Les supernovae SN Ia, en raison de leur grande luminosité et de sa quasi-constance, sont utilisées pour sonder l’univers à grande distance et étudier sa vitesse d’expansion. Un groupe d’astrophysiciens propose d’utiliser dans le même but certains trous noirs au centre des galaxies de Seyfert. On pourrait se servir de ces astres pour étudier l’énergie noire.

Les mesures précises des distances, des âges et des masses sont cruciales en astrophysique et en cosmologie. C'est parce que l'on peut mesurer des distances et des temps associés à des astres que l'on peut déterminer la vitesse d'expansion de l'univers, estimer son âge et mettre en évidence l'existence de l'énergie noire. Malheureusement, plus on cherche à sonder l'univers à grande distance et dans le passé, plus les mesures deviennent délicates et sujettes aux erreurs.

Pour faire de la cosmologie dans le cadre d'un modèle d'univers relativiste, il faut disposer de ce qu'on appelle une chandelle standard, ou pour le moins d'un astre qui se rapproche le plus de ce cas idéal. Pour cela, les supernovae SN Ia ont été choisies. Les raisons de ce choix sont multiples.

Pour plonger dans le cosmos observable à des milliards d'années-lumière, il faut bien sûr disposer d'astres particulièrement lumineux comme les SN Ia. Il n'est plus possible d'utiliser les céphéides comme Hubble l'a fait pour étudier des galaxies proches. On pense que les SN Ia sont généralement des naines blanches qui explosent quand leur masse atteint la limite de Chandrasekhar en accrétant de la matière.

On voit sur cette image prise par Hubble une galaxie de Seyfert<em>.</em><em> </em>Il s'agit de la galaxie spirale NGC 7742. Comme toutes les galaxies de Seyfert, son noyau est particulièrement brillant. © <em>Hubble Heritage Team</em> (Aura, STScI, Nasa)

On voit sur cette image prise par Hubble une galaxie de Seyfert. Il s'agit de la galaxie spirale NGC 7742. Comme toutes les galaxies de Seyfert, son noyau est particulièrement brillant. © Hubble Heritage Team (Aura, STScI, Nasa)

Des trous noirs lumineux saturant la limite d'Eddington

Cette hypothèse a récemment critiquée, par exemple après la découverte que plusieurs SN Ia sont en réalité des collisions de naines blanches ou qu'un champ magnétique peut repousser la valeur de la masse de Chandrasekhar. Toutefois, on pense que la luminosité intrinsèque de beaucoup de SN Ia varie peu. Pour le moins, il est possible de faire des corrections qui permettent d'estimer des distances cosmologiques avec ces SN Ia, qui apparaissent d'autant moins brillantes qu'elles sont loin. Toutefois, les chercheurs aimeraient bien disposer d'autres astres pouvant aussi servir de quasi-chandelles standard pour vérifier et compléter les mesures faites avec les SN Ia. C'est justement ce que vient de proposer une équipe internationale d'astrophysiciens dans un article publié sur arxiv.

On sait qu'au cœur des galaxies se trouvent des trous noirs supermassifs dont les masses vont de quelques millions à quelques milliards de fois celle de notre Soleil. La Voie lactée en possède un : Sagittarius A*.

Lorsque ces trous noirs accrètent de la matière en grande quantité, ils se mettent à briller fortement et deviennent même parfois des quasars, ou plus généralement des noyaux actifs de galaxie. Pour une masse donnée, il existe une limite à la luminosité appelée limite d’Eddington. Elle correspond au fait que si un tel trou noir devient trop brillant, le flux de radiations que son disque d'accrétion émet exerce une pression sur le gaz chutant vers le trou noir de nature à stopper cette chute.

Or, on sait que certains trous noirs au centre de galaxies dites Seyfert de type 1 sont précisément dans cette situation extrême. On les désigne en anglais par super-Eddington accreting massive black holes (SEAMBH). Particulièrement lumineux, ils sont donc repérables à de grandes distances cosmologiques, par exemple aux rayons X.

Les galaxies de Seyfert, de bonnes alternatives aux SN Ia ?

En analysant le spectre des émissions du noyau d'une galaxie de Seyfert de type 1, il est possible de déterminer si son trou noir rayonne avec une luminosité d'Eddington limite. Comme celle-ci est liée à la masse de ce trou noir selon une relation connue, il suffit de mesurer cette masse pour connaître la luminosité intrinsèque du trou noir. Une méthode existe pour cela, connue sous le nom de velocity-resolved reverberation mapping (VRRM).

Connaissant la magnitude apparente, on en déduit aussitôt la distance de la galaxie de Seyfert hôte du trou noir « extrême » (à ne pas confondre avec les trous noirs de Kerr extrêmes). Une mesure de décalage spectral permet alors d'en déduire la vitesse d'expansion de l'univers à une époque donnée, et donc d'étudier ses changements dans le temps.

Les chercheurs ont testé leur méthode avec succès avec des galaxies proches de la Voie lactée. Comme les galaxies de Seyfert de type 1 sont facilement observables dans tout l'univers, cette nouvelle méthode permet de tracer l'accélération de son expansion à tous les âges. Elle pourrait contribuer à résoudre l'énigme de la nature de l'énergie noire.