Résoudre les équations de la relativité générale est l’une des tâches les plus difficiles qui soient et les astrophysiciens ont souvent recours aux méthodes numériques, gourmandes en temps de calcul et en argent. Une équipe de chercheurs de l’Université de l’Alabama à Huntsville vient de résoudre un problème important de la physique des trous noirs en rotation en construisant leur propre superordinateur… avec une grappe de Playstation 3 !

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Une PlayStation 3. Crédit : Sony

Une PlayStation 3. Crédit : Sony

Les équations de la relativité générale d'Einstein forment un système de dix équations hyperboliques non-linéaires monstrueusement difficiles à résoudre. Seules sont connues quelques solutions exactes, généralement idéalisées.

L'une d'entre elles est célèbre. Elle ne représente pas une étoile en rotation comme le croyait son découvreur, le mathématicien et boxeur néo-zélandais Roy Kerr, mais la description rigoureusement exacte d'un trou noir en rotation stationnaire.

C'est un fait stupéfiant, sur lequel a beaucoup insisté le grand astrophysicien Chandrasekhar, que lorsqu'un trou noir en rotation se forme, il doit assez rapidement perdre toutes sortes de complications pour ne plus devenir qu'un objet particulièrement simple, décrit par la solution de Kerr, et ne dépendant que de la masse et du moment cinétique de rotation de ce trou noir. C'est ce qu'on appelle le théorème de la calvitie.

Cela est en contraste violent avec une planète ou une étoile, dont on sait bien que la surface n'est pas celle d'une sphère parfaite et dont la distribution de masse engendre un champ de gravitation tout aussi hétérogène.

Il ne faudrait pas croire, cependant, que la solution de Kerr soit toujours valable quand de la matière (par exemple une comète) ou du gaz tombe dans le trou noir et surtout lorsqu'une collision se produit à l'intérieur d'un système binaire avec une étoile à neutrons ou un autre trou noir. La géométrie de l'espace-temps est alors perturbée et les lois de la relativité générale impliquent que le trou noir cherchera rapidement à retourner à sa géométrie initiale idéale en émettant des ondes gravitationnelles.

Il va se mettre à osciller, un peu comme lorsqu'on frappe une cloche, et  vont apparaître des modes dits quasi-normaux d’oscillations de la surface définissant son horizon des événements perturbés.

Il se trouve que c'est un test important de la théorie des trous noirs. S'ils peuvent être observés dans les ondes gravitationnelles avec des détecteurs comme Lisa, alors, l'existence des trous noirs serait définitivement établie. Une telle découverte vaudrait un prix Nobel à des chercheurs comme Roger Penrose, Stephen Hawking, Brandon Carter et probablement quelques autres.

Saul Teukolsky. Crédit : <em>Cornell University</em>
 
Saul Teukolsky. Crédit : Cornell University

Mode d'emploi en ligne

Beaucoup de travaux, aussi bien analytiques que numériques ont été menés sur les équations de perturbations des trous noirs et la forme des ondes gravitationnelles émises par un trou noir perturbé revenant à son état d'équilibre initial. On peut citer les noms de Richard Price et Saul Teukolsky, sans oublier ceux de Chandrasekhar lui-même et William H. Press.

Malheureusement, jusqu'à récemment, des désaccords existaient sur la forme exacte de la loi décrivant l'amortissement final des oscillations de la géométrie de l'espace-temps d'un trou noir de Kerr perturbé.

Pour régler cette question, malgré tout assez mineure, il aurait fallu mobiliser des superordinateurs comme ceux utilisés pour calculer la masse du proton (il est à noter au passage que les formes mathématiques des équations de la relativité générale et celles des équations de la QCD sont très voisines).

Cela coûte non seulement cher mais les  priorités et les budgets des laboratoires ne permettent pas d'obtenir facilement les temps de calcul appropriés.

Gaurav Khanna et Lior Burko, de l'université de l'Alabama à Huntsville, ne se sont pas découragés pour autant et, il y a plus d'un an, ils se sont aperçus qu'il était possible de fabriquer un superordinateur bien adapté à la résolution de plusieurs problèmes en relativité numérique simplement en associant des PlayStation en grappe.

Avec l'aide de Sony, ils ont obtenu 16 PlayStation 3 dont le processeur central est un processeur Cell conçu par IBM, en partenariat avec Sony et Toshiba, et dérivé du PowerPC. Alors qu'il aurait fallu 5.000$ pour effectuer une seule des simulations numériques nécessaires pour résoudre le problème de la forme finale de la loi d'amortissement des oscillations d'un trou noir de Kerr perturbé, la construction du cluster de PS3 n'a coûté que 6.000$. Avec lui, les chercheurs peuvent effectuer leur simulation autant de fois qu'ils le désirent et bien d'autres calculs encore. Ils ont même mis en ligne un site Web où ils expliquent comme s'y prendre pour construire une grappe de PS3 ainsi que les projets qu'ils conduisent avec elle (PlayStation3 Gravity Grid).

On sait maintenant qu'entre les deux lois proposées pour décrire l'amortissement des oscillations, c'est la plus rapide qui devrait être la bonne. L'article à ce sujet mis sur Arxiv l'année dernière sera publié en 2009 dans la célèbre revue Classical and quantum gravity.