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Notre civilisation est de plus en plus modifiée par les progrès de l'informatique, qu'il s'agisse de la miniaturisation des ordinateursordinateurs, de l'augmentation de leur puissance de calcul ou des raffinements des algorithmes utilisés par ces machines. Les tenants de la thèse de la singularité technologique, ou simplement du caractère exponentiel de la technologie, nous promettent monts et merveilles d'ici deux décennies, notamment dans le domaine de la médecine. Le superodinateur Watson d'IBMIBM semble prometteur à cet égard. Certains commencent même à spéculer sur ce que pourraient faire ses successeurs, couplés à l'équivalent du Tricorder de Star Trek.
Mais l'ère du numérique, dans laquelle nous sommes depuis deux décennies environ, pourrait être radicalement bouleversée par la création d'une nouvelle race de calculateurs : les ordinateurs quantiques. Basées sur les principes de la mécanique quantique, ces machines pourraient pulvériser les limites de certains calculs menés sur des ordinateurs classiques (voir à ce sujet le livre de Scott Aaronson, Quantum Computing since Democritus)).
Vers des ordinateurs quantiques performants ?
Rien n'est cependant certain à ce sujet pour plusieurs raisons :
- Quand un algorithme quantique semble plus rapide qu'un calcul sur ordinateur classique, il est tout à fait possible que le premier soit finalement un jour battu par le second à la faveur d'un algorithme plus efficace. La supériorité souvent avancée des ordinateurs quantiques pourrait bien être toute relative.
- Surtout, il y a le formidable problème de la décohérence quantique. On ne sait toujours pas s'il est possible de s'en affranchir, et ce malgré les succès proclamés depuis quelques années par la société canadienne D-Wave Systems.
Lors de l'interview qu'il avait accordée à Futura-Sciences, le cosmologiste Max Tegmark, qui s'intéresse à ces ordinateurs, nous avait dit que les experts du domaine qu'il avait consultés ne s'attendaient pas, en général, à la réalisation d'un ordinateur quantique performant avant 2050.
Richard Feynman, prix Nobel de physique, fut le premier à explorer les possibilités permises par les ordinateurs quantiques. © Tom Harvey
Cela n'empêche pas de nombreux laboratoires de poursuivre des travaux sur les ordinateurs quantiques en explorant divers dispositifs capables de porter des qubits d'informations quantiques. Il s'agit surtout, dans la plupart des cas, de réaliser des calculs en les protégeant des perturbations de l'environnement, dont le bruit détruit l'exécution d'autant plus rapidement que le nombre de qubits est grand. On sait déjà faire quelques calculateurs simples mais l'objectif est de pouvoir les réaliser avec des dispositifs pouvant être développés à plus grand échelle, sans quoi ces calculateurs resteraient incapables de battre ne serait-ce que des calculatrices électroniques de poche des années 1970.
Dans le cadre de ces recherches, une équipe internationale de physiciensphysiciens australiens et japonais vient de faire état d'une première dans le domaine des ordinateurs quantiques, comme elle l'expose dans un article publié dans Nature et disponible en accès libre sur arXiv.
Le dernier composant manquant en silicium pour ordinateurs quantiques
Comme l'explique dans ses Leçons sur l'informatique le grand physicien Richard Feynman, pionnier des ordinateurs quantiques, les calculateurs sont obtenus en combinant certaines portesportes logiques élémentaires. Les ordinateurs quantiques n'échappent pas à cette règle et il faut pouvoir notamment réaliser ce que l'on appelle des portes logiques CNot (Controlled-Not pour « NON contrôlé »). On sait déjà le faire depuis quelque temps mais la nouveauté des travaux des chercheurs des universités de New South Wales (Australie) et Keio (Japon) est qu'ils sont parvenus à le faire dans un semi-conducteur prometteur pour contourner le problème de la décohérence : le silicium.
Les qubits, dans les expériences réalisées, peuvent être portés par des photons ou des électronsélectrons. En l'occurrence, dans certains circuits avec des « qubits solidessolides » à base de semi-conducteur, les physiciens rencontraient des problèmes car la présence de noyaux doués de spinspin perturbait les qubits portés par des électrons. Mais, dans le cas de l'isotopeisotope 28 du silicium, ce problème n'existe pas, car le spin du noyau de cet élément est nul.
En plaçant des électrodesélectrodes sur un morceau de silicium 28, les chercheurs sont parvenus à manipuler les spins de paires d'électrons piégés dans ce matériaumatériau. Plus précisément, ils ont utilisé une technique connue sous le nom de résonancerésonance de spin électronique (en anglais electron spin resonance ou ESR). Ils ont pu montrer que les manipulations de qubits qu'ils étaient en mesure de faire reproduisaient le traitement de l'information que l'on attendait d'une porte quantique CNot.
Il s'agit d'une première avec du silicium et le résultat est encourageant mais les physiciens restent prudents. En effet, pour qu'une telle porte CNot soit réellement utilisable, les qubits des paires d'électrons doivent être intriqués. Et les chercheurs n'ont pas encore réussi à montrer que c'est bien le cas... S'ils y parviennent, les physiciens disposeraient alors, en principe, avec cette porte et d'autres éléments, de tout ce qu'il faut pour construire une vraie puce d'ordinateur quantique en silicium pouvant contenir des millions de qubits.