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Article publié le 6 janvier 2016
Le 6 janvier 2016, à 1 h 30 TU (2 h 30 en France métropolitaine), les sismographes de multiples pays enregistrent un séisme de magnitude 5,1. Grâce à la mise en réseau de ces détecteurs, à différentes échelles (régionales, nationales et internationales), l'évènement est parfaitement localisé : la profondeur est très faible et l'épicentreépicentre se trouve en Corée du Nord, au nord-est du pays, près du village de Punggye-ri, le site d'un centre d'expériences nucléaires, où ont déjà eu lieu des essais nucléaires souterrains en 2009 et en 2013. Le gouvernement nord-coréen explique l'explosion par l'essai d'une bombe H, ou bombe à hydrogène.
L'acuité de l'activité de surveillance de l'activité sismique de notre planète permet donc de repérer aussi les explosions, nucléaires ou autres - le 19 avril 1995, à Oklahoma City (États-Unis), des sismographes avaient ainsi détecté les vibrations générées par la bombe ayant ravagé l'immeuble Murrah. Pourtant, historiquement, la relation est plutôt inverse : c'est la compétition entre les armements nucléaires entre les États-Unis et l'Union soviétique qui, dès les années 1960, a conduit les premiers à se doter d'énormes réseaux de sismographes, 500 par exemple pour celui déployé à cette époque dans le Montana.
L'explosion souterraine en Corée du Nord a été enregistrée, comme tout séisme, par les réseaux de sismographes mondiaux. Ici, le signalement réalisé par le Centre de sismologie euro-méditéranéen sur son site Web. © CSEM
Le traité CTBT interdit les essais à ceux qui l'ont signé
Ces essais font l'objet de négociations depuis 1963, après la grave crise des missiles de Cuba. Le traité d'interdiction des essais nucléaires a été signé cette année-là par les États-Unis, l'URSS et le Royaume-Uni. La France ne s'y est ralliée qu'en 1980.
Les tests dans l'espace (voire sur la Lune...)) faisaient partie du traité mais les essais souterrains en restaient exclus et ont donc été poursuivis. Ils ont été bannis en 1996 dans le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, ou CTBT, Comprehensive-Test-Ban Treaty mais trois pays dotés de l'arme nucléaire ne l'ont pas signé : la Corée du Nord, l'Inde et le Pakistan.
Depuis 1945, plus de 2.000 essais de bombes nucléaires, à fission ou à hydrogène, ont été effectués dans le monde. © Idé
La sismologie légale pour repérer une explosion d'origine humaine
Depuis tout ce temps, les sismologuessismologues ont appris à faire la différence entre une explosion et un tremblement de terretremblement de terre. Cette véritable discipline a pris le nom de sismologiesismologie légale, à l'image de la médecine légalemédecine légale. Plusieurs critères sont retenus pour repérer une explosion parmi les milliers de séismes qui se produisent en permanence :
- La profondeur : elle est toujours faible pour les essais et comptée en dizaines de kilomètres pour les séismes. Encore faut-il la déterminer suffisamment précisément.
- Le rapport ondes P/ondes S : un séisme génère deux types d'ondes au sein du sol, appelées P et S. Les premières sont des ondes de compression, analogues au son. Les ondes S, ou de cisaillement, se manifestent par un mouvement du sol perpendiculaire à la propagation. Il a été observé, de manière très nette, que les explosions génèrent surtout des ondes P alors que les séismes produisent à la fois des ondes P et S.
- Le rapport Mb/Ms : les mesures des déplacements au passage des ondes sismiquesondes sismiques permettent d'estimer l'ampleur d'un séisme, ou magnitude, dont il existe plusieurs approches. Mb est la magnitude de volumevolume (avec b pour body, corps en anglais) et dépend du mouvement vertical dû aux ondes P. Ms, la magnitude de surface, se calcule avec les mouvements induits par les ondes de Rayleigh, un autre type d'ondes sismiques. Le rapport Mb/Ms est généralement plus faible pour une explosion.
- ModélisationModélisation : des modèles tenant compte de différents paramètres, dont la distance ou l'environnement géologique, peuvent aider à mieux cerner la nature du phénomène originel.
(Ces informations viennent en partie d'un document en anglais, Forensic Seismology and the Comprehensive-Nuclear-Test-Ban Treaty.)
Les sismogrammes correspondant à un test nucléaire souterrain (en rouge, essai indien du 11 mai 1998) et à un séisme (en bleu) présentent des aspects très différents. © J. David Rogers, université du Missouri, Keith D. Koper, université St. Louis
Bombe H ou pas ?
Avec ce genre d'éléments, le CTBTO (CTBT Organization) estime la puissance de l'explosion dans la même fourchette que celle de l'essai nord-coréen de 2013, qui avait produit un évènement sismique d'une magnitude de 4,5. Selon The Guardian, cette valeur indiquerait pour la bombe une puissance de 6 à 9 kilotonnes. D'autres estimations proposent une valeur plus élevée pour l'explosion de 2013. Toutes restent néanmoins inférieures aux puissances des bombes qui ont détruit Hiroshima et Nagasaki, et qui n'étaient pas des bombes H mais des engins à fissionfission, en principe bien moins puissants.
Il est donc possible qu'il ne s'agisse pas d'une bombe H mais seulement d'une bombe atomique à fission, ou encore d'un explosif conventionnel. Il peut s'agir aussi d'un petit modèle, propre à être installé dans un missile de faible taille.