Les connaissances approfondies du génome humain offrent de nouvelles opportunités en matière de traitement de la maladie. Cependant, la thérapie génique a jusqu'à maintenant été une piste de recherche à la fois controversée et prometteuse. Un projet collaboratif financé par l'Union européenne, intitulé "Gene therapy: an Integrated Approach for Neoplastic Treatment" (GIANT - Thérapie génique: une approche intégrée du traitement néoplasique), vise à rendre la thérapie génique à la fois plus sûre et entièrement acceptable en vue d'un traitement clinique du cancer de la prostate.

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Capsides de Baculovirus  dans des cellules de cancer prostatique en culture

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Avant que ce type de thérapies puisse être utilisé cliniquement, des problèmes fondamentaux - tels que la limitation de la dose de vecteur, le contrôle du ciblage et de l'expression, et la baisse de la toxicité non spécifique - restent à résoudre, ce qui exige de recourir à un large éventail de disciplines. Le coordinateur du projet, le professeur Norman Maitland, explique : "En partant des travaux réalisés dans le cadre de deux projets consacrés au cancer de la prostate et d'un autre dédié aux vecteurs viraux menés au titre du 5e PC, nous avons réuni des experts du cancer de la prostate, des immunologistes et des spécialistes des vecteurs viraux et non viraux".

L'une des raisons pour lesquelles le cancer de la prostate se prête aux nouvelles thérapies est qu'il n'existe à l'heure actuelle aucun traitement efficace après une rechute. En Europe, la maladie est la deuxième cause de mortalité chez l'homme, derrière le cancer du poumon, et son origine reste inconnue. Par ailleurs, le taux d'incidence a considérablement augmenté depuis 1950. Bien qu'une part de cette hausse puisse être due à une amélioration de la détection, on estime à 150.000 le nombre de cas apparaissant chaque année dans l'UE.

Le projet GIANT recevra un appui de la part de l'UE s'élevant à plus de neuf millions d'euros, sur une période de cinq ans, en tant que projet intégré mené au titre de la priorité "Sciences de la vie, génomique et biotechnologie pour la santé" du Sixième programme-cadre (6e PC). Les cancérologues chercheront à identifier les moyens de cibler la maladie, tandis que les vectorologues axeront leurs travaux sur la conception de véhicules de livraison, ou vecteurs, destinés à acheminer la thérapie.

Un virus consiste en un "paquet" de gènes "emballés" dans une enveloppe protéinique. Les vecteurs viraux utilisés dans le cadre des thérapies génétiques se servent des cellules du corps humain, qui jouent ainsi le rôle d'usines, afin de répliquer l'agent actif transporté par le virus. Les chercheurs travaillant sur le développement de vecteurs non viraux tentent d'"imiter la nature" en construisant une enveloppe protéinique autour des gènes pour les acheminer. L'un des obstacles à l'utilisation de vecteurs non viraux est qu'ils ont tendance à déclencher une réaction du système immunitaire à leur encontre. Les trois groupes de recherche européens spécialisés dans les vecteurs non viraux dont se compose le projet GIANT ont été invités à étudier un moyen de résoudre ces problèmes dans le contexte du cancer de la prostate. "Nous nous sommes tous sentis très encouragés à l'issue de la première réunion. Nous sommes désormais à la recherche de vecteurs non viraux qui soient très spécifiques aux cancers de la prostate", affirme le professeur Maitland.

"La médecine sophistiquée s'oriente actuellement vers des traitements spécifiques aux patients", déclare le professeur Maitland, "et le cancer de la prostate est tristement célèbre pour son hétérogénéité". Le projet GIANT compte s'atteler à ce problème en développant plusieurs agents thérapeutiques en parallèle, l'idée étant ainsi de produire une série optimisée de vecteurs à partir desquels des traitements appropriés pourront être choisis.

L'acceptation par le public des nouvelles techniques telles que la thérapie génique joue un rôle clé. Les membres du projet cherchent à communiquer avec les groupes de soutien aux patients et à rendre les groupes de recherche "clos" plus accessibles aux malades. Cette démarche est mutuellement bénéfique, affirme le professeur Maitland : les patients peuvent écouter et comprendre l'engagement des chercheurs, qui, quant à eux, ont tendance à devenir plus professionnels et plus motivés par l'expérience. À cet égard, les responsables du projet collaborent avec la British Society for Gene Therapy (BSGT) et la European Society of Gene Therapy (ESGT), ainsi que le British Prostate Group du National Cancer Research Institute. Le professeur Maitland souligne l'importance de ce genre d'échanges pour les jeunes chercheurs, ainsi que des opportunités de visites d'autres groupes de recherche d'Europe qu'offre un projet européen, un séjour de deux semaines pouvant réellement contribuer à la compréhension de méthodes de travail alternatives.

La directive européenne sur les essais cliniques exige que tous les médicaments expérimentaux soient fabriqués conformément aux bonnes pratiques de fabrication (GMP). Le consortium du projet comprend une infrastructure de production de vecteurs conforme à cette norme ainsi que des installations cliniques dotées d'un agrément scientifique et éthique leur permettant de mener des essais dans le domaine de la thérapie génique cytotoxique humaine, et il compte lancer la Phase I des essais cliniques dans quatre pays : la France, les Pays-Bas, la Suède et le Royaume-Uni. Ces essais visent à démontrer la sécurité, ou non-toxicité, d'une thérapie mais, dans certains cas, ils peuvent également donner des indications quant à son efficacité pour traiter la maladie. En réalisant quatre essais simultanément, déclare le professeur Maitland, les chercheurs du projet GIANT espèrent obtenir des résultats significatifs sur un plan statistique qui fourniront certains éclaircissements avant de passer à la Phase II, consistant à tester l'efficacité au moyen d'essais contrôlés par placebo.

Bien que les vecteurs de deuxième et troisième génération soient actuellement étudiés par les participants au projet, les essais cliniques ne seront menés que sur des vecteurs de première génération plus anciens et mieux établis. Les participants au projet GIANT affichent de nombreuses années de collaboration et d'expertise scientifiques au niveau européen dans le domaine de la génération de vecteurs cliniques approuvés sur un plan éthique. Un conseil scientifique consultatif d'experts externes a également été recruté pour donner des conseils sur les essais cliniques et les considérations d'ordre éthique.

Sans l'investissement communautaire considérable qui permet de soutenir un projet majeur tel que GIANT, il est peu probable qu'un essai aussi significatif aurait pu être mis en oeuvre, avec tous les bénéfices potentiels qu'il apporte dans le domaine de la production de nouveaux médicaments efficaces, affirme le professeur Maitland. Il souligne également qu'un tel projet ne constitue pas un financement public de l'industrie pharmaceutique car les droits de propriété intellectuelle (DPI) de tous les résultats brevetés reviendront aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux établissements universitaires participant au projet. D'ailleurs, certaines PME participantes détiennent d'ores et déjà des brevets pour des méthodes de reciblage des vecteurs et de découverte de cibles.

En termes de préjudice potentiel pour le patient, le fait d'exprimer le bon gène au mauvais endroit est aussi néfaste que si l'on exprimait le mauvais gène, prévient le professeur Maitland. Le projet adopte par conséquent une démarche de "double ciblage". Le "ciblage de la fixation" part du fait que le virus a besoin de se fixer sur l'extérieur d'une cellule, par conséquent GIANT recherchera des récepteurs spécifiques présents à l'extérieur des cellules du cancer de la prostate et auxquels les virus pourront s'attacher. Entre-temps, le "ciblage de l'expression" vise à adapter les gènes pour qu'une fois présents dans la cellule, ils puissent être facilement exprimés en présence de marqueurs spécifiques qui existent exclusivement dans les cellules des tumeurs de la prostate.

Les travaux de recherche réalisés sur le devant de la scène médicale sont de plus en souvent pluridisciplinaires. Cette nouvelle approche pose des défis, les experts du ciblage essayant également de concevoir des vecteurs, par exemple. GIANT permet de réunir les deux catégories de chercheurs, explique le professeur. "Nous leur disons que nous avons besoin de cette cible, et ils nous disent s'ils peuvent nous la fournir", précise-t-il.

Les gènes fournis par le vecteur sont conçus pour engendrer une mort cellulaire au moyen de diverses méthodes. Par exemple, un virus pourrait tuer une cellule cancéreuse en se développant et en se multipliant jusqu'à l'excès, ou insérer dans la cellule cancéreuse un nouveau gène (c'est qu'on appelle l'"activation de pro-drogue") qui ne s'exprime que lui-même et tue la cellule en présence d'un deuxième médicament inerte dans le reste du corps.

Le système immunitaire élimine souvent les vecteurs par le foie, avec tous les dangers de surcharge au niveau des organes que cela engendre. La technique de "stealthing" ou "détection furtive" consiste à enrober le virus pour éviter ce phénomène. L'un des dossiers sur lesquels travailleront les participants au projet GIANT consistera à tenter de recouvrir le virus de polymère à l'aide d'une technique développée en République tchèque, l'objectif étant de le rendre inerte dans le système immunitaire et de le faire s'éliminer par les voies urinaires plutôt que par le foie. L'objectif est également de transformer le virus pour que les globules blancs n'y adhèrent pas, explique le professeur Maitland, puis de placer les substances chimiques de fixation, ou antigènes de surface, sur l'enveloppe pour qu'elles collent aux cellules cancéreuses.

La toxicologie prédictive constitue une discipline d'une importance croissante pour l'élaboration de médicaments innovants. Pour éviter les réactions excessives du système immunitaire associées à certains essais en matière de thérapie génique, des essais de grande envergure seront effectués sur les agents présents dans le flux sanguin et dans des tissus sains. L'équipe recourra également à des reconstructions tissulaires en 3D pour réaliser des tests avec de multiples types de cellules de tumeurs de la prostate, ainsi que sur des tissus sains, qui proviendront tous les deux de patients actuels plutôt que d'un stock cellulaire plus ancien.

Par conséquent, le projet GIANT devrait entre autres permettre de sélectionner des candidats aux tests menés dans le cadre de la Phase I des études cliniques, à l'aide d'un réseau de vecteurs cliniquement approuvés reposant sur des structures adénovirales. Ces thérapies nécessitent encore des essais approfondis, ce qui signifie qu'elles sont encore loin d'une commercialisation, mais les participants au projet GIANT comptent élaborer une masse critique d'expertise afin d'accélérer l'innovation dans ce domaine.