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Astérix, le premier satellite français.
Les grandes inventions sont-elles maudites, sauf si leurs racines plongent dans un autre continent que le nôtre ? Ou alors nos médias souffrent-ils d'une étrange presbytiepresbytie chronique qui les empêche de voir à courte distance ?
Pourtant l'épopée Diamant vaut d'être contée. Le programme est directement issu de la guerre froide, et de la décision prise en août 1959 par le gouvernement français de se doter d'une force de dissuasion nucléaire basée, entre autres, sur une panoplie de missiles balistiquesmissiles balistiques stratégiques Sol-Sol et Mer-Sol. C'est ainsi que naquit la série des "Pierres précieusesPierres précieuses", Agate, Topaze, Emeraude (premier missile à propulsion liquide), et Saphir, première fuséefusée biétage.
Le 18 décembre 1961, le Comité des Recherches Spatiales décidait de réaliser un lanceur de satellites sur la base du missile Saphir, en remplaçant la charge utile par un troisième étage. Un véhicule intermédiaire fut réalisé, Rubis, qui était un missile Agate spécialement adapté pour expérimenter en vol le largage de la coiffe, la mise en rotation et la séparationséparation de ce 3e étage. Plus tard, Rubis sera aussi adapté en fusée-sonde.
Le nouveau lanceur fut naturellement baptisé Diamant. Le programme, placé sous l'autorité du Ministre des Armées, Pierre Messmer, devait utiliser pour ses premiers essais la base saharienne d'Hammaguir, conservée provisoirement par la France au titre des Accords d'Evian qui définissaient les conditions de l'indépendance algérienne. La date de la première tentative de lancement d'un satellite français fut sujette à de nombreuses polémiques, car celle-ci tombait pendant la campagne électorale pour les présidentielles. Pierre Messmer estimait qu'un échec serait néfaste au Général De Gaulle, mais celui-ci balaya l'objection en confiant la totale responsabilité au ministre. Ce dernier se tourna alors vers les techniciens, qui l'assurèrent que les chances de succès étaient de neuf sur dix, ce qui décida Pierre Messmer à ordonner la poursuite du programme.
Le premier satellite expérimental français fut baptisé Astérix. Il devait transmettre les paramètres du lanceur, ainsi qu'un signal de positionnement afin d'en calculer précisément l'orbite.
Le 26 novembre 1965, par mesure de précaution sans doute, aucun journaliste ne fut invité à assister au lancement, sauf un membre du service de presse de l'armée française. Le compte à rebours s'accomplit sans problème, ce qui est notable pour un premier tir, et la fusée Diamant décolla de la base d'Hammaguir. Le vol fut nominal et les trois étages accomplirent parfaitement leur fonction. Mais un mouvement de panique se produisit 80 minutes plus tard, lorsqu'on ne parvint pas à capter les signaux du satellite, donc à confirmer sa mise en orbite. Le radar Aquitaine avait bien suivi la trace du lanceur jusqu'à une distance de 3000 km, mais sans une connaissance précise des paramètres orbitaux obtenus, s'avérait incapable de le repérer.
Finalement, ce fut le conseiller scientifique de l'Ambassade des Etats-Unis en France qui téléphona à Charles Christophini, P-Dg de la SEREB (Société d'Etudes et de Réalisation d'Engins Balistiques), pour lui annoncer que l'US AirAir Force avait bien détecté le satellite sur son orbite. L'explication était simple : en s'éjectant, la coiffe avait arraché les antennes... Par la suite, on apprendra que les Américains avaient été très intrigués car ce n'était pas un, mais deux objets qui avaient été détectés en orbite, l'un à la suite de l'autre, ce qui n'était absolument pas annoncé. Une longue enquête permit de résoudre l'énigme : le second objet satellisé n'était autre qu'une clé de 8, oubliée par un technicien à l'intérieur de la coiffe lors de l'intégration au lanceur...
Ce fut un triomphe. La France devenait la troisième puissance spatiale mondiale après l'URSS et les Etats-Unis, et les journaux commentèrent abondamment l'évènement. Dans l'enthousiasme, de nombreux témoins affirmèrent avoir entendu le bip-bip du satellite... alors que celui-ci n'avait jamais fonctionné.
Ce n'est que bien plus tard que le technicien qui avait été consulté par Pierre Messmer au sujet des chances de réussite du vol a révélé qu'en lui annonçant "neuf chances sur dix", il avait en fait voulu dire "une chance sur dix"... Qui sait si sans cette bévue, l'histoire aurait été la même, avec le même succès et, dans la foulée, la naissance du programme Ariane ?