Le futur haut débit sur fibres optiques pourrait reposer sur l'exploitation de différents modes de transmission des données basés sur le moment cinétique orbital des ondes lumineuses. La démonstration de principe d'une telle possibilité avait été déjà faite pour la transmission dans l'air. Pour la première fois, des chercheurs y sont parvenus sur plus d'un kilomètre dans des fibres ingénieusement conçues.

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    Une illustration des fibres optiques capables de transmettre des données au moyen de sorte de tourbillons de lumière. Il s'agit d'ondes électromagnétiques possédant une polarisation et donc un spin particulier, plus précisément un moment angulaire orbital. Avec de telles ondes, on pourrait théoriquement augmenter le débit des fibres optiques dans une même bande de fréquence. © David Steinvurzel, INMAGINE Limited via Science

    Une illustration des fibres optiques capables de transmettre des données au moyen de sorte de tourbillons de lumière. Il s'agit d'ondes électromagnétiques possédant une polarisation et donc un spin particulier, plus précisément un moment angulaire orbital. Avec de telles ondes, on pourrait théoriquement augmenter le débit des fibres optiques dans une même bande de fréquence. © David Steinvurzel, INMAGINE Limited via Science

    La nécessité de transmettre toujours plus d'informations rapidement sur la toile pousse de nombreux laboratoires à découvrir de nouvelles technologies, pour augmenter la capacité des fibres optiques à transporter des  communications numériquesnumériques. Bien qu'il existe plusieurs nouveaux projets en cours de développement, ils ont tous des inconvénients comme la nécessité d'un traitement du signal trop lourd.

    C'est pour répondre à ces besoins grandissants de l'humanité que des chercheurs de l'université de Boston, de Californie du Sud (USC) et de Tel Aviv ont joint leurs forces et leurs compétences avec celles de la société productrice de fibres optiquesfibres optiques danoise OFS-Fitel. Ensemble, ils ont développé une nouvelle technologie de transmission par fibre optique inspirée de celle d'une équipe de chercheurs suédois et italiens qui a récemment été médiatisée. Fabrizio Tamburini et ses collègues ont en effet montré qu'il est possible de transmettre dans l'air des ondes électromagnétiques un peu particulières, que l'on peut décrire comme des sortes de tourbillonstourbillons de lumière.

    Des ondes avec moment cinétique intrinsèque et moment angulaire orbital

    L'idée, ancienne, repose sur des concepts déjà implicitement contenus dans les travaux de Maxwell et Hertz sur les ondes électromagnétiques. On savait déjà que la lumière pouvait être polarisée. Perpendiculairement à la direction de propagation d'un rayon lumineux, le vecteur champ électrique de la lumière peut par exemple tourner selon deux sens en gardant son extrémité sur un cercle. On parle alors de polarisation circulaire et, dans le cadre de la théorie quantique de la lumière, on peut l'associer au moment cinétique des photonsphotons de l'onde de lumière à une fréquencefréquence donnée. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on parle de la polarisation d'un photon.

    Mais il existe une autre façon pour un champ électromagnétiquechamp électromagnétique de transporter du moment cinétique. Avec le premier mode, celui reposant sur la polarisation, le front d'onde accompagnant la propagation selon un rayon lumineux reste fixe par rapport à sa direction de propagation.

    Un second mode existe où le front est en quelque sorte en rotation par rapport à la direction de propagation. Si l'on considère un rayon lumineux un peu comme un jet d'eau en rotation mais se propageant normalement de façon rectiligne, c'est un peu comme si le second mode de transfert du moment cinétique était associé à la propagation d'un rayon qui serait tordu et en spirale comme un tire-bouchon. On parle alors d'onde portant un moment angulaire orbital (OAM pour Orbital Angular Momentum). Une autre analogieanalogie peut aider à comprendre ces distinctions entre les différentes façons pour une onde d'avoir un moment cinétique. Celui de la Terre en rotation peut être appelé son spinspin, comme pour un photon, alors que le mouvementmouvement de révolution de la Terre autour du Soleil lui confère un moment angulaire orbital.

    Une coupe de la fibre optique permettant de transmettre des signaux avec différents modes OAM. Comme expliqué dans le texte on voit un disque central avec un anneau. Les ondes se propagent avec différentes vitesses de phase dans ces structures. © Nenad Bozinovic <em>et al.</em><em>,</em><em> Science</em>

    Une coupe de la fibre optique permettant de transmettre des signaux avec différents modes OAM. Comme expliqué dans le texte on voit un disque central avec un anneau. Les ondes se propagent avec différentes vitesses de phase dans ces structures. © Nenad Bozinovic et al., Science

    Des fibres optiques ingénieuses avec plusieurs indices optiques

    Le fait qu'il existe pour une onde électromagnétique des modes de propagations différents supplémentaires, en plus de la polarisation, permet donc d'ouvrir de nouveaux canaux de transmission pour une fréquence donnée. Ce qui est possible avec des ondes dans l'air doit aussi l'être avec des fibres optiques

    Malheureusement, jusqu'aux travaux des chercheurs américains, danois et israéliens publiés dans Science, on se heurtait à un problème dans le cas d'une propagation au sein de fibres optiques. Aux moindres contraintes mécaniques et thermiques subies par les fibres, les ondes dans un mode OAM donné se mélangeaient avec celles dans un autre mode. Ce couplage des modes conduisait à une perte rapide de l'information, de sorte que le signal se dégradait sur une longueur inférieure au mètre le long des fibres conventionnelles.

    La parade a été trouvée en construisant des fibres optiques avec des indices différents selon leur section afin que différentes OAM s'y propagent avec des vitesses de phasesvitesses de phases différentes. Cela réduit la probabilité de couplage entre les modes quand les signaux se propagent le long des nouvelles fibres. Au centre de l'une d'entre elles, se trouve ainsi une région d'environ huit micronsmicrons de diamètre qui comprend un disque central entouré par un anneau. Ces deux régions ont des indices de réfractionindices de réfraction qui sont plus grands que dans le reste de la fibre. Il en résulte que certains modes se propagent dans le disque alors que d'autres modes se propagent dans l'anneau externe. Au total, quatre modes sont disponibles, deux pour le disque et deux pour l'anneau. Avec ces quatre modes seulement, l'équipe de chercheurs a transmis des données sur une fibre de 1,1 km de long à une vitesse de 400 Gbit/s.

    1,6 Tbit/s, soit 8 Blu-Ray par seconde

    En utilisant des signaux avec des modes OAM sur dix longueurs d'ondelongueurs d'onde différentes, il a même été possible de faire du multiplexagemultiplexage en longueur d'onde (WDMWDM pour Wavelength Division Multiplexing en anglais). Rappelons que c'est une technique utilisée en communications optiques qui permet de faire passer plusieurs signaux de longueur d'onde différentes sur une seule fibre optique, en les mélangeant à l'entrée à l'aide d'un multiplexeur (Mux), et en les séparant à la sortie au moyen d'un démultiplexeur (Demux).

    Dans le cas présent, la vitesse de transmission a grimpé à 1,6 Tbit/s, soit l'équivalent de transmission de 8 disques Blu-ray à chaque seconde. Bien que de tels débitsdébits soient régulièrement réalisés par les systèmes WDM commerciaux, c'est la première fois qu'une telle transmission en mode OAM a été réalisée sur des distances supérieures à un mètre. C'est de bon augure pour l'avenir.