Quel est le point commun entre une coquille d’escargot, des vignes grimpantes et des cornes de bélier ? Toutes ces structures biologiques présentent une forme en spirale. Pour comprendre la formation de cette géométrie, une nouvelle étude vient de mettre en équation la morphogenèse des coquilles des mollusques, et plus particulièrement des ammonites.


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    L'enroulement asymétriqueasymétrique des coquilles de certains gastéropodesgastéropodes, comme les escargots ou certaines ammonitesammonites, a longtemps fasciné les collectionneurs et les scientifiques. Cette forme en hélicospirale est en effet très présente dans le monde des mollusques et ce depuis 540 millions d'années. De plus, elle n'est pas caractéristique d'un environnement, puisqu'on la retrouve dans tous les milieux, marins et terrestres, des plaines abyssalesplaines abyssales à nos jardins.

    Une équipe de chercheurs du Laboratoire de géologiegéologie de Lyon et de l'Institut de mathématique de l'université d'Oxford ont tenté de mettre en équation cette forme biologique et d'expliquer la formation de ces coquilles.

    L’intrigante asymétrie des coquilles de certaines ammonites

    Si les gastéropodes présentent souvent une coquille symétrique, certaines espècesespèces, comme les escargots, possèdent cependant une coquille asymétrique en hélicospirale, avec l’ouverture généralement placée sur le côté droit. Cette asymétrie a longtemps intrigué les biologistes, qui ont fait des escargots les organismes modèlesorganismes modèles pour comprendre les bases génétiquesgénétiques et développementales de cette rupture de symétrie chez les organismes bilatériensbilatériens.

    La diversité des formes de coquilles asymétriques des escargots. © Dodd, Mead and Company, Wikimedia Commons, domaine public
    La diversité des formes de coquilles asymétriques des escargots. © Dodd, Mead and Company, Wikimedia Commons, domaine public

    À l'inverse des escargots et comme la plupart des gastéropodes, la très grande majorité des ammonites possèdent une coquille enroulée de manière symétrique, sur un plan. Ces mollusquesmollusques céphalopodescéphalopodes ont colonisé les océans durant 340 millions d’années et se sont éteints durant la crise biologiquecrise biologique de la fin du CrétacéCrétacé, il y a 66 millions d’années. Il semblerait que les ammonites aient possédé les mêmes mécanismes de constructionconstruction de leur coquille que les gastéropodes actuels. Cependant, 1 % des 3.000 genres d'ammonites répertoriés présentent tout de même une coquille en hélicospirale asymétrique, comme les escargots. Ces spécimens, longtemps considérés comme aberrantsaberrants, sont intrigants puisqu'il apparaît que le corps de ces ammonites est pourtant symétrique. Mais comment un corps symétrique peut-il donc sécréter une coquille non symétrique ?

    Exemples de coquilles de Nipponites, des ammonites présentant une coquille de forme totalement asymétrique. © Masahiro miyasaka, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0
    Exemples de coquilles de Nipponites, des ammonites présentant une coquille de forme totalement asymétrique. © Masahiro miyasaka, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0

    Le corps du mollusque modèle la forme de la coquille

    Les précédentes études expliquaient la géométrie des coquilles asymétriques par les processus de croissance se produisant au niveau de la base de la coquille. Les résultats de l'article publié dans la revue PNAS montrent cependant que la position et les forces mécaniques du corps à l'intérieur de la coquille contrôlent largement la croissance et la forme de celle-ci.

    Le modèle mathématique développé par les auteurs de l'étude prend ainsi en compte l'interaction entre le corps mou du mollusque et sa coquille rigide, durant son développement. Chez les gastéropodes, le corps est ainsi caractérisé par un enroulement intrinsèque, lié à une asymétrie du développement musculaire. Les contraintes physiques engendrées par cet enroulement du corps à l'intérieur de la coquille favoriseraient donc naturellement la forme en hélicospirale. Il semblerait même qu'il soit impossible pour ces organismes à corps asymétrique de produire une coquille symétrique. À l'inverse, pour les ammonites, qui possèdent un corps symétrique, tout semble possible. Le modèle mathématique montre que la forme en hélicospirale parfois observée serait liée à un décalage de croissance entre le tube de la coquille et le corps chez certaines espèces, générant ainsi un déséquilibre des forces mécaniques contrebalancées par un enroulement du corps et menant à une rupture de la symétrie de la coquille.

    L'étude met donc en lumière l'importance des forces physiques dans le développement biologique et dans la génération de formes parfois extravagantes.


    La coquille des ammonites régie par les lois de la physique

    Un modèle biomécanique développé par des chercheurs français et anglais explique la formation et la diversité des coquilles d'ammonites. Ce groupe de céphalopodes fossilesfossiles, proches des actuels nautiles, possédaient des coquilles en forme de spirales ondulées.

    Article de CNRS publié le 14 octobre 2014

    La forme des organismes vivants évolue au cours du temps et les interrogations suscitées par ces transformations ont favorisé l'émergenceémergence des théories de l'évolutionthéories de l'évolution. Pour comprendre comment les formes biologiques changent à l'échelle des temps géologiqueséchelle des temps géologiques, les chercheurs s'intéressent depuis peu de temps à la façon dont elles sont générées au cours du développement et de la croissance d'un individu : on parle de morphogenèsemorphogenèse. Le groupe des ammonites, compte tenu de la diversité exceptionnelle de la forme des coquilles et des motifs (en particulier les côtes) qui les ornent, est très étudié d'un point de vue évolutif mais les mécanismes à l'origine de ces spirales ondulées étaient jusqu'ici inconnus. Les chercheurs tentaient donc de comprendre l'évolution de ces formes sans savoir comment elles avaient été générées.

    Dans un article paru sur le site de la revue Journal of Theoretical Biology, Régis Chirat, chercheur au Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (CNRS/Université Claude BernardClaude Bernard Lyon 1/ENS de Lyon), et deux collaborateurs de l'Institut de mathématiques de l'université d'Oxford présentent un modèle qui explique la morphogénèse de ces coquilles. En décrivant par des équations mathématiques la façon dont la coquille est sécrétée par l'ammonite et croît, ils ont mis en évidence l'existence de forces mécaniques propres aux mollusques en cours de développement. Ces forces dépendent des propriétés physiques des tissus biologiques et de la géométrie de la coquille. Elles sont à l'origine d'oscillations mécaniques à l'extrémité de la coquille qui génèrent les côtes, sortes d'ondulations ornant la spirale.

    Le nautile, un céphalopode actuel proche des ammonites, possède une coquille lisse. © Daniel Davis, Wikimedia Commons, cc by sa 2.0
    Le nautile, un céphalopode actuel proche des ammonites, possède une coquille lisse. © Daniel Davis, Wikimedia Commons, cc by sa 2.0

    Le modèle biomécanique décrit l’évolution des ammonites et des nautiles

    En confrontant différents spécimens fossiles aux simulations produites par le modèle, les chercheurs ont observé que celui-ci peut prédire le nombre et la forme des côtes pour différentes ammonites. Le modèle montre que l'ornementation de la coquille évolue en fonction de variables telles que l'élasticité des tissus et le taux d'expansion de la coquille, taux auquel le diamètre de l'ouverture augmente à chaque tour de spire.

    En offrant une explication biophysique à la formation de ces ornementations, cette approche théorique permet d'expliquer la diversité existante au sein des espèces et entre elles. Elle ouvre ainsi des perspectives nouvelles dans l'étude de l'évolution morphologique des ammonites, évolution qui apparaît fortement canalisée par des contraintes mécaniques et géométriques. Ce nouvel outil apporte d'ailleurs un éclairage sur une vieille énigme. Depuis près de 200 millions d'années, les coquilles des nautiles, cousins éloignés des ammonites qui peuplent encore les eaux des océans Indien et Pacifique, sont demeurées essentiellement lisses et sans ornementation distinctive. Le modèle montre que le maintien de cette forme de coquille ne traduit pas une absence d'évolution comme le suggère le -- mauvais -- qualificatif de fossiles vivantsfossiles vivants attribué aux nautiles actuels. Il est dû à un fort taux d'expansion qui conduit à la formation de coquilles lisses difficilement distinguables les unes des autres.

    De façon plus générale, ces travaux soulignent l'intérêt de l'étude des bases physiques du développement biologique : en comprenant les règles de construction à l'origine de la diversité morphologique des organismes, l'évolution de leur forme devient en partie prédictible.