Au Mexique, voilà vingt ans que des milliers de personnes s'évaporent chaque année sans laisser de trace et que les tombes clandestines se multiplient. Une situation pour laquelle le gouvernement s'est tourné vers un institut de recherche. Sa mission : retrouver les corps des disparus.
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C'est une mission peu commune que le gouvernement mexicain, en désespoir de cause, a confiée aux chercheurs du Centre de recherche en géographie et géomatique (CentroGeo) : mettre tous ses savoirs et sa technologie au service de la recherche des disparus. Dans ce pays frontalier des États-Unis, centre névralgique du trafic de drogue, ils sont officiellement 100 000 à s'être évaporés dans la nature depuis 2006 et la déclaration de guerre de l'État contre la droguedrogue.
Un chiffre monstrueux qui cache des victimes pour la plupart tuées en guise de représailles ou à l'issue d'enlèvements et de demandes de rançons ayant mal tourné. Résultat, les tombes clandestines se multiplient, au point que des associations de proches des victimes se sont formées pour partir à la recherche des corps, disséminésdisséminés un peu partout dans le pays. Face à une situation devenue incontrôlable, le Mexique espère, avec l'appui du CentroGeo, localiser ces tombes rapidement.
Parmi les membres de l'équipe en charge du projet, les chercheurs Ana Josselinne Alegre Mondragón et José Luis Silván-Cárdenas. Ensemble, ils ont co-signé un article paru en juin dernier dans la revue MedCrave. Ils y exposent un travail acharné pour mettre au point une méthode de cartographie des zones susceptibles d'abriter des tombes.
Des emplacements soigneusement choisis
Car leur emplacement est loin de relever du pur hasard. Les chercheurs ont identifié plusieurs facteurs environnementaux susceptibles d'influencer le choix des criminels :
- le relief, comme l'altitude et les pentes, sont des lieux souvent privilégiés par les criminels qui choisissent généralement des zones isolées et difficiles d'accès pour enterrer les corps ;
- les rivières, les lacs, et autres plans d'eau peuvent également influencer le choix des sites pour les fosses, que ce soit pour des raisons de dissimulation (proximité d'eau pour cacher l'odeur) ou pour éviter les zones inondables ;
- les zones avec une végétation dense, comme les forêts, peuvent servir de couverture naturelle pour les tombes ;
- les données sur l'utilisation des terres sont également utiles pour identifier des zones inhabitées, rurales ou abandonnées, souvent choisies pour enterrer les corps. Les zones agricoles ou industrielles peuvent également être prises en compte si elles offrent des endroits isolés ;
- les routes, sentiers et chemins sont intégrés car les criminels peuvent chercher des lieux accessibles, mais suffisamment éloignés des routes principales pour éviter d'attirer l'attention ;
- les structures abandonnées peuvent servir de points de repère ou de sites de dissimulation ;
- la densité de population est étudiée afin d'identifier les zones moins peuplées ;
- enfin, sont prises en compte les données sur les incidents criminels passés, les zones de conflits, de haute criminalité ou réputées pour être le théâtre de nombreuses disparitions.
La science au service de l'état de droit
Une fois ces éléments identifiés, les chercheurs les ont intégrés à des SIG (Systèmes d'information géographique), des logicielslogiciels conçus pour capturer, stocker, manipuler, analyser, gérer et présenter toutes sortes de données spatiales ou géographiques. Ils permettent aux utilisateurs de visualiser, interpréter et comprendre les données sous forme de cartes, de rapports, de graphiques, permettant ainsi de révéler des schémas, des relations et des tendances dans les données géographiques.
Grâce à cette méthode, près de 1 600 sites potentiels ont pu être identifiés. Un espoir pour les familles et proches des victimes, mais aussi pour le gouvernement, qui voit dans cette approche novatrice un des nombreux outils indispensables à la réinstauration de l'état de droit dans un pays sclérosé par les violences de masse et la corruption. Selon l'Institut mexicain de statistiques (Inegi), cité par le quotidien mexicain Sin Embargo, « il y a chaque année entre quatre et cinq millions d'actes de petite corruption, en moyenne un par fonctionnaire [au niveau national, régional et municipal] », rapporte Courrier International.
Des chiffres qui laissent pantois et donnent à l'avancée scientifique des chercheurs des allures presque dérisoires face à un défi multiforme d'une telle ampleur.