Proposée il y a environ 40 ans, la théorie de l'inflation, si elle était vérifiée, révolutionnerait la cosmologie et la physique fondamentale, bouleversant jusqu'à la philosophie et la métaphysique de la place de la noosphère dans l'Univers, et en fait dans un multivers. Les derniers résultats de la chasse à une preuve de cette théorie avec un instrument en Antarctique ont été publiés.


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    Il y a environ 40 ans, entre 1978 et 1981, plusieurs chercheurs, Alan Guth et Alexei Starobinsky, et avant eux Robert Brout et François Englert  avec Edgard Gunzig, ont compris que la théorie quantique des champs et la physique des particules élémentaires connue de l'époque, bien que parfois spéculative, avaient un impact majeur sur ce que l'on pensait des phases les plus primitives du Big BangBig Bang.

    Il se serait alors produit pendant un temps extrêmement court, bien moins qu'un milliardième de milliardième de milliardième de seconde, une accélération vertigineuse de l'expansion de ce qui allait devenir l'Univers observable. Cette phase d'inflation, comme on l'a appelée par la suite, aurait tellement étendu l'espace que même si la géométrie globale du cosmoscosmos était celle d'une sphère, nous aurions le plus grand mal à voir la différence avec un espace plat et infini, voire fini mais avec la topologie d’un tore.

    Au fil des années, de très nombreux mécanismes et théorie ont été proposés pour rendre compte de cette phase d'inflation qui permet de résoudre plusieurs énigmes de la cosmologie. Basiquement, il y a très souvent l'équivalent d'un champ scalaire que l'on baptise « l'inflaton ». Se pose alors le problème de faire le tri entre ces différents modèles d'inflation et tout simplement celui de tester l'existence même de cette phase de dilatationdilatation de l'espace.


    Une présentation de la théorie de l'inflation. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © PBS Space Time

    Le rayonnement fossile, une fenêtre sur l'inflation cosmique

    Les caractéristiques du rayonnement fossile semblent la seule et unique voie royale pour cela car la physique impliquée apparaît à des énergiesénergies hors de portée du LHCLHC et des accélérateurs que l'on peut construire idéalement, genre « Fermitron » (ils devraient atteindre la taille de la Voie lactéeVoie lactée). La théorie prédit généralement qu'au début de la naissance du cosmos observable des fluctuations quantiques dans les champs de particules en espace-tempsespace-temps courbe auraient été amplifiées fortement par la phase d'inflation, au point que des traces de ce que l'on appelle l’écume de l’espace-temps, dont parle Jean-Pierre Luminet dans un de ses précédents livres et qui relève de la gravitation quantiquegravitation quantique, soient inscrites et potentiellement lisibles dans les fluctuations de température et de polarisation du rayonnement fossile.

    Les cosmologistes sont alors partis à la recherche de ce qu'ils ont appelé les modes Bmodes B dans le rayonnement fossile, des organisations particulières de sa polarisation sur la voûte céleste. Ce sont des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles issues du monde quantique qui ont été agrandies pendant la phase d'inflation au point de devenir macroscopique. Par leur nature même, elles ne peuvent atteindre ce monde macroscopique que si les longueurs d'ondelongueurs d'onde de leur spectrespectre ont été extraordinairement dilatées par l'étirement de l'espace qui porteporte ces ondes. C'est donc une démonstration très convaincante d'une phase d'inflation si on peut détecter ces modes B. On peut se faire une idée de l'importance de l'effet d'inflation en disant, qu'en gros, une portion d'espace de la taille d'un atomeatome aurait atteint une taille d'environ une année-lumièreannée-lumière.

    Pour faire simple et pour continuer, différents modèles avec inflaton produisent des modes B de tailles différentes, certains peuvent rester si petits qu'ils sont quasiment inobservables, de sorte qu'absence de preuve n'est pas preuve de l'absence, comme on dit. Ne pas détecter de signal d'une intensité donnée permet donc quand même d'éliminer certaines théories.

    Reste que des phénomènes astrophysiquesastrophysiques, comme le rayonnement de la poussière de la Voie lactée, peuvent polluer le rayonnement fossile primitif et imiter la présence des modes B. De fait, le 17 mars 2014, les membres de la collaboration Bicep (Background Imaging of Cosmic Extragalactic PolarizationBackground Imaging of Cosmic Extragalactic Polarization) avaient annoncé qu'après trois saisonssaisons d'observations au pôle Sud d'une région du ciel (le southernsouthern galactic hole) ils pensaient avoir détecté et mesuré les modes B de l'inflation.


    L'astrophysicien Denis Barkats et ses amis nous montrent le télescope Bicep-3 au pôle Sud. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © DeepSkyVideos

    Une fructueuse détection négative des modes B

    Malheureusement, malgré le soin et des mois passés à éliminer des sources d'erreurs possibles, ils avaient bel et bien mesuré, en fait, l'effet de la poussière galactique comme allaient le confirmer les analyses issues des mesures du rayonnement fossile avec le satellite Plancksatellite Planck - Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous.

    Toutefois, la chasse aux modes B se poursuit encore, notamment avec une nouvelle génération d'instruments dans le cadre de la collaboration Bicep. Ses membres ont d'ailleurs publié récemment un article dans Physical Review Letters que l'on peut consulter en accès libre sur arXiv faisant état des observations avec le détecteur Bicep3.

    En résumé, « des modèles d'inflation autrefois prometteurs sont désormais exclus », a déclaré Chao-LinLin Kuo, chercheur principal de Bicep3 et physicienphysicien à l'université de Stanford. Mais l'un de ces modèles, celui proposé en 1980 par Alexei A. Starobinsky et qui supprime la singularité cosmologique du Big Bang, reste encore en lice.

    Pour les courageux possédant des rudiments de relativité générale et de théorie quantique, ou simplement des analogues de curieux cherchant à visiter un temple égyptien sans être capables de lire les hiéroglyphes plus loin que quelques cartouches, il existe une excellente présentation de la théorie de l'inflation et des observables prédits par la théorie que l'on cherche à mesurer dans le cours de William Kinney. On peut lire en complément, ou préparation, l'ouvrage de Jayant Narlikar, particulièrement accessible.

    L'existence d'une phase inflationnaire nous renseignant potentiellement sur une physique au-delà du Modèle standardModèle standard et impliquant tout aussi potentiellement l'existence d'un multivers, les physiciens et les cosmologistes ne sont nullement découragés par ces résultats en partie négatifs et ils vont continuer à chasser les modes B et pas seulement avec Bicep3. Il y a, par exemple, le détecteur de la collaboration Qubic (QU Bolometric Interferometer for Cosmology) qui permet également une telle chasse et on peut citer également en préparation pour l'horizon 2028 la mission LiteBird (Lite (Light) satellite for the studies of B-mode polarization and Inflation from cosmic background Radiation Detection). Il s'agit d'un satellite développé par la Jaxa (Agence spatiale japonaiseAgence spatiale japonaise) au niveau international et qui devrait aller plus loin que Planck. Mentionnons pour terminer CMB-S4.


    Inflation de l'univers : Planck et Bicep2 n'ont pas vu les ondes du Big Bang

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 03/02/2015

    L'ESAESA et le CNRS ont annoncé leur conclusion : les collaborations Planck et Bicep2/KeckKeck, en combinant leurs observations, n'ont pas démontré que la polarisation du rayonnement fossile qu'ils ont observée implique une phase d'inflation dans l'univers très primordial. C'est la fin d'un suspens qui durait depuis mars 2014. Cependant, la traque aux ondes gravitationnelles du Big Bang va continuer à l'aide d'expériences au sol, en ballonballon ou dans l'espace. Futura-Sciences revient sur cette saga qui a tenu en haleine le monde de la cosmologie durant presque une année.

    Une zone du ciel proche du pôle Sud galactique observée par Planck-HFI à 353 GHz. Les couleurs représentent l’émission de la poussière, une composante mineure mais cruciale du milieu interstellaire qui baigne la Voie lactée. La texture, elle, montre l’orientation du champ magnétique galactique ; une information déduite de la direction de l’émission de lumière polarisée par les poussières. La région indiquée par le pointillé blanc est celle observée par les expériences Keck array et Bicep2 depuis le pôle Sud. © ESA / collaboration Planck Remerciements : M.-A. Miville-Deschênes, CNRS – Institut d’Astrophysique Spatiale, Université Paris-Sud, Orsay, France
    Une zone du ciel proche du pôle Sud galactique observée par Planck-HFI à 353 GHz. Les couleurs représentent l’émission de la poussière, une composante mineure mais cruciale du milieu interstellaire qui baigne la Voie lactée. La texture, elle, montre l’orientation du champ magnétique galactique ; une information déduite de la direction de l’émission de lumière polarisée par les poussières. La région indiquée par le pointillé blanc est celle observée par les expériences Keck array et Bicep2 depuis le pôle Sud. © ESA / collaboration Planck Remerciements : M.-A. Miville-Deschênes, CNRS – Institut d’Astrophysique Spatiale, Université Paris-Sud, Orsay, France

    Le 17 mars 2014, les membres de la collaboration Bicep (Background Imaging of Cosmic Extragalactic Polarization) ont annoncé qu'après trois saisons d'observations au pôle Sud d'une région du ciel (le southern galactic hole) et des mois passés à éliminer des sources d'erreurs possibles, ils pensaient avoir détecté et mesuré les modes B de l'inflation. Il s'agit d'une polarisation particulière de la plus vieille lumière de l'univers, celle du rayonnement fossile, qu'auraient provoquée les ondes gravitationnelles générées lors d'une phase très primitive de l'histoire du cosmos observable. Durant cette période, le tissu de l'espace aurait subi une dilatation gigantesque, d'où le nom d'inflation.

    « Si la découverte des ondes gravitationnelles de l'inflation venait à être confirmée, ce serait une révolution en cosmologie et elle mériterait l'attribution d'un prix Nobel » nous expliquait en août 2014 Max Tegmark, cosmologiste mondialement réputé, qui a contribué à la mise au point des outils d'analyse des observations du rayonnement fossile par le satellite Planck. Selon lui, les théories proposées pour décrire cette phase de l'univers primordial peu de temps après les observations de Planck conduisaient naturellement à la notion d'inflation éternelle et, avec elle, à l'existence d'un multivers.

    Bicep2 et le pari de Stephen Hawking

    L'un des membres de la collaboration Bicep, le Français Denis Barkats, nous avait permis de vivre de l'intérieur l'extraordinaire aventure qui l'avait conduit lui et ses collègues en AntarctiqueAntarctique, au seuil de ce qui semblait l'un des Graal de la cosmologie moderne : une preuve convaincante de la théorie de l'inflation. Mais le chercheur, comme Max Tegmark, restait prudent. Une confirmation indépendante restait nécessaire et il prévoyait qu'elle viendrait peut-être des analyses alors encore en cours des observations de la mission Planck ainsi que de celle de Keck Array, une autre expérience menée au pôle Sud.


    Bicep2 est situé près d'un autre radiotélescope, le South Pole Telescope. Jonathan Kaufman, à l’époque doctorant de l'université de Californie à San Diego, explique son fonctionnement. Les bolomètres de Bicep2 sont refroidis avec de l'hélium liquide. Comme celui-ci s'évapore en quelques jours, il faut périodiquement réalimenter le réfrigérateur équipant le radiotélescope. © Jeffrey Donenfeld, YouTube

    Des voix n'ont en effet pas tardé à s'élever pour mettre en doute la solidité des résultats des analyses des observations de l'expérience Bicep2. Les tenants d'une alternative à la théorie de l'inflation, celle du modèle ekpyrotiquemodèle ekpyrotique qui prévoyait une absence de modes B générés par des ondes gravitationnelles primordiales, tel le cosmologiste Neil Turok, n'entendaient pas concéder à Stephen Hawking qu'il avait gagné son pari. Il faut dire que l'importance de l'intensité du signal des ondes gravitationnelles de l'inflation, que l'on peut mesurer par un paramètre nommé r (sa valeur est 0,2 selon les estimations de Bicep2), entrait en conflit avec une estimation déduite des premières analyses des observations de Planck (r < 0,11).

    Une contribution des poussières galactiques sous-estimée

    Surtout, les scientifiques ne pouvaient pas écarter l'hypothèse qu'une partie non négligeable du signal observé soit en fait due aux poussières galactiques, comme le pensaient initialement les membres de Bicep. Comme nous l'avait expliqué la cosmologiste Laurence Perotto, membre de la collaboration Planck, plusieurs signaux parasitesparasites perturbent la chasse aux modes B de l'inflation. Une partie des modes B détectables dans le rayonnement fossile provient par exemple de l'effet de lentille gravitationnelle faible des amas de galaxiesamas de galaxies, de la matière noirematière noire et des neutrinos qu'ils contiennent. Il est d'autres parasites, encore plus gênants : la contribution des poussières de la Voie lactée alignées par ses champs magnétiques.

    Les bandes verticales grises représentent les canaux de fréquences dans lesquelles Planck a mesuré le rayonnement fossile (CMB). Les courbes en couleur représentent l'intensité des diverses émissions parasites qui se superposent au signal proprement cosmologique. On voit clairement que le rayonnement de la poussière galactique (<em>dust</em>) domine largement toutes les autres émissions au-delà de 300 GHz. © Adapté du <em>Planck Bluebook</em> par le JPL, Esa
    Les bandes verticales grises représentent les canaux de fréquences dans lesquelles Planck a mesuré le rayonnement fossile (CMB). Les courbes en couleur représentent l'intensité des diverses émissions parasites qui se superposent au signal proprement cosmologique. On voit clairement que le rayonnement de la poussière galactique (dust) domine largement toutes les autres émissions au-delà de 300 GHz. © Adapté du Planck Bluebook par le JPL, Esa

    En choisissant d'observer la voûte céleste dans la région du southern galactic hole, les membres de Bicep pensaient bénéficier d'une région peu bruitée. Mais, comme les mesures avaient été faites dans une seule bande de fréquencesbande de fréquences centrée sur 150 GHz, il n'était pas possible d'en être certain. A contrario, Planck dispose de neuf canaux d'observation dont sept permettent de mesurer la polarisation. En mesurant notamment le signal vers 353 GHz, il est possible de déterminer la contribution des poussières galactiques à la polarisation du rayonnement fossile.

    Comme nous l'avait expliqué une autre planckienne, la cosmologiste Cécile Renault« ce choix n'est pas anodin. À cette fréquence, on est sûr que les émissionsémissions que l'on observe proviennent de façon écrasante des poussières galactiques dont on peut détecter la présence sur la voûte céleste. Le signal y est très fort et les mesures que l'on peut faire sont précises. Ce n'est pas le cas pour des fréquences plus faibles ». Des résultats partiels publiés en septembre 2014, provenant de la collaboration Planck, n'incitaient pas à l'optimisme. Tout le signal observé par les membres de Bicep2 pouvait effectivement être dû uniquement aux poussières de notre Galaxie.

    Une nouvelle contrainte sur les modèles d'inflation

    Les deux collaborations avaient donc décidé de joindre leurs forces et une publication commune était prévue avant la fin de l'année 2014. Elle vient finalement d'être mise en ligne sur arxiv et contient aussi des données collectées lors de l'expérience Keck Array. Elle confirme malheureusement que le signal découvert dans le southern galactic hole et ailleurs sur la voûte céleste peut parfaitement s'expliquer sans faire intervenir la théorie de l'inflation mais uniquement l'effet des poussières de la Voie lactée.

    Comme l'explique le site Planck HFI, cela ne signifie pas qu'il n'existe pas une composante faible des modes B qui soit bien due aux ondes gravitationnelles de l'inflation. Mais elle reste en dessous du seuil où leur détection pourrait être annoncée comme établie en se basant sur les observations. Plus précisément, ce qui reste du signal observé par Planck, Bicep2 et Keck Array une fois que l'on a soustrait la part des modes B mesurés produite par la poussière galactique et l'effet de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle faible ne diffère d'un résultat nul que par un écart minuscule qui peut être interprété comme un simple bruit venant des instruments. Pour espérer aller plus loin, il faudra notamment des détecteurs plus précis.

    D'autres données concernant la polarisation du rayonnement fossile ont été collectées à l'aide d'un ballon par la collaboration E and B Experiment (EBEX). Elles sont en cours d'analyse. Au sol, l'expérience Cosmology Large Angular Scale Surveyor (Class) est en préparation. Il ne s'agit que de quelques exemples de ce qui est développé pour succéder aux observations de Planck et Bicep2.

    Ce que l'on sait maintenant toutefois c'est que le fameux paramètre r pour les ondes gravitationnelles de l'inflation doit être inférieur à 0,12. Cela reste une information intéressante et précieuse pour contraindre la jungle des modèles d'inflation et nul doute que plusieurs des théories proposées sont désormais éliminées. Heureusement, d'autres expériences sont prévues qui sont en mesure de détecter des signaux issus de l'inflation de plus faibles intensités. Comme pour la recherche de la matière noire avec le LHC, il va donc falloir à nouveau s'armer de patience. Mais après tout, il a bien fallu presque 50 ans avant que l'existence du bosonboson de Brout-Englert-Higgs ne soit confirmée.

     

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