Depuis trois ans, l’Académie des technologies interroge les Français quant à leur rapport à l’innovation. Sans grande surprise dans le contexte actuel, le sondage de cette année révèle une baisse de la confiance que nos concitoyens sont prêts à accorder aux technologies. Pour Futura, Bruno Jarry, président honoraire de l’Académie des technologies, tente de trouver quelques explications — et solutions — à cette défiance grandissante.
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Au Royaume-Uni, ce mardi 8 décembre 2020 restera dans les mémoires comme le V-Day, le jour où le gouvernement a lancé une campagne de vaccination massive contre le coronaviruscoronavirus responsable de la pandémiepandémie de Covid-19Covid-19. Une campagne qui semble rencontrer l'adhésion de la population. Pendant ce temps, les Français, eux, expriment leur réticence. Au mois de novembre, un sondage de Santé publique France révélait même que seulement 53 % de nos concitoyens envisageaient de se faire vacciner.
Une défiance vis-à-vis de la science qui ressort également dans le dernier sondage réalisé par l'Ifop pour le compte de l’Académie des technologies. Pour 56 % des Français, les technologies -- il est ici plus question des compteurs Linky ou de la 5G5G -- sont aujourd'hui source d'inquiétude. C'est 15 points de plus que l'an dernier ! « L'ambiance actuelle de crise sanitairecrise sanitaire et d'experts qui expriment, à longueur de journée, des avis contradictoires ne donne certainement pas, de la science d'abord et de la technologie ensuite, une image flamboyante », estime Bruno Jarry.
Mais pour le président honoraire de l'Académie des technologies, la raison de cette inquiétude clairement exprimée par les Français est aussi à chercher ailleurs. Dans la formation de base de nos plus jeunes esprits, d'abord. L'Académie des technologies et l'Académie des sciences ont d'ailleurs publié au mois de novembre dernier, un rapport qui traite de la question. « La grande majorité des professeurs des écolesprofesseurs des écoles sont issus de formations littéraires. Ils peinent très naturellement à enseigner à nos enfants les briques essentielles à la constitution d'une culture scientifique », nous fait remarquer Bruno Jarry.
Un propos que ne viendra pas contredire l'enquête Trends in International Mathematics and Science Study (Timss) très récemment publiée. Elle confirme le niveau « significativement » en dessous des moyennes de pays comparables des jeunes Français. Notre pays se classe même dernier des pays européens et seulement avant dernier des pays de l'OCDE. « Sans formation scientifique de base, il est difficile aux citoyens d'appréhender le pourquoi du comment des technologies qui leur sont présentées », poursuit le président honoraire de l'Académie des technologies.
Un phénomène ancien
D'autant plus dans un monde qui avance à grande vitesse. « C'est, dans un sens, seulement une impression. Prenez l'exemple des vaccinsvaccins à ARNARN. Le grand public a aujourd'hui l'impression que l'idée a germé il y a 4 mois seulement. D'où une certaine méfiance qui semble ma foi légitime de ce point de vue. Mais les vaccins à ARN sont étudiés depuis une quinzaine d'années », nous rappelle Bruno Jarry. « Les gens n'ont malheureusement pas conscience du laps de temps nécessaire pour permettre aux chercheurs et aux autorités de s'assurer du bien-fondé et de l'efficacité des technologies mises en œuvre. Ils ont la fâcheuse impression que les choses arrivent de nulle part.
Le phénomène n'est pas récent. Au XIXe siècle, la révolte des canuts, à Lyon, est née du fait que les ouvriers tisserands n'avaient simplement pas vu arriver les métiers à tisser qui étaient déjà utilisés en Angleterre depuis 30 ans. » D'ailleurs, 33 % des Français seulement s'estiment suffisamment bien informés. Et les résultats de l'enquête de l’Académie des technologies mettent en lumière le nombre limité d'institutions et de personnes suffisamment crédibles pour combler les attentes des Français en matière d'information. Bonne nouvelle pour Futura, les journalistes spécialisés semblent, en la matière, tirer leur épingle du jeu.
Mais plus généralement, comment sortir de ce schéma ? « C'est compliqué. Parce que, tant que la problématique ne se pose pas de manière pressante et pratique très peu de gens vont se passionner pour le concept de vaccin à ARN, par exemple. » Une fois que l'urgence se fait ressentir, « les gens peuvent avoir l'impression qu'on les oblige à accepter une technologie pour laquelle ils ne sont pas prêts ». Aujourd'hui, les innovations arrivent sur le marché à un rythme presque « insupportable », au sens propre du terme. « S'y ajoute une certaine frange de la population, qui vit volontiers sur l'inquiétude des gens et qui se plait à en rajouter. »
Faire connaître la science
Une autre difficulté est la manière même dont se fait la science. La science se construit. Elle vit. « Ce qui est acquis un jour peut être remis en cause deux ans plus tard. Sans pour autant que la sincérité des uns et des autres soit à remettre en question », nous rappelle Bruno Jarry.
« Les jeunes Chinois et les jeunes Américains croient beaucoup plus en un avenir piloté par les sciences et les technologies que les jeunes Européens. Et a fortiori que les jeunes Français. Notre esprit critique est connu pour être acerbe sur ces sujets. Cela pose un problème qui semble consubstantiel à notre pays. Rappelons-nous des débats sur les OGMOGM il y a 20 ans, les débats sur les nanoparticulesnanoparticules il y a 10 ans et aujourd'hui, des débats sur le compteur Linky ou sur la 5G. »
“Nous ne pouvons plus laisser la place aux obscurantistes.”
Pour conclure, le président honoraire de l'Académie des technologies rejoint les propos d'Étienne KleinÉtienne Klein. « Nous ne pouvons plus laisser la place libre aux obscurantistes. C'est l'une des missions de notre Académie. Et peut-être que nous devrions lui accorder plus d'attention encore. Les scientifiques et les ingénieurs doivent prendre la parole. »