans d'autres disques, est faible ou absente. © Benoît Tabone, Minds consortium, Nasa, ESA
    Le spectre Miri de l’étoile J160532. Les raies d'émission du benzène (C6H6), du diacétylène (C4H2) et du dioxyde de carbone (CO2) apparaissent comme des pics étroits dans le spectre. L'acétylène est si abondant qu'il produit deux larges bosses dans le spectre. Cela témoigne de la prédominance des hydrocarbures dans le disque. L'émission d'eau, couramment observée dans d'autres disques, est faible ou absente. © Benoît Tabone, Minds consortium, Nasa, ESA

    Des molécules détectées pour la première fois dans un disque

    À l'aide de l'instrument Miri, James-Webb a pu « révéler la composition chimique de ce disque, riche en hydrocarbures ». Si les astronomesastronomes s'attendaient à détecter certaines des moléculesmolécules recensées, les observations de Miri révèlent tout de même quelques surprises de taille. En disséquant la lumière infrarougeinfrarouge émise par le gaz dans le disque de J160532, l'instrument Miri a « permis de révéler une quantité très importante d'acétylène (C2H2), une molécule d'hydrocarbure simple et très réactive ». La découverte de molécules « jusque-là inconnues dans les disques protoplanétaires a également créé la surprise : deux autres hydrocarbures, le benzènebenzène (C6H6) et le diacétylène (C4H2) ont en effet été identifiés ».

    Ainsi, le disque J160532 semble extrêmement riche en molécules carbonées sous forme de gaz, avec très peu d'eau et de dioxyde de carbonedioxyde de carbone, alors que ces deux molécules contenant de l'oxygèneoxygène sont régulièrement détectées dans d'autres disques. Les auteurs de cette étude avancent « l'hypothèse selon laquelle le carbone solidesolide dans le disque J160532 serait passé à l'état de gaz en raison de l'activité intense de la jeune étoile ».

    Cela impliquerait que les planètes rocheuses formées à partir des grains de poussière du disque devraient avoir une « composition minérale pauvre en carbone tout comme la Terre ». Une découverte intéressante puisque la « composition du manteau terrestremanteau terrestre, riche en silicatesilicate, joue un grand rôle dans l'activité géochimique (volcansvolcans, tectonique des plaquestectonique des plaques) de la planète et donc dans son habitabilité ».

    Pour compléter ces résultats et améliorer nos connaissances, de nouvelles observations sont prévues, toujours avec James-Webb. Cette fois-ci, « nous souhaitons observer le disque dans des longueurs d'ondelongueurs d'onde plus courtes afin de détecter le monoxyde de carbonemonoxyde de carbone, un composé clé pour la chimiechimie des disques ». Le consortium Minds a également fait une demande au comité qui gère les temps d'observation de l’observatoire Alma, qui fonctionne dans le millimétrique et submillimétrique. Contrairement au James-Webb, qui « donne accès à seulement une petite partie centrale du disque », Alma doit nous permettre « d'observer la composition de la partie externe du disque, ce qui nous aidera dans la compréhension de l'ensemble du disque ».