au sommaire
Presque en même temps que la publication du dernier livre de Stephen Hawking, « Brèves réponses aux grandes questions », des collègues du physicienphysicien décédé ont mis en ligne sur arXiv le dernier article qu'ils avaient rédigé ensemble, dans une ultime tentative, pour percer le mystère du paradoxe de l'information. Hawking avait révélé ce paradoxe, il y a presque 40 ans, avec sa découverte de l'évaporation des trous noirs.
Comme Futura le rappelait (voir article, ci-dessous), tout tourne autour du fait qu'un trou noir à l'équilibre non perturbé par une collision avec un autre objet - ce qui le conduirait à vibrer en émettant des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles pour retrouver cet état d'équilibre - est exactement décrit par les équations d'EinsteinEinstein de la relativité générale. Équation avec une solution qui ne dépend que de quatre paramètres : la masse, le moment cinétique dans les cas les plus plausibles et, éventuellement et transitoirement, des charges électriques et magnétiques (incidemment, l'existence de vraies charges magnétiques, par exemple les fameux monopôles de Dirac et 't Hooft, est toujours une question ouverte).
La mystérieuse entropie des trous noirs
Lancer un livre dans un trou noir reviendrait en quelque sorte à le faire brûler. Il ne laisserait plus comme information que sa masse, le reste étant irrémédiablement détruit. Cela se traduirait par l'apparition d'un brusque manque d'information dans l'universunivers, ce qui pour un physicien équivaut à l'apparition d'une quantité appelée entropieentropie. Jakob Bekenstein d'abord, puis Hawking ensuite ont montré que la surface de l'horizon des évènements d'un trou noir était effectivement une mesure de l'entropie associée à la perte d'information, résultant de la formation et de la croissance d'un trou noir avalant aussi bien de la matièrematière que de la lumièrelumière.
Toutefois, de l'entropie apparaît aussi en plaçant simplement un livre dans un coffre-fort, puisque de l'information manque à un observateur extérieur, nous dit la physiquephysique. La découverte de l'évaporation d'un trou noir avait conduit à un paradoxe dans le sens où les lois de la mécanique quantiquemécanique quantique impliquant cette évaporation et une destruction réelle de l'information - en les combinant partiellement avec celle de la relativité générale - conduisaient à leur propre effondrementeffondrement, si on les prenait jusqu'au bout au sérieux. Car ces lois quantiques, seules, exigent la conservation de l'information même si celle-ci est cachée sous une forme ou sous une autre temporairement.
Dans cette vidéo, Jean-Pierre Luminet nous parle de l'évaporation des trous noirs due au rayonnement de Hawking. Cette évaporation induit une énigme connue sous le nom de paradoxe de l'information avec la physique des trous noirs. © Du Big Bang au vivant
Ce paradoxe de l'information a été vu sous une nouvelle lumière au cours des années 1990, lorsque les physiciens Cumrun Vafa et Andrew Strominger ont montré que l'on pouvait expliquer la formule de Hawking-Bekenstein pour l'entropie de certains trous noirs, bien particuliers, dans le cadre de la théorie des cordesthéorie des cordes. Ces trous noirs étaient décrits par d'autres quantités conservées que sont la masse, le moment cinétique et la charge électrique. Ces quantités pouvaient coder un grand nombre d'informations. Les trous noirs supersymétriques extrêmes, comme on les appelle, avaient donc une sorte de mémoire cachée que l'on pouvait facilement mettre en évidence.
Surtout, dans le cadre des derniers développements de la théorie des cordes au cours des années 1990, sa seconde révolution, l'évaporation complète de ces trous noirs exotiquesexotiques devait, cette fois-ci, assurer la conservation quantique de l'information, selon la conjecture holographique du physicien argentin Maldacena.
Toutefois, les sceptiques n'ont pas manqué de faire remarquer que la théorie des cordes n'est toujours qu'une hypothèse de travail et que la résolutionrésolution du paradoxe de l'information serait bien plus convaincante, si l'on pouvait trouver une mémoire cachée dans les solutions décrivant les trous noirs uniquement avec la relativité générale. Et si l'on pouvait montrer ensuite que l'évaporation quantique n'effaçait pas malgré tout cette mémoire, ne serait-ce que partiellement.
Bien évidemment, comme Hawking l'avait avancé initialement avant de changer d'avis suite à la seconde révolution des cordes, on pouvait aussi admettre que la mécanique quantique était en fait réfutée et qu'il fallait aller au-delà de ces équations, probablement vers une version non-linéaire de l'équation de Schrödingeréquation de Schrödinger. Une possibilité qui aurait sans doute été accueillie avec empressement par Einstein lui-même, puisque c'est ce qu'il prévoyait à la fin de sa vie.
Une mémoire des trous noirs cachée dans la théorie des ondes gravitationnelles ?
Or justement, il y a presque quatre ans, avec des collègues, Andrew Strominger avait été amené à une intéressante découverte en se basant sur des résultats obtenus par deux prix Nobel, Steven WeinbergSteven Weinberg et Kip Thorne. Les fameuses solutions de Schwarzschild et de Kerr décrivant un trou noir astrophysiquement réaliste sont en fait des versions simples de solutions, dans lesquelles la formation d'un trou noir est accompagnée d'une émissionémission d'ondes gravitationnelles rayonnées à l'infini. Ce qui change donc les solutions précédentes quand on examine ce rayonnement à l'infini. L'espace-tempsespace-temps est plus complexe que prévu, sa structure à l'infini est décrite par un groupe de symétries cachées, le fameux groupe BMS (Bondi–Metzner–Sachs), comme Futura l'expliquait dans l'article précédent ci-dessous.
Une série d'illustrations pour une conférence radio donnée sur la BBC par Stephen Hawking peu après ses travaux sur une possible résolution du paradoxe de l'information avec les trous noirs en utilisant le groupe BMS. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © We are Cognitive
Ce groupe avec ses symétries, également en rapport avec l'horizon des évènements des trous noirs et une certaine forme d'holographie, implique alors l'existence de nouvelles quantités conservées en nombre infini qui sont naturellement des mémoires (gravitationnelles) possibles de l'information piégée par un trou noir. Stephen HawkingStephen Hawking en a tout de suite déduit que cela pouvait peut-être permettre de résoudre le paradoxe de l'information des trous noirs. Il l'expliquait dans un article sur arXiv, en 2015. Un premier pas en ce sens a été exposé l'année suivante, toujours sur arXiv, par Strominger, Hawking et un de ses anciens élèves, Malcom J. Perry.
Des symétries cachées des trous noirs en rotation, cousines de celles des cordes
Un second pas en avant a donc été fait par les trois hommes juste avant le décès de Hawking, qui semble avoir travaillé jusqu'au bout sur la solution du problème qu'il avait lui-même découvert. Ceci n'est pas sans rappeler ce qu'avait fait Einstein avec sa quête d'une théorie unifiée des forces et de la matière, lui aussi peu de temps avant sa mort.
Il s'agit toujours d'utiliser des symétries cachées dans la théorie mathématique des trous noirs, mais le groupe BMS s'efface devant des transformations géométriques dites conformes que l'on peut relier à la théorie des cordes et aux travaux de Strominger des années 1990. Elles ont finalement été débusquées en relation avec les trous noirs de Kerrtrous noirs de Kerr.
Des quantités conservées cachées sont là aussi associées à ces symétries. Strominger, Hawking et Perry montrent cette fois-ci que l'on peut bel et bien retrouver l'entropie des trous noirs et la formule de Hawking-Bekenstein à partir de ces quantités conservées, sans faire appel à la théorie des cordes. Une explication naturelle a finalement été trouvée pour les trous noirs que l'on considère en astrophysiqueastrophysique et qui émettent les ondes gravitationnelles détectées par LigoLigo et VirgoVirgo.
Le paradoxe de l'information n'en est pas pour autant résolu, car il reste à prouver que l'évaporation quantique des trous noirs conserve bien l'information qui serait portée par les quantités conservées, nouvellement mises en évidence d'un point de vue théorique.
Un séminaire pour les initiés sur les dernières idées de Hawking, Perry et Strominger. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Black Hole Initiative
Trou noir : Hawking a-t-il enfin résolu le paradoxe de l'information ?
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 28/08/2015
En 2005, Stephen Hawking avait annoncé qu'il pensait avoir résolu le paradoxe de l'information qu'il avait lui-même contribué à mettre en évidence en découvrant le rayonnement des trous noirs. Il pense visiblement avoir maintenant une nouvelle solution, apparemment prometteuse. Mais les experts se réservent car aucun article détaillé n'a encore été publié. Explications.
La semaine du 24 au 29 août 2015, plusieurs des experts mondiaux de la physique des trous noirs ont participé à un colloque organisé par L'Institut royal de technologie (en suédois Kungliga Tekniska högskolan, KTH) à Stockholm. Le thème en était l'état de la théorie du rayonnement Hawking des trous noirs et les problèmes irrésolus qui l'accompagnent.
Le plus fameux d'entre eux est celui du paradoxe de l'information. Il a aussi été découvert par Stephen Hawking alors qu'il réfléchissait aux conséquences de l'association d'une entropie à l'horizon des événementshorizon des événements d'un trou noir (par Bekenstein) et au fait que le rayonnement dont il avait démontré l'existence était celui d'un corps noircorps noir.
Pour comprendre de quoi il en retourne il faut se souvenir que selon la théorie de la relativité générale d'Einstein, un objet qui devient un trou noir n'est plus caractérisé que par quatre nombres : la masse, le moment cinétique, la charge électrique et éventuellement magnétique. Une encyclopédie ou une moléculemolécule d'ADNADN tombant dans un trou noir ne modifiera donc que la valeur de ces nombres et toute l'information que ces objets contiennent devrait être irrémédiablement perdue.
Où se cache l'information avalée par les trous noirs ?
Toutefois, la même théorie quantique, qui implique l'existence du rayonnement Hawking, affirme que l'information est indestructible. Techniquement on parle de conservation de l'unitarité. Il devrait donc exister des structures dans le trou noir qui gardent la mémoire de cette information. On pourrait penser qu'elle est codée dans le rayonnement émis par le trou noir qui, en réponse, doit s'évaporer puisqu'il perd de la masse, du moment cinétique et de la charge sous la forme des particules émises. Mais comme ce rayonnement doit être celui d'un corps noir, le plus désordonné possible, ce ne pouvait pas être le cas.
On pourrait tenter de résoudre ce problème en remettant en cause certaines hypothèses de départ. Le rayonnement n'est peut-être pas vraiment thermique, l'information s'échappe du trou noir dans l'univers observable ou un autre univers d'un vaste multivers grâce à des minitrous de vers... ou bien la mécanique quantique pourrait tout simplement être fausse et montrer ses limites quand l'espace-temps devient particulièrement courbé.
Le problème de l'information a été un casse-tête pour de brillants théoriciens comme le prix Nobel Gerard 't Hooft, Leonard SusskindLeonard Susskind ou encore Andrew Strominger qui avec Cumrun Vafa a donné une explication de la fameuse formule de Hawking-Bekenstein pour l'entropie des trous noirs. Selon elle, ils sont formés de supercordes. L'une des dernières tentatives en date pour le résoudre fait intervenir les étoiles de Planck.
Hermann Bondi (1919–2005) était un mathématicien et un cosmologiste austro-britannique. Il est connu pour avoir développé avec Fred Hoyle et Thomas Gold la théorie de l'univers stationnaire aujourd'hui abandonnée au profit de la théorie du Big Bang. Mais on lui doit aussi d’important travaux sur les ondes gravitationnelles et l’accrétion de la matière par des astres. © Rationalist International
Mais le mardi 25 aout 2015, Hawking a tenu un séminaire annonçant qu'il pensait avoir enfin trouvé une piste sérieuse pour expliquer où se trouvait codée l'information tombant dans un trou noir. L'idée lui en serait venue en écoutant une autre conférence il y a plusieurs mois, donnée par Andrew Strominger. Un papier commun avec ce chercheur et un ancien élève de Hawking, Malcom J. Perry, est annoncé pour dans quelque temps. En son absence, et malgré quelques indications données par Hawking et qui concernent des articles publiés depuis quelque temps par Strominger et disponibles sur arXivarXiv, il est bien difficile, de l'aveu même des spécialistes, de se faire une idée de la nature et de la pertinence des arguments utilisés pour résoudre le paradoxe de l'information.
Une symétrie qui code l'information dans la géométrie de l'espace-temps ?
Basiquement, il semble que tout tourne autour des ondes gravitationnelles émises par une étoileétoile en train de s'effondrer en donnant un trou noir et qui sont émises aussi lorsqu'un objet tombe dans un trou noir. D'autres quantités conservées, autre que l'énergieénergie, le moment cinétique et la charge, sont cachées dans la structure de l'espace-temps par ses ondes que l'on trouve associées à une symétrie des espaces-temps à l'infini pour des trous noir en formation ou absorbant des objets.
Cette symétrie est décrite par un groupe dit BMS, pour Bondi–Metzner–Sachs, ses découvreurs. Ce groupe décrit une symétrie particulière, des supertranslations (rien à voir avec la supersymétriesupersymétrie et la supergravité) et qui dans l'espace-temps plat, via le groupe de Poincaré (qui en est un sous-groupe), explique la conservation de la quantité de mouvementquantité de mouvement.
Ce groupe BMS est associé à une structure géométrique équivalente à une sphère, comme l'est la géométrie de l'horizon des événements. Comme dans le cas du principe holographique et de la conjecture AdS-Cft, il semble que Hawking ait établi un pont entre ce qui se passe à l'infini de l'espace-temps entourant un trou noir, et sa dynamique, y compris son horizon, en découvrant la symétrie des supertranslations cachée dans la géométrie de cet horizon.
Comme ces supertranslations existe en nombre très élevé, et même infini en relativité générale classique, et, qu'en physique, des symétries dans les équations impliquent des quantités conservées, de l'information serait donc codée de façon très subtile dans la géométrie de l'horizon. Elle serait probablement très compliquée et pas parfaitement lisse comme on le pensait. C'est là que l'information serait conservée. Elle ne tomberait jamais dans le trou noir, ce qui permet peut-être de résoudre un autre paradoxe, celui du pare-feupare-feu.
Est-ce vraiment ce que Hawking a en tête ? Difficile de le savoir, il faut attendre... Ce qui est sûr c'est que pour lui, cette information ne nous est plus disponible en pratique à cause d'effets chaotiques similaires à ceux qui nous empêchent de prédire le temps avec précision au-delà d'une semaine.
Ce qu’il faut
retenir
- Des symétries cachées dans les équations de la théorie des trous noirs ont été découvertes ces dernières années. Elles impliquent l'existence de quantités conservées permettant d'imaginer que l'information tombant dans un trou noir n'est pas détruite. Elle se trouve enregistrée sous la forme de ces quantités conservées associées à l'horizon des évènements des trous noirs.
- Dans un dernier article posthume avec Andrew Strominger et Malcom Perry, Hawking montre avec ses collègues que l'on peut effectivement retrouver sa fameuse formule découverte avec Jacob Bekenstein donnant l'entropie des trous noirs. Cette entropie étant proportionnelle à la surface de ces trous noirs, elle exprime une perte apparente d'information, si ce n'est une véritable perte.
- Toutefois, une preuve de la conservation de l'information lors de l'évaporation quantique des trous noirs n'a pas encore été donnée.