La faisabilité de supraconducteurs à température ambiante fait rêver les ingénieurs et les physiciens depuis la découverte des supraconducteurs à haute température critique en 1986. Ces matériaux prometteurs étaient jusque-là confinés à des composés du cuivre mais des chercheurs japonais viennent d'en réaliser à l'aide d'un matériau basé sur du fer.

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Structure du nouveau supraconducteur à haute température critique basé sur du fer. Crédit : American Chemical Society

Structure du nouveau supraconducteur à haute température critique basé sur du fer. Crédit : American Chemical Society

La supraconductivité a été découverte au début du siècle dernier par hasard. En 1911, alors qu'il travaillait sur la résistivité du mercure à la température de liquéfaction de l'hélium, sous la direction du physicien hollandais Kamerlingh Onnes, Gilles Holst découvrit qu'elle s'annulait en dessous de 4,15 K. Le phénomène rendit perplexe les physiciens de l'époque, et pour cause, son explication nécessitait la découverte des principes et des équations de la mécanique quantique.

Malgré des tentatives phénoménologiques intéressantes de London, Landau et Ginzburg, ce n'est qu'en 1957 qu'une première véritable compréhension théorique du phénomène fut obtenue par John Bardeen, Leon Cooper et John Robert Schrieffer. La théorie BCS, acronyme de ses découvreurs, valut d'ailleurs à ces derniers le prix Nobel de physique. Elle repose sur l'idée que les électrons, en interaction avec le réseau cristallin d'un métal, se trouvent forcés de former des paires dites de Cooper.

Le phénomène fait intervenir le fait que, tout comme les excitations du champ électromagnétique sous forme d'ondes doivent donner lieu à l'apparition de quanta d'énergie (les photons), les vibrations du réseau cristallin produisent des ondes élastiques auxquelles les règles de la mécanique quantique imposent une structure là aussi corpusculaire au niveau de l'énergie. On obtient donc l'analogue des quanta de lumière mais, comme il s'agit ici d'ondes sonores se propageant dans le réseau cristallin, on parle de phonons.

John Bardeen, Leon Cooper et Schrieffer J. Robert, prix Nobel 1972 pour leur théorie BCS de la supraconductivité. Crédit : <em>Warwick University</em>
John Bardeen, Leon Cooper et Schrieffer J. Robert, prix Nobel 1972 pour leur théorie BCS de la supraconductivité. Crédit : Warwick University

Les interactions complexes dans le métal entre électrons et phonons forcent donc les premiers à s'associer en paires. Or, comme les électrons possèdent un spin demi-entier, comme tous les fermions, la somme des deux spins en donne un entier, une caractéristique des bosons (par exemple les noyaux d'hélium 4).

A basse température, le fluide de paires de Cooper devient alors un superfluide et s'écoule donc dans le métal sans résistance, d'où l'annulation de la résistivité caractéristique du phénomène de supraconductivité.

Grâce à lui, on peut imaginer des dispositifs électriques sans pertes par effet Joule ou capables de générer des champs magnétiques extrêmement forts, qui seraient du plus haut intérêt pour l’industrie et la technologie. Mais il faut les refroidir à quelques degrés au-dessus du zéro absolu pour que le phénomène se manifeste.

La surprise a donc été grande et les espoirs relancés lorsqu'en 1986, K. Alex Muller et J. Georg Bednorz ont découvert des composés particuliers basés sur le cuivre, les cuprates, qui exhibaient le phénomène de supraconductivité à quelques dizaines de kelvins seulement.

K. Alex Muller et J. Georg Bednorz d'IBM Zurich ont fait la découverte des supraconducteurs à haute température en céramique, ce qui leur a valu le prix Nobel de physique 1987. Crédit : <em>Warwick University</em>
K. Alex Muller et J. Georg Bednorz d'IBM Zurich ont fait la découverte des supraconducteurs à haute température en céramique, ce qui leur a valu le prix Nobel de physique 1987. Crédit : Warwick University

Le record est actuellement de 138 K. Les chercheurs aimeraient évidemment atteindre une température beaucoup plus proche de la température ambiante mais les progrès sont lents. Le mécanisme exact de la supraconductivité à haute température critique, c'est-à-dire celle au-dessous de laquelle un matériau change de phase et devient supraconducteur, n’est toujours pas clairement compris, car la théorie BCS semble inopérante.

La révolution japonaise ?

La découverte récente par Hideo Hosono et ses collègues du Tokyo Institute of Technology d'un supraconducteur qui n'est pas un cuprate est donc particulièrement intéressante car il s'agit peut-être d'une fenêtre ouverte sur ce mystérieux mécanisme.

Ils ont en effet découvert qu'un sandwich formé de couches de lanthane associé à de l'oxygène, avec des couches de fer associé à de l'arsenic, dopées avec des ions fluorures, devenait supraconducteur à haute température. Dans le cas présent, la haute température critique du composé LaOFeAs est de 26 K et il semble bien que, là aussi, la théorie BCS soit en échec.

C'est en tout cas ce que soutient Kristjan Haule, un physicien théoricien spécialisé dans la physique de la matière condensée à l'Université Rutgers aux Etats-Unis. D'après les calculs que lui et ses collègues ont effectués en utilisant la théorie BCS, la température critique de la transition de phase, à laquelle ce composé, isolant à température ordinaire, devient un supraconducteur, devrait être de 1 K.

La théorie basée sur les phonons échoue donc complètement. En revanche, il se pourrait bien qu'une des théories alternatives proposées pour expliquer la supraconductivité des cuprates, basée sur des fluctuations de spin et qui avait finalement échoué, soit cette fois pertinente pour expliquer le cas des composées analogues aux LaOFeAs, d'après Haule. Il semble d'ailleurs que des résultats expérimentaux préliminaires du groupe de Tokyo aillent bien dans ce sens.