Avec The Substance, en salles le 6 Novembre, Coralie Fargeat ne se refuse aucun effet gore, voire grotesque, pour servir un commentaire social sur l'âgisme et les standards de beauté étroits qui enferment les femmes. La réalisatrice et lauréate du prix du scénario au Festival de Cannes réussit le pari d’un body-horror assumé mais jamais gratuit, sans perdre de vue la « substance » de son récit.
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Dans un Los Angeles aux allures post-apocalyptiques, Demi Moore campe Elisabeth Sparkle, une actrice devenue vedette de l'aérobic, qui rappelle l'iconique Jane Fonda. Oui mais voilà, Elisabeth vient d'avoir 50 ans et, selon la dure loi d'Hollywood, autant l'envoyer directement en maison de retraite. Un jour star adulée, le lendemain violemment placardisée, cette nouvelle soudaine se matérialise par le choc littéral d'un accidentaccident de voiturevoiture. Sortie de l'hôpital sans égratignures, physiques du moins, elle trouve dans sa poche une clé USBUSB, glissée là par un infirmierinfirmier, sur laquelle se trouve une vidéo présentant la fameuse « substance » : une injection de ce sérumsérum, et elle pourrait devenir une meilleure version d'elle-même.
Elixir vitae
Du mythe de la fontaine de jouvence à la pierre philosophale des alchimistes, jusqu'au projet Blueprint du millionnaire américain Bryan Johnson...La quête de la jeunesse éternelle passionne le monde scientifique et la fiction depuis l'Antiquité. Pourtant, dans The Substance, contrairement au philtre de jouvence qu'avale Meryl Streep dans La mort vous va si bien, le sérum que s'injecte Elisabeth Sparkle ne lui rend pas son apparence passée mais lui fait « mettre au monde » un clone plus jeune, à la beauté presque factice, dans une scène à vous retourner l'estomacestomac. Dans l'univers imaginé par Coralie Fargeat, une meilleure version de nous même est donc forcément plus jeune, plus belle, plus désirable.
Le double, nommée Sue, se retrouve alors catapultée dans les hautes sphères et devient à son tour une star de l'aérobic. Il n'y a qu'une règle stricte à suivre à tout prix : les deux femmes doivent alterner tous les sept jours. Quand l'une vit, l'autre devient une coquille vide qu'il faut cacher et nourrir par intraveineuse. Par ailleurs, pour que son cerveaucerveau fonctionne correctement, Sue doit prélever puis s'injecter le liquide cérébrospinal d'Elisabeth et c'est par une transfusiontransfusion sanguine qu'elles se relaient toutes les semaines. Liées par ces fluides et par leur génome, elles ne seront toujours que deux faces d'une même pièce. On y décèle une subtile exploration de sujets tabous qui entourent la parentalité : la jalousie, la projection... et bien sur, les stage-moms - mamans de scène - d'Hollywood, ces mères qui veulent à tout prix rendre leurs enfants célèbres, parfois pour satisfaire leurs propres aspirations déchues. Dans son autobiographie au titre provocateur, Génial, ma mère est morte !, la comédienne Jennette McCurdy décrit une relation difficile avec sa mère, qui vivait son rêve de célébrité à travers elle, sans se soucier de ses envies ou des dangers d'une carrière d'enfant star.
Miroir, miroir
Évidemment, cette règle des sept jours n'est là que pour être transgressée. Comme une enfant star devenue responsable de ses choix de carrière, voilà que Sue refuse de laisser sa place. Insignifiante, recluse, toujours trop vieille, Elisabeth se retrouve de nouveau placardisée, littéralement cette fois. Et c'est un sort pire que le retour à l'anonymat qui l'attend. Un sort qu'elle continuera de s'infliger, incapable de mettre fin à l'expérience.
Mais si le film œuvre également en excellente allégorie de l'addiction, cette dégénérescence ne paraît pas comme une punition infligée à Elisabeth pour avoir cédé aux promesses d'une « substance » vendue sur le marché noir. Ici, on assiste plutôt à tout ce que cette femme serait prête à sacrifier pour exister à travers un corps jeune et désirable aux yeuxyeux du monde : subir ce qui l'a menée ici à l'origine, sa peur de vieillir, et sacrifier sa santé physique, son équilibre mental, sa vie.
Le destin d'Elisabeth n'est que le début d'un cercle vicieux et Coralie Fargeat n'épargne personne, pas même les Sue de ce monde. Dans un dernier acte jouissif, elle emprunte au Elephant Man de David Lynch et nous offre une vengeance sanglante qui ferait pâlir Brian de Palma. Dans le monde strict, froid, aseptisé mais empoisonné qu'elle raconte, la réalisatrice choisit le chaos et la destruction. La crasse pour anéantir l'ordre établi, le seul moyen de réinjecter un peu de vie dans une société devenue apathique et cruelle.