au sommaire
À gauche, une surface métallique parfaitement lisse : elle givre. À droite, la même surface porteuse d’un motif microscopique : elle ne givre pas. CQFD. © Joanna Aizenberg et al./ACS Nano
À l'orée de l'hiverhiver, Joanna Aizenberg, Amy Smith Berylson et leur équipe de la Harvard School of Engineering and Applied Sciences (Cambridge, États-Unis) viennent de présenter une innovation de saisonsaison : on peut empêcher une surface froide de givrer quand elle est exposée à l'humidité. Les automobilistes qui grattent leur pare-brise chaque matin, les collectivités locales qui achètent des tonnes de sel pour libérer les routes et les compagnies aériennes qui dépensent des fortunes pour faire dégivrer leurs avions avant chaque vol (sans oublier les systèmes de dégivrage installés sur les bords d'attaque) seront sûrement intéressés par cette étude.
Comme Joanna Aizenberg aime le faire, son équipe s'est inspirée des solutions découvertes dans la nature. Ainsi, les moustiquesmoustiques savent désembuer leurs yeuxyeux et les gerridés (ou araignéesaraignées d'eau) gardent leurs pattes sèches grâce à des soies qui réduisent la surface de contact avec les gouttes d'eau.
Plutôt que de chercher des produits que l'on ajoute une fois le givregivre formé, il vaut mieux imiter ces insectesinsectes et rendre la matière elle-même fortement hydrophobehydrophobe. Les gouttes s'échapperont et ne gèleront pas sur la surface froide. Ces spécialistes des nanostructures ont donc étudié des motifs variés susceptibles d'imiter plus ou moins la stratégie des Gerridés.
L'équipe explique qu'elle a vraiment dû partir du début : la formation du givre. Apparemment, on connaît peu de chose sur ce mécanisme. Cette couche de glace se forme quand une goutte d'eau à température positive éclate sur une surface très froide ou bien encore quand de l'eau en surfusion frappe une surface. Dans ce dernier cas, l'eau est liquide mais sa température est inférieure à zéro (c'est la surfusion) et il suffit d'un choc pour la faire prendre en glace. Le phénomène est bien connu (et redouté) en aviation : un avion peut se couvrir de givre en quelques secondes quand il traverse une zone où se trouvent des gouttes d'eau, voire de microscopiques gouttelettes, en surfusion.
L’hiver, les avions de ligne doivent souvent être dégivrés peu avant le décollage (il arrive même qu’ils doivent y retourner lorsque l’appareil n’a pas pu décoller assez vite…). Coûteux et polluant, le procédé mérite d’être amélioré, par exemple avec des produits dégivrants moins nocifs. Mais si les avions devenaient insensibles au givrage, ce serait encore mieux ! © Richard Siorek, Flickr, Licence Creative Commons (by-nc-sa 2.0)
Un pavage régulier
En multipliant les prises de vues ultrarapides sur des surfaces froides différemment garnies de nanostructures - une spécialité du laboratoire -, les chercheurs se sont rendu compte qu'une surface lisse givrait bien plus facilement. La goutte éclate et s'étale puis prend en glace. En revanche, si l'eau rencontre une surface rendue très légèrement rugueuse par des structures de quelques micromètresmicromètres ou nanomètres, la goutte commence à s'étaler mais se rétracte rapidement jusqu'à former à nouveau une goutte qui s'éloigne rapidement. Bref, la goutte rebondit.
L'équipe a essayé différents motifs de formes variées, de la soie à la brique, dans de multiples conditions. Grâce à cet environnement finement contrôlé, les chercheurs ont pu modéliser les types d'impact en fonction de l'état de la surface. Finalement, un motif régulier, comme un pavage, se révèle le plus efficace pour éjecter la goutte d'eau, en surfusion ou non. Les surfaces ainsi réalisées ont refusé de givrer jusqu'à des températures de -25 à -30 °C. C'est ce genre de nanostructures qu'il faudrait installer sur la surface d'un pare-brise ou les bords d'attaque d'un avion pour éviter d'avoir à les dégivrer.
Un tel procédé d'antigivrage intégré au matériau lui-même serait bien plus efficace que les produits chimiques utilisés aujourd'hui, plaident les scientifiques américains. Il éviterait de répandre tous ces produits, souvent toxiques, dans la nature. Les avions n'en seraient pas que les seuls bénéficiaires, les infrastructures routières (mais on voit mal de délicates nanostructures étalées sur le bitumebitume...) et les câbles électriques aériens pourraient aussi, peut-être, devenir tolérants au givre. « Nous avons commencé à étudier cette technologie prometteuse sur des situations du monde réel, affirme Joanna Aizenberg, ce qui fournira des éléments permettant d'optimiser ces surfaces résistantes au givrage pour de multiples applicationsapplications. » S'il peut déjà éviter aux automobilistes la corvée du grattage des vitresvitres...