Pluton et Charon peuvent être considérés comme un système planétaire binaire. La mécanique céleste des autres lunes tournant autour de ce couple imite donc celle d’exoplanètes autour d’une étoile binaire. Or, les images fournies par Hubble conduisent à attribuer à Nix et Hydra des mouvements de rotation chaotiques changeant sans cesse la durée des jours et la position des levers de Soleil.

Charon, la principale lune de Pluton, n'a été découverte qu'en 1978. Les astronomes ont alors été contraints de revoir à la baisse la masse et le rayon de l'astre, considéré jusqu'en 2006 comme la neuvième planète du Système solaire. Ce couple peut être considéré comme une planète binaire puisque la masse de Charon vaut 1/8 de celle de Pluton et que le centre de masse de ces deux corps célestes ne se trouve pas à l'intérieur de l'un d'entre eux.

Le fait que Pluton ait fini par être déchue de son titre n'a pas empêché les astronomes et les planétologues de continuer à s'intéresser à cette sentinelle des frontières du Système solaire comme en témoigne la mission de la sonde New Horizons. Pour échapper à des surprises désagréables lors de son survol de Pluton, des campagnes d'observations ont été menées qui ont abouti à la découverte à l'aide de Hubble de Nix et Hydra en 2005, de Kerberos en 2011 et de Styx en 2012. Le temps passant, les observations de Hubble concernant ces petits corps célestes de quelques dizaines de kilomètres de diamètre tout au plus ont mené à leurs lots de surprises. L'une des dernières en date fait l'objet d'une publication dans le journal  Nature.

Une comparaison de la taille, de la forme et des couleurs des lunes de Pluton. Rappelons que 1 mile vaut 1,6 km environ. © Nasa, ESA, M. Showalter (Seti Institute) et G. Bacon (STScI)

Une comparaison de la taille, de la forme et des couleurs des lunes de Pluton. Rappelons que 1 mile vaut 1,6 km environ. © Nasa, ESA, M. Showalter (Seti Institute) et G. Bacon (STScI)

Des variations chaotiques de luminosité

Tout est parti de curieuses constations concernant les luminosités respectives des lunes de Pluton découvertes au XXIe siècle. Il y avait déjà la constatation troublante que les albédos de Kerberos et des autres satellites de Pluton sont très différents. Kerberos semble aussi noir que du charbon de bois alors que les surfaces des autres lunes semblent de couleur gris clair, faisant même penser à du sable blanc. Il s'agissait déjà d'une surprise car l'hypothèse était que les lunes de Pluton sont des membres d'une famille collisionnelle, similaire à celles qu'on peut trouver dans la ceinture d'astéroïdes ou la ceinture de Kuiper. On appelle ainsi un groupe d'objets partageant des éléments orbitaux similaires et des caractéristiques physiques communes, trouvant une origine commune probable dans un impact ayant brisé deux petites planètes. Surtout, les bombardements de météorites éjectant de la matière de ces lunes auraient dû aboutir à une homogénéisation de leurs surfaces.

Mais ce sont surtout les variations dans le temps des luminosités des lunes Nix et Hydra qui ont rendu perplexes les astronomes. Elles changeaient de façon aléatoire et imprévisible. Un signe peut-être de la manifestation d'un phénomène bien connu affectant une lune de Saturne, Hypérion : le chaos, résultant de perturbations gravitationnelles combinées de Titan et de la géante gazeuse.


Cette animation montre les mouvements de rotation chaotiques de Nix, une des lunes de Pluton. © Hubble, ESA, YouTube

Un laboratoire pour comprendre les exoplanètes autour d'étoiles doubles

Pour en avoir le cœur net, Mark Showalter de l'institut Seti, en Californie, et Doug Hamilton, de l'université du Maryland, ont comparé les données de Hubble à des modèles théoriques prenant en compte le fait que Nix et Hydra ne sont pas de forme sphérique mais sont plutôt des ellipsoïdes ressemblant à des ballons de rugby. Les couples exercés sur ces objets allongés par le champ de gravitation complexe et changeant du couple Pluton-Charon recelaient une partie de la clé de l'énigme. Il est en effet apparu qu'ils provoquaient, en conjonction avec ce champ, des changements chaotiques dans les vitesses et les axes de rotation des deux lunes, rendant compte des variations chaotiques des luminosités.

En bonus, il est apparu que les orbites de Nix, Styx et Hydra manifestaient un phénomène bien connu avec Io, Europe et Ganymède, la fameuse résonance de Laplace découverte par le mathématicien français dans ses travaux sur la mécanique céleste des lunes de Jupiter. Concrètement, comme l'explique Showalter : « Si vous viviez sur Nix autour de Pluton, vous verriez Hydra boucler trois orbites alors que Styx en bouclerait deux ».

L'étude des lunes de Pluton va entrer dans une phase nouvelle avec l'arrivée de New Horizons. Cette sonde pourrait nous apporter des informations précieuses pour l'exobiologie car les étoiles binaires constituent la majorité des systèmes stellaires dans la Voie lactée. Kepler, notamment, nous a appris que des systèmes planétaires pouvaient exister autour des étoiles doubles. En comprenant mieux Pluton, Charon et leur cortège de lunes, nous pourrions découvrir que les mouvements de rotation des exoplanètes autour des étoiles binaires sont eux aussi chaotiques. Ce qui bien sûr poserait de sérieuses contraintes sur l'apparition et le développement de la vie ailleurs.