Les outils de bois ne font pas partie des vestiges archéologiques les plus étudiés, en partie à cause de leur rare préservation, ils sont pourtant d’une importance cruciale pour comprendre les technologies du passé. À quel point leur utilisation était-elle sophistiquée, et que nous apprend-elle sur le comportement des homininés du Paléolithique ?


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    Le boisbois est une ressource très facile d'accès qui a sans doute été d'une importance capitale tout au long de l'histoire de la lignée humaine, depuis ses débuts. Mais à cause de sa vulnérabilité à la décomposition, peu d'outils préhistoriques faits de ce matériau nous sont parvenus. Le site allemand de Schöningen 13 II-4, qui date d'au moins 300 000 ans, est célèbre pour ses nombreux outils de bois parmi les plus vieux jamais découverts. Il a livré une dizaine de lances, et de plus courts bâtons à deux pointes (une à chaque extrémité). Un de ces curieux bâtons bi-pointes vient de faire l'objet d'une étude menée par des chercheurs de l'Université de Reading (Royaume-Uni) et du Bureau d'État du patrimoine de Basse-Saxe (Hanovre, Allemagne), publiée dans la revue PLOS ONE. À travers celle-ci, les auteurs ont pu décrire de nouveaux comportements pour les homininéshomininés de cette période.

    Le bâton bi-pointe lors de son extraction des sédiments qui constituaient les abords du lac pléistocène. © Peter Pfarr, Milks <em>et al</em>. (2023)
    Le bâton bi-pointe lors de son extraction des sédiments qui constituaient les abords du lac pléistocène. © Peter Pfarr, Milks et al. (2023)

    Le choix du matériau de l’arme

    Cette étude, la plus approfondie en date, décrit en détail l'histoire de cet objet atypique, depuis la sélection de son matériau, en passant par sa fabrication et son utilisation, jusqu'à son ensevelissement. Le site de Shöningen se situait, il y a 300 millénaires, aux abords d’un lac. Les homininés qui y ont vécu avaient pour habitude d'utiliser des épicéas pour forger leurs armes. Ces arbresarbres dont la croissance était ralentie par les conditions sous-optimales de l'époque produisaient un bois recherché, dense et dur, néanmoins facile à travailler. Des petits troncs étaient d'ordinaire utilisés pour fabriquer les lances, tandis qu'une branche a été préférée pour façonner le bâton bi-pointe. Ce choix a pu être motivé par la courbure naturelle de celle-ci, qui a été partiellement conservée lors du débitage. 

    Le bâton bi-pointe est vu selon différents angles. On remarque que la courbure naturelle de la branche est en partie conservée. © V. Minkus, Milks <em>et al</em>. (2023)
    Le bâton bi-pointe est vu selon différents angles. On remarque que la courbure naturelle de la branche est en partie conservée. © V. Minkus, Milks et al. (2023)

    Le travail de ce matériau brut est remarquable et témoigne d'un certain raffinement. Le fait que la branche ait été entièrement écorcée, taillée puis minutieusement polie en un outil aérodynamique et ergonomique indique que l'outil était destiné à une longue utilisation, ce qui est confirmé par une zone de décoloration et de polissage là où l'outil a vraisemblablement été tenu.

    L’utilisation des armes de jet

    Tandis que les autres armes du site font en moyenne deux mètres de long, les bâtons bi-pointes mesurent moins d'un mètre. L’observation de traces d’usure aux extrémités révèle que les pointes ne sont pas émoussées comme le seraient celles d'outils de fouissage, et la comparaison morphologique avec des armes similaires actuelles semble plutôt indiquer qu'il s'agit de bâtons de jet. Ces armes de chasse sont destinées à être jetées en effectuant une rotation, comme le boomerang australien qui en est l'un des exemples les plus aboutis. Le bâton pourrait aussi avoir été occasionnellement utilisé pour transpercer de la chair.

    Ces graphiques indiquent l'efficacité de cinq des armes les plus typiques du Pléistocène sur des proies de différentes tailles, et les distances auxquelles elles sont performantes. Les bâtons de jet <em>(throwing stick)</em> sont utiles pour abattre du gibier de petite à moyenne taille. L'étendue de leur portée varie selon leurs caractéristiques morphologiques, ceux retrouvés à <em>Shöningen</em> ont été estimés comme pouvant atteindre une cible à 30 mètres maximum. © D. Leder & A. Milks, modifié d'après Milks <em>et al</em>. (2023)
    Ces graphiques indiquent l'efficacité de cinq des armes les plus typiques du Pléistocène sur des proies de différentes tailles, et les distances auxquelles elles sont performantes. Les bâtons de jet (throwing stick) sont utiles pour abattre du gibier de petite à moyenne taille. L'étendue de leur portée varie selon leurs caractéristiques morphologiques, ceux retrouvés à Shöningen ont été estimés comme pouvant atteindre une cible à 30 mètres maximum. © D. Leder & A. Milks, modifié d'après Milks et al. (2023)

    Les bâtons de jet sont utilisés pour chasser des proies de taille variable, comme des petits mammifèresmammifères, des oiseaux, mais aussi de plus grands herbivoresherbivores visés aux pattes afin de les immobiliser avant le coup fatal. Ce type de petites proies rapides n'avait encore jamais été envisagé pour les homininés du PléistocènePléistocène moyen, faute de restes ou d'armes adéquates retrouvés. Mais les auteurs avancent une hypothèse plus étonnante. Des comparaisons ethnographiques suggèrent en effet que l'utilisation de bâtons de jet par des enfants est une autre possibilité à considérer. Cela permet pour la première fois d'imaginer chez ces homininés d'éventuelles chasses en communauté, accompagnées d'enfants et d'adolescents armés d'outils plus légers et versatiles que les lances précédemment décrites. Finalement, l'étude approfondie d'un petit bâton est beaucoup moins anecdotique qu'il n'aurait pu y paraître !